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Santé - Tribune

Les conséquences de la classification dépassée des drogues

Le cannabis a été placé en 1936 dans le tableau des substances les plus addictives, rendant l’accès des chercheurs à cette substance difficile et très long. Photo Bigstock

Légales, illégales, licites, illicites, prescrites, proscrites, promues, diabolisées, célébrées, honnies… la liste des caractéristiques présumées ou réelles des substances provoquant un effet psychoactif est longue. Il en est de même de la méconnaissance générale de ces substances, autant de leurs bienfaits que de leurs méfaits.

Cette confusion sur les drogues et la séparation des substances légales de celles illégales, sans base scientifique solide, vient du « péché originel » du système mondial de contrôle des drogues : la classification des substances psychoactives. Ce système international a été consolidé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec pour objectif l’élimination de l’usage des substances psychoactives considérées nocives lorsqu’elles sont consommées pour le plaisir et avec pour définition de cette nocivité le potentiel d’addiction de chaque substance. Les substances et leurs effets connus sont étudiés par un comité d’experts auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ses recommandations servent de base aux pays membres de l’ONU pour définir les substances à bannir, les classant à cet effet dans des tableaux de contrôle allant des substances les plus addictives à celles qui ne présentent aucune valeur thérapeutique.

Ce système, qui a commencé à être mis en place dès 1931, a été marqué par les intérêts commerciaux et culturels des puissances coloniales à l’époque afin de réguler les marchés qu’elles contrôlaient (opium légal en Inde sous domination britannique, régie du kif – cannabis – et du tabac au Maroc sous protectorat français). Ce système a évolué après 1945 avec de nouveaux objectifs : éliminer l’usage récréatif des drogues illégales et combattre l’addiction, d’une part, assurer l’accès à ces drogues illégales pour les deux raisons considérées légitimes que sont l’usage médical et la recherche scientifique, d’autre part.

Le premier pas visait à éliminer les substances importées – et méconnues – par les pays du Nord (cannabis, héroïne, etc.) où résidaient la grande majorité des consommateurs au pouvoir d’achat nécessaire et où la dépendance augmentait rapidement. Ainsi, tout en choisissant de baser le système de classification sur le potentiel addictif d’une substance, les pays (avec les États-Unis en tête des puissances consolidant ce système à la sortie de la guerre, au moment de la reconstruction de l’Europe et de la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie) en ont exclu les substances importantes culturellement et socialement dans nos sociétés occidentales, principalement le tabac et l’alcool.

De plus, alors qu’un comité d’experts de l’OMS est chargé d’étudier la littérature scientifique existante afin de recommander la classification ou non d’une substance, cette recherche est entravée par la difficulté qu’ont les chercheurs à accéder aux substances. Le cannabis, à titre d’exemple, a été placé en 1936 dans le tableau des substances les plus addictives, rendant l’accès des chercheurs à cette substance difficile et très long. Ainsi, la littérature existante sur le cannabis est limitée, alors que la substance est utilisée par près de 200 millions de personnes dans le monde (selon les données limitées dont nous disposons, basées seulement sur les arrestations policières ou les demandes de traitement des consommateurs, laissant de côté une grande partie de consommateurs non touchés par les systèmes judiciaires ou sanitaires).

Aujourd’hui, presque 300 substances sont classées et contrôlées au niveau mondial. Celles qui ont été récemment ajoutées l’ont été selon des critères scientifiquement viables. Celles classées avant les années 2000 l’ont été selon des critères culturels et commerciaux sans lien avec le potentiel addictif.

Ce système de classification devient de plus en plus problématique lorsqu’on prend en compte le développement inexorable de la « poly-addiction » dans la société, la prolifération de nouvelles substances, chacun pouvant devenir un chimiste dans sa propre cuisine, son impact sur la surpopulation carcérale, et la confrontation des forces de l’ordre et des citoyens prenant part à ce commerce illégal dans les quartiers les plus déprimés économiquement et socialement.

La classification erronée des drogues, ce « péché originel », a été à la source des autres maux de la politique en matière de drogues. Aussi, les programmes de prévention ne peuvent pas être efficaces s’ils présentent une situation différente du vécu des usagers de drogues. De plus, les traitements ne peuvent connaître l’adhésion des patients s’ils leurs sont imposés, l’incarcération ne peut agir comme repoussoir si elle s’inscrit dans le cadre du cycle de vie de personnes venant déjà de milieux marginalisés. Enfin, la recherche scientifique ne peut progresser face aux niveaux de stigmatisation que le monde a développés de manière hystérique contre des substances qui sont naturelles ou synthétiques, mais surtout manipulées et modifiées par le comportement humain.

*Khalid Tinasti est secrétaire exécutif de la Commission globale de politique en matière de drogues**, et chercheur au GSI à l’Université de Genève.

**La Commission globale de politique en matière de drogues a été créée en 2011 par des responsables politiques et des personnalités des sphères culturelle et économique. Elle compte actuellement 27 membres, dont 14 anciens chefs d’État ou de gouvernement, et quatre lauréats du prix Nobel. La commission s’est donné pour mission de promouvoir des réformes des politiques en matière de drogues sur la base de faits scientifiquement avérés qui s’inscrivent dans le cadre des politiques de santé publique, d’intégration sociale et de sécurité, dans le strict respect des droits humains.


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