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Diaspora - Histoire et diaspora

De Freiké aux États-Unis, l’héritage impressionnant des frères Moukarzel

Il y a cent vingt-deux ans, Naoum Moukarzel fondait « al‐Huda », l’un des premiers journaux libano-américains aux États-Unis, tandis que son frère Salloum créait la première machine Linotype en arabe.

L’imprimerie d’« al-Huda », un journal qui a permis aux Libanais d’Amérique de garder le lien avec leur pays d’origine. Photo tirée de la thèse de Stacy Fahrenthold

En 1890, dans le village de Freiké dans le Metn, Naoum, l’un des deux fils du prêtre maronite Antoun Moukarzel, quitte son Liban natal. Naoum a 26 ans et en arrivant à Philadelphie, aux États-Unis, il n’a pas la moindre idée de ce qu’il pourrait y faire. Pas la moindre idée ou trop d’idées en fait, le jeune intellectuel libanais se rêvant bibliothécaire, journaliste, éditeur ou encore étudiant en médecine...

C’est en travaillant dans une librairie que Naoum prend sa première grande décision et fonde un journal qu’il appelle al-Asr, grâce à un apport financier d’un ami ayant fait fortune dans le commerce, Najib Maalouf. La publication fait toutefois long feu. Naoum Moukarzel s’inscrit en médecine, mais quitte les bancs de la faculté au bout de deux ans. Il a toujours en tête de créer un nouveau journal. Ce qu’il fait avec al-Huda, une publication bihebdomadaire dont le premier numéro sort le 22 février 1898. Une date qu’il n’a pas choisie au hasard, explique sa nièce Mary Moukarzel dans un entretien au New York Times. « Le 22 février est la date de la naissance du président américain George Washington. Il voulait s’en inspirer, lui le fervent défenseur de l’indépendance du Liban contre l’Empire ottoman », explique-t-elle. En 1902, al-Huda devient un quotidien et déménage à New York. « Durant cette période, la communauté arabo-américaine est assez active culturellement, politiquement et socialement. Beaucoup de médias, liés à cette communauté, voient le jour. Ce qui singularise cependant al-Huda, c’est que son influence s’étend au-delà des frontières de l’Amérique », souligne à L’Orient-Le Jour le chercheur Edmund Ghareeb.

Au fil des ans, le lectorat du journal commence à s’élargir et son influence se fait ressentir en plusieurs points du globe. La publication traite régulièrement de sujets concernant la diaspora libanaise et affiche clairement une position défendant l’indépendance du Liban. Certains reprochent d’ailleurs au journal sa partialité et critiquent ses positions promaronites et antiorthodoxes. Lors de la brève existence d’al-Asr, Naoum Moukarzel était d’ailleurs régulièrement en conflit avec les Arbeelys, une famille grecque-orthodoxe originaire de Damas qui avait lancé sa propre publication, Kawkab America.


Un même talent, des approches différentes
Alors que Naoum Moukarzel poursuit une brillante carrière, son petit frère émigre également aux États-Unis. Salloum brille rapidement dans le même domaine. En 1909, il crée et publie un catalogue regroupant les données sur les hommes d’affaires syriens aux États-Unis. En 1910, il enregistre un brevet d’invention pour une machine Linotype en arabe. Grâce à lui, les journaux et les magazines imprimés en arabe explosent partout dans le monde : en Amérique latine, au Moyen-Orient…

« À titre d’exemple, le grand journal égyptien al-Ahram s’est développé grâce à cette machine. À ce titre, on peut facilement considérer Salloum comme un véritable pionnier dans le domaine de la technologie », ajoute Edmund Ghareeb. Fort de ce succès, il fonde également la maison d’édition The Syrian-American Press, qui édite des études scientifiques ainsi qu’un journal commercial.

Toutefois, si les deux frères ont les mêmes centres d’intérêt et travaillent dans le même domaine, ils ne perçoivent pas les choses sous le même angle. « Naoum s’identifie comme purement libanais et devient la voix de la francophonie maronite à New York. Salloum, quant à lui, se présente toujours comme un Syro-Américain », note dans sa thèse de doctorat la chercheuse Stacy Fahrenthold. Cette perception identitaire antagoniste aura des répercussions professionnelles sur les deux hommes. Si Naoum reste attaché à la publication d’al-Huda en arabe, son frère va opter pour des publications en anglais. Salloum s’intéresse aux secondes générations de Libano-Américains et Syro-Américains et fonde des clubs pour les rassembler.

En 1932, Naoum décède lors d’une visite officielle à Paris, où il représentait la communauté diasporique libanaise et luttait pour l’indépendance du Liban. Après sa disparition, son frère prendra la relève et gardera al-Huda jusqu’en 1952, l’année de sa mort. Sa fille aînée Mary s’occupera du journal jusqu’en 1972, date à laquelle la publication tire sa révérence.

La longue durée de vie de ce journal aura permis aux Libano-Américains de garder un lien avec leur pays d’origine et de comprendre la richesse de leur histoire. Il aura aussi contribué au rayonnement du Liban à l’étranger. Et Freiké, où sont enterrés les deux frères Moukarzel, est fier de ce riche patrimoine.


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