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Culture - Exposition

À la galerie Sfeir-Semler, les couleurs d’Etel Adnan se soulèvent...

Même de loin, même fatiguée, la grande artiste tenait à exprimer sa solidarité avec l’aspiration au changement des Libanais. À sa manière. Avec son pinceau et sa palette, toujours vive et positive.

Le soulèvement des couleurs d’Etel Adan, en peintures, leporellos et tapisseries à la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth. DR

De la couleur plein les yeux : fraîche, gaie, lumineuse, éclatante de vie et de promesses d’aubes nouvelles… De la beauté plein les yeux : simple, intemporelle, expression d’une joie pure, comme cette palette que ne vient perturber aucune teinte sombre annonciatrice de malheur… Voilà ce qu’offre Etel Adnan aux visiteurs de son exposition beyrouthine, qui vient de s’ouvrir à la galerie Sfeir-Semler, sous l’intitulé The Uprising Of Colors (Le soulèvement des couleurs).

À peine franchit-on le seuil du vaste espace situé au 4e étage de l’immeuble Tannous, secteur la Quarantaine, que l’on se sent, en effet, transporté dans une oasis artistique, une parenthèse réconfortante en ces temps de troubles et d’anxiété. « C’est exactement ce qu’a voulu Etel, qui tenait, envers et contre tout, à présenter ses nouvelles œuvres à Beyrouth », indique Andrée Sfeir-Semler, signalant par ailleurs que l’artiste – qui fêtera bientôt ses 95 printemps – avait été malade une bonne partie de 2019, et qu’elle a travaillé assidûment au cours des quatre derniers mois de l’année pour maintenir l’exposition aux dates annoncées. « C’est sa manière à elle de marquer sa solidarité avec l’aspiration au changement des Libanais, et d’alimenter l’espoir qui habite encore le pays », assure la galeriste. Laquelle déclare être, pour sa part, également « convaincue que chacun, par ses propres moyens, peut apporter sa pierre à l’édifice d’un avenir meilleur ».


(Lire aussi : Etel Adnan : S’il y avait un paradis, j’aimerais m’y asseoir à côté de Paul Klee)


« Le soleil toujours »

Cette vitale espérance, que veut communiquer l’artiste aux visiteurs de son exposition, s’exprime dès la première « œuvre » qui s’offre à leurs yeux. Une reproduction sur affiche murale d’un panneau urbain intitulé Le soleil toujours qu’Etel Adnan avait conçu en 2014 pour trôner (temporairement) sur le toit d’un immeuble de Mexico City. Cette pièce aux très grandes dimensions (4 x 7,50 mètres), rompant avec celles, intimistes, de ses tableaux habituels, a été nouvellement reproduite en céramique, spécialement pour l’exposition beyrouthine. « Malheureusement, en raison des circonstances, nous n’avons pas pu la déplacer. Nous avons néanmoins tenu à l’imprimer sur ce mur d’ouverture de l’accrochage pour l’énergie positive qu’elle annonce… », signale Andrée Sfeir-Semler.

Une murale qui préfigure, en effet, l’éclatante clarté qui se dégage de toutes les œuvres exposées : huiles sur toile, dessins sur papier, leporellos et tapisseries récemment exécutées par les ateliers d’Aubusson… Un ensemble conséquent de pièces réalisées au cours de ces derniers mois donc, et qui font entrer le visiteur dans l’univers de cette artiste aux multiples facettes. À la fois peintre, écrivaine et poétesse, devenue « la » figure tutélaire de l’art et de la culture du Liban et son éminente représentante à l’étranger.

L’intrusion du blanc

C’est donc une « Etel Adnan dans toutes ses dimensions » qui se dévoile dans cet accrochage qui met en relief la corrélation de son verbe et de ses couleurs, de sa pensée et de son imaginaire... Depuis la transcription vocale de L’Apocalypse arabe* qui accompagne la déambulation dans les premières salles, jusqu’aux deux entrevues filmées avec l’artiste – la première menée en 2015 par Hans Ulrich Obrist (le directeur de la Serpentine Gallery) et la seconde plus récente avec Ricardo Karam – qui clôturent le parcours de l’exposition.

Laquelle présente, en premier lieu, une suite d’une vingtaine de lumineux paysages géométriques et abstraits qui se ressemblent sans se répéter. Des huiles sur toile, en petit format (35 x 45cm) où le soleil, cercle écarlate, remplace parfois le fameux petit carré rouge qui a longtemps été la signature d’Etel Adnan. Une « cuvée 2019 », de compositions aux teintes adoucies, parfois même « sucrées ». Et où s’est introduit pour la première fois le blanc, qu’elle n’avait jamais utilisé auparavant. Un blanc posé au pinceau, en plages immaculées courant tout le long des formes cubiques évocatrices, dans certaines toiles, de constructions urbaines… Comme si le clair horizon que l’artiste apercevait de sa fenêtre à Sausalito, à l’époque de ses années américaines, se faufilait par les interstices de sa mémoire et nimbait les angles des immeubles parisiens qui la cernent désormais, au point de s’infiltrer insidieusement dans ses toiles…


Douceur géométrique…

Installée (pour ne pas dire repliée) depuis près d’une décennie dans la capitale française, cette amoureuse de la nature, et en particulier du mont Tamalpaïs, cette douce montagne californienne qu’elle a si souvent reproduite dans ses œuvres, continue de puiser dans ses souvenirs les formes organiques dont elle émaille ses compositions picturales. Largement dominées, du reste, par la géométrie et la simplification du geste. Une géométrie qui n’exclut pas la douceur et la sérénité qui se dégagent des petites peintures. Abstraction faite d’une série, aux motifs circulaires, rayonnants, bondissants, entre bulles et pastilles, paradoxalement baptisée Le poids du monde.

… et explosion chromatique

Au fil de la visite, on s’arrêtera aussi devant un trio d’huiles de dimensions un peu plus grandes (60 x 40cm) toutes en sinueuses plages de couleurs, réalisées en 2018 et exposées la même année dans le cadre de l’hommage que lui rendait le San Francisco MoMA. Mais surtout devant les remarquables tapisseries (dont certaines ont été dessinées dans les années soixante et exécutées récemment par les ateliers d’Aubusson) qui explosent d’un chromatisme rythmé, à la Kandinsky parfois. Le même que l’on retrouve dans les dessins sur papier qui dégagent littéralement une impression de « soulèvement des couleurs » comme un feu d’artifice, un jet de flammèches crépitantes et multicolores…


(Lire aussi : Etel Adnan : Ce qui me met en colère aujourd’hui ? La poubelle et la corruption généralisée au Liban)

Une joie communicative

Et puis il y a la poésie concrète des fameux leporellos, ces carnets japonais en accordéon qu’affectionne tant l’artiste. Et dont le plus « parlant », en ces temps de contestation, est celui qui croise son graphisme et ses couleurs aux mots de résistance et de paix tirés des écrits de Mahmoud Darwich. L’une des rares œuvres portant l’empreinte, sous-jacente, de cette anxiété qui la taraude concernant le devenir du Liban. Une réelle inquiétude qu’Etel Adnan exprime d’ailleurs dans des textes régulièrement publiés dans les colonnes de L’Orient-Le Jour (où elle a été, dans une première vie, journaliste). Et qu’elle a choisi de combattre par la peinture et la force vitale de la couleur qui lui donnent « un bonheur physique immédiat », nous confiait-elle lors d’un grand entretien réalisé en 2016.

Une joie communicative, assurément. À expérimenter en visitant cette exposition qui réserve d’autres surprenantes œuvres, à découvrir jusqu’au 11 avril.

*L’un des textes phares d’Etel Adnan, publié en 1980, en pleine guerre civile libanaise.

Galerie Sfeir-Semler

« The Uprising of Colors », jusqu’au 11 avril.

La Quarantaine, immeuble Tannous, 4e étage.

Récent parcours muséal…

En dépit d’une reconnaissance internationale tardive, en 2012 (grâce à son passage à la Documenta 13), Etel Adan figure parmi les artistes contemporains les plus sollicités par les musées. Depuis son exposition à l’Institut du monde arabe à Paris en 2016, ses petites peintures ont fait le tour de plusieurs musées. Dont, dernièrement, le Centre Paul Klee à Berne qui lui a consacré une exposition personnelle en 2018, ainsi que le San Francisco MoMA. Puis le Musée du Luxembourg qui lui a offert ses cimaises en juin 2019 suivi par le LaM (Lille-Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) qui lui a organisé, en octobre de la même année, son dernier accrochage.

De la couleur plein les yeux : fraîche, gaie, lumineuse, éclatante de vie et de promesses d’aubes nouvelles… De la beauté plein les yeux : simple, intemporelle, expression d’une joie pure, comme cette palette que ne vient perturber aucune teinte sombre annonciatrice de malheur… Voilà ce qu’offre Etel Adnan aux visiteurs de son exposition beyrouthine, qui vient de...

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