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Société - Social

Beit Jdoudna : maison du bonheur pour têtes blanches sans abris

Ils s’appellent ammo Khaled, ammo Youssef, ammo Salim. À 80 ans passés, ils savourent pour la première fois la chaleur d’un vrai foyer et la douceur d’un lit douillet dans une vieille demeure au cœur de Beit-Méry.

« Dix enfants, mais aucun ne m’a tendu la main lorsque j’étais dans la misère », raconte tristement ammo Khaled.

Dans le jardin d’une petite maison de pierres à Beit-Méry, huit vieux sirotent doucement leur café du matin sous les pâles reflets du soleil de janvier. De leurs années passées dans la rue ou dans des maisons insalubres, c’est « la solitude, l’angoisse et surtout cette tristesse d’avoir été abandonnés par leurs familles », qui ont été les plus dures à supporter. « Dix enfants, mais aucun ne m’a tendu la main lorsque j’étais dans la misère », raconte doucement ammo Khaled, 83 ans, la gorge nouée par l’émotion aux souvenirs de ces dix années passées dans les rues de Saïda. « Là-bas, vous n’existez plus au regard des autres. Il n’y a que Dieu qui vous aide dans ces moments-là », poursuit-il. Pour subvenir à ses besoins, il ramasse de la ferraille des poubelles et les revend à 8 000 livres le sac. Il y a deux mois, un homme le remarque et lui propose de l’emmener à Beit Jdoudna, une maison qui recueille les sans-abris. « Au tout début, je n’y croyais pas, poursuit le vieil homme. Mais lorsque j’ai vu cette femme qui a pris la peine de s’asseoir sur ma couche insalubre, de me parler avec douceur, j’ai éclaté en sanglots. Pour la première fois, je me sentais redevenir un être humain digne de respect, dit-il en regardant tendrement celle qui les a sauvés de la misère : Yara Bou Aoun.

Ce jour-là, j’ai compris que c’était le bon Dieu qui m’envoyait un “ange du ciel”. » ammo Michel écoute en silence l’histoire de son nouveau compagnon de vie. Discrètement, il essuie les larmes qui coulent sur ses joues. Arrivé il y a deux jours à Beit Jdoudna, cet homme de 85 ans ne parvient pas oublier les dernières années de honte subies depuis son retour au Liban en provenance d’Arabie saoudite. « Ma femme m’a chassé de la maison, et a même monté les enfants contre moi. Elle n’a jamais accepté que je travaille chez des musulmans », raconte-t-il hargneusement. Jeté dans la rue, il se voit contraint de travailler auprès d’un homme qui l’a exploité, lui offrant un toit et une couchette en contrepartie du travail effectué. « Lorsque j’ai contacté mon fils de 40 ans, pour lui raconter l’état désastreux dans lequel je me trouvais, il m’a raccroché au nez sans même vouloir m’écouter. J’ai compris que je n’avais plus d’autres choix. J’ai préféré encore cette humiliation, à la solitude de la rue. » Il se tait, éclate en sanglots et se lève marcher dans ce petit jardin, devenu aujourd’hui son nouveau refuge.


(Lire aussi : Les retraités extrêmement vulnérables face à la crise)


Onze pensionnaires
Dans cette maison du bonheur, onze pensionnaires retrouvent une chaleur et une dignité perdues. Au-delà d’un toit et d’une couchette, c’est beaucoup d’amour qu’offre Yara Bou Aoun à ces vieux oubliés de tous. Car la générosité et le don de soi, la jeune femme les a dans son ADN depuis ses années de scoutisme et grâce à de bonnes actions qu’elle entreprenait avec ses amies de classe qui ont forgé sa personnalité. Mais c’est son amour pour ses grands-parents qui l’ont surtout poussée à se pencher sur la détresse des personnes âgées. « En me remémorant tous les bons moments passés avec mes grands-parents et le bonheur que je percevais dans leur regard, j’ai décidé qu’un jour je redonnerai aux personnes du troisième âge autant d’amour et de bonheur que j’ai reçus. »

Avec quelques volontaires et ses fidèles compagnons de route, elle décide en avril 2019 d’ouvrir à Roumieh la première maison de Beit Jdoudna, « qui fermera ses portes quelques mois plus tard, à cause de l’hostilité des voisins et de la municipalité qui considéraient que ces hommes n’étaient pas dignes de vivre parmi la population du village », raconte-t-elle tristement.

Quatre mois plus tard, le Collège des Frères de Beit-Méry lui propose de louer la petite maison attenante au collège, à raison de 1 000 dollars le mois. Beit Jdoudna rouvre ses portes au mois d’octobre. Aidée de médecins volontaires, de jeunes qui consacrent un peu de leur temps aux personnes âgées, après leur travail ou leurs études, la famille de Beit Jdoudna s’agrandit ; les demandes aussi. « Nous accueillons aujourd’hui 11 anciens, et les demandes ne font qu’augmenter, déplore doucement Yara Bou Aoun. Tous les jours, on m’appelle pour m’indiquer l’existence d’une personne du troisième âge dans la rue. Je vais à sa rencontre. Je m’installe près de lui, sur son matelas, et j’écoute son histoire. C’est important de vivre leur misère, pour mieux comprendre leurs souffrances. La seule condition que j’exige, c’est qu’ils ne soient pas impliqués dans la drogue ou dans des histoires louches. À ce moment-là, je leur propose de venir avec moi à Beit Jdoudna. »

Comment arrive-t-elle à gérer tous ces hommes au passé si douloureux ? « En leur donnant beaucoup d’amour et surtout en les faisant sentir qu’ils font partie à présent d’une famille et qu’ils doivent donner autant qu’ils reçoivent. » Yara Bou Aoun s’interrompt. Un jeune du village leur ramène des bûches de bois pour le chauffage. « Les gens ici sont extraordinaires, dit-elle reconnaissante. Souvent les agents municipaux se proposent de conduire ces pensionnaires au village, pour se faire couper gratuitement les cheveux ou se raser. L’épicier du coin leur offre de petites denrées. Cette solidarité les a fait oublier l’humiliation ressentie à Roumieh. » Aujourd’hui, la jeune femme n’a qu’un rêve : accueillir encore plus de personnes du troisième âge. Malheureusement, elle ne possède pas les fonds nécessaires pour aménager le salon et ajouter des lits. Mais elle sait que la providence ne la lâchera pas. « La générosité des Libanais n’est plus à décrire, dit-elle confiante. Je sais que cet argent pour bâtir cette chambre, Dieu me l’enverra. » Et lorsqu’on voit le sourire qui se dessine à travers les larmes de ses hôtes, on comprend tout ce que ce foyer, rempli d’amour et de chaleur, représente pour eux.

Dans le jardin d’une petite maison de pierres à Beit-Méry, huit vieux sirotent doucement leur café du matin sous les pâles reflets du soleil de janvier. De leurs années passées dans la rue ou dans des maisons insalubres, c’est « la solitude, l’angoisse et surtout cette tristesse d’avoir été abandonnés par leurs familles », qui ont été les plus dures à supporter....

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Que Dieu vous bénisse Yara ABOU Aoun

Robert Moumdjian

04 h 35, le 24 janvier 2020

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  • Que Dieu vous bénisse Yara ABOU Aoun

    Robert Moumdjian

    04 h 35, le 24 janvier 2020

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