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Monde - Syrie

« Aujourd’hui à Idleb, tout le monde maudit Erdogan et la Turquie »

La population de la province syrienne ne se fait plus d’illusions quant à une intervention de son parrain pour stopper l’offensive militaire du régime.

Des Syriens fuyant les bombardements du régime et de Moscou dans la province d’Idleb le 30 janvier 2020. Khalil Ashawi/Reuters

C’était leur dernier espoir. Celui que la Turquie, cette puissance voisine et autoproclamée parraine de la rébellion syrienne, s’interpose face au régime syrien et à son allié russe dans leur volonté de reprendre par la force la province d’Idleb, la dernière aux mains des rebelles. Lâchés par les Occidentaux et par les pays arabes, les rebelles syriens ont remis depuis plusieurs années leur sort entre les mains d’Ankara. Quitte à lui pardonner d’avoir abandonné Alep à la fin de l’année 2016, ou de s’être servi de ce qu’il restait de l’Armée syrienne libre (ASL) comme de ses mercenaires dans sa guerre contre les milices kurdes liées au PKK. Après tout, la Turquie avait accueilli 3,5 millions de réfugiés syriens sur son sol depuis le début de la guerre en 2011 et était la seule à continuer à prendre la défense des forces anti-Assad quand le reste du monde regardait ailleurs. « Nous n’avons jamais eu de grandes attentes vis-à-vis de la Turquie, mais nous nous accrochions au fait qu’elle était notre seule porte de sortie de cet enfer », résume Hicham*, artiste-peintre de Binnich, une ville à quelques kilomètres d’Idleb. Face aux avancées du régime et de son allié russe dans la province d’Idleb, où la Turquie est présente, la population se retrouve totalement désemparée. « Nous n’avons plus personne à nos côtés. Ils veulent tous nous voir disparaître, comme si nous incarnions tous les maux de la terre », dénonce Alaa, un déplacé de Khan Cheikhoun, habitant aujourd’hui la ville d’Idleb.

Les 12 postes d’observation turcs, créés dans le cadre de l’accord de Sotchi en octobre dernier, sont perçus aujourd’hui comme un leurre. Deux d’entre eux ont été récemment détruits par les forces loyalistes. « Au début, ces postes rassuraient les gens, mais ils ont compris qu’ils n’étaient que des épouvantails », explique Abdelkafi Alhamdo, un professeur d’anglais.

La province d’Idleb vit ses heures les plus sombres, voyant sa population fuir en grand nombre les bombardements incessants des forces du régime et de son allié russe. Malgré un cessez-le-feu scellé le 12 janvier par Ankara et Moscou, les combats se poursuivent dans le nord-ouest de la région. Ils ont causé depuis début décembre la fuite de 388 000 personnes, selon l’ONU. Les forces gouvernementales ont reconquis mercredi la ville stratégique de Maarret al-Naaman, la deuxième plus grande du rif, et contrôlent désormais plus de 40 % de la province d’Idleb. Ces avancées fulgurantes du régime renforcent le sentiment des habitants de la région d’avoir été trahis par leur parrain. « La Turquie était censée être notre bouclier, sauf qu’au moment fatidique, elle se dérobe », déplore Aziz al-Asmar. « Aujourd’hui à Idleb, tout le monde maudit Erdogan et la Turquie », renchérit Abdelkafi.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est sorti de son silence mercredi soir en accusant la Russie de ne pas respecter les accords de cessez-le-feu. « La Turquie, qui construit des maisons dans le nord d’Idleb pour abriter les civils fuyant les bombardements, a fait part à la Russie qu’elle perdait patience », a-t-il déclaré. Des paroles en l’air selon des activistes de l’opposition, pour qui le lien de confiance semble définitivement rompu. Ankara fait en sorte depuis plusieurs mois de repousser l’assaut du régime contre l’ultime bastion de la rébellion, mais n’aura d’autre choix que de céder, d’autant qu’il a intérêt à garder de bonnes relations avec la Russie, notamment pour gérer la question des Kurdes dans l’Est syrien. « Je regrette d’avoir un jour défendu la Turquie. Si elle a pu se montrer magnanime en envoyant des aides ou en faisant entrer des gens de temps en temps, cette soi-disant amie nous a beaucoup blessés. Après neuf ans, notre pire erreur en tant que révolutionnaires est d’avoir cru avoir des amis. Nous n’avons que des ennemis », constate, amer, Abdelkafi.


(Lire aussi : Ex-fief de la révolte, Maarret al-Naaman est devenue l'ombre d'elle-même)




Envoyés au casse-pipe

Le sentiment que la Turquie a utilisé les combattants rebelles dans l’unique but de sécuriser sa frontière est prégnant. L’an dernier, l’un d’entre eux expliquait à L’OLJ qu’il prenait part aux campagnes militaires turques contre les forces kurdes des YPG (pendant syrien du PKK, considéré par Ankara comme terroriste) dans l’unique but de pouvoir libérer les villages arabes de la province d’Alep. Ces zones sont aujourd’hui en majorité contrôlées par les forces prorégime, certaines étant toujours aux mains des Kurdes. « Erdogan est celui qui nous a fait le plus de mal. Il a envoyé les combattants au casse-pipe pour ses propre intérêts, non pour nos beaux yeux. Peut-être que depuis le début, la Turquie, la Russie et Assad étaient de connivence », constate Bara’, qui cherche à fuir la province d’Idleb. « Comme on dit chez nous, l’ennemi de ton grand-père ne te porte pas dans ton cœur », dit-il, en référence à l’impérialisme ottoman. L’objectif de la Turquie était avant tout d’éloigner les forces kurdes de sa frontière, ce qu’elle est parvenue à faire en octobre dernier. Selon des activistes, la Turquie empêcherait les rebelles syriens qui ont combattu dans l’opération Source de paix (contre les Kurdes) de venir défendre Idleb. L’envoi récent de combattants syriens proturcs en Libye a été la goutte de trop. « J’avais perdu foi en la Turquie après la chute d’Alep, mais je refoulais ce sentiment. Mais quand elle a remis les clefs d’Idleb à Hay’at Tahrir al-Cham (HTC, ex-branche syrienne d’el-Qaëda), c’est devenu clair à mes yeux. Ankara a interdit aux combattants de l’ASL de s’opposer à HTC », dénonce Abdelkafi.En janvier 2019, le groupe jihadiste est parvenu à dominer la région, faisant régner la terreur sur la population. D’autres groupuscules jihadistes et rebelles sont présents dans la région qui abrite quelque trois millions de personnes, dont la moitié a été déplacée depuis d’autres parties du pays reconquises par Damas. La présence de HTC a mis de l’eau au moulin à la rhétorique assadienne de guerre contre le terrorisme. À Atareb mercredi, des dizaines de manifestants battaient le pavé en scandant « Erdogan est le partenaire du régime Assad ». « Je pense que c’est bien la première fois qu’ils sont mis publiquement dans le même panier », estime Abdelkafi.


(Lire aussi : Après la conquête de Maarret al-Naaman, grand bastion anti-Assad, quelle sera la prochaine cible ?)



Le Nord syrien sous contrôle turc est devenu le point de chute de dizaines de milliers d’habitants fuyant les bombardements. « Entre Idleb et le Nord, c’est comme passer d’un monde à un autre. D’un côté, c’est “sauve qui peut”, alors que de l’autre, c’est “sans pitié” », explique Khaled*, père de deux jeunes garçons. Il a fui sa ville natale, Maarret al-Naaman, lorsque l’armée syrienne et les Russes n’étaient plus qu’à quelques kilomètres. Il loge aujourd’hui dans un appartement où s’entassent quatre autres familles, dans une ville frontalière. « On disait qu’Idleb, c’était le terminus. Mais Idleb, c’était chez moi. Quand ils s’attaqueront au Nord, où ira-t-on ? » dit-il. Depuis août 2018, la Turquie maintient sa frontière fermée. Si elle ne parvient pas à mettre rapidement fin à l’offensive du régime, elle risque de voir affluer de plus en plus de civils. « Nous sommes de plus en plus nombreux à ses portes, et si ça continue, les gens vont briser les murs et entrer coûte que coûte », conclut Khaled.


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commentaires (4)

Une petite leçon à tous ceux qui se fient aux forces étrangères quand il s'agit de s'attaquer à son propre pays. Les " rebelles" syriens vont devoir constater qu'ils n'auraient jamais dû accepter de se laisser entraîner dans la complot anti Bashar le héros . En Irak, au Yémen, au Liban en Iran les populations qui se sont fiées à ces prédateurs saoudo yanky turcos etc... vont malheureusement devoir faire le même constat. Une leçon magistrale qui se répète dans l'Histoire de l'humanité, en Algérie au Vietnam au sud Liban etc.... Ils ont beau jeu de critiquer erdo ces hypocrites qui il y a 9 ans ne juraient que du départ de celui qui va finir par RECONQUERIR SON PAYS, LA SYRIE DU HÉROS BASHAR.

FRIK-A-FRAK

15 h 54, le 02 février 2020

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Commentaires (4)

  • Une petite leçon à tous ceux qui se fient aux forces étrangères quand il s'agit de s'attaquer à son propre pays. Les " rebelles" syriens vont devoir constater qu'ils n'auraient jamais dû accepter de se laisser entraîner dans la complot anti Bashar le héros . En Irak, au Yémen, au Liban en Iran les populations qui se sont fiées à ces prédateurs saoudo yanky turcos etc... vont malheureusement devoir faire le même constat. Une leçon magistrale qui se répète dans l'Histoire de l'humanité, en Algérie au Vietnam au sud Liban etc.... Ils ont beau jeu de critiquer erdo ces hypocrites qui il y a 9 ans ne juraient que du départ de celui qui va finir par RECONQUERIR SON PAYS, LA SYRIE DU HÉROS BASHAR.

    FRIK-A-FRAK

    15 h 54, le 02 février 2020

  • ERDO L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN VA SE FAIRE CASSER LES DENTS EN SYRIE COMME EN LYBIE. SA MEGALOMANIE VA LE DETRUIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 24, le 01 février 2020

  • Merci de l'esprit et du coeur , Ms Hayek , pour votre excellent article qui offre compréhension , histoire vivante de la Syrie martyre , un tableau de l'horreur actuelle du Nord-Est, pris en étau entre la folie d'un boucher psychopathe , celle d'un dément tsariste et celle du Führer du Bosphore ... Cette guerre immonde , abjecte , qui n'en finit pas de ne pas finir. Avec admiration pour votre journalisme qui soulève un coin du rideau et nous ouvre la scène entière , une grande émotion . ADC

    Anne Da Costa

    12 h 02, le 01 février 2020

  • LE TURC A PERDU DANS LE JEU. S,IL INTERVIENT MILITAIREMENT IL RISQUE DE SE FAIRE CASSER LES DENTS ET DE PERDRE LE PEU DE CREDIBILITE QUI LUI RESTE. MEME CHOSE EN LYBIE. BABA ERDO L,APPRENTI MINI SULTAN OTTOMAN CONDUIT LA TURQUIE A LA PERTE DU PEU DE PRESTIGE QUI LUI RESTAIT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 12, le 01 février 2020

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