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Sourire malgré tout

Vous vous levez le matin, vous êtes dans la même maison, dans le même décor que la veille. Vous sortez dans la rue, vous croisez les mêmes visages, rendez les mêmes sourires. Vous longez les mêmes façades et les mêmes parcmètres, évitez le trou immémorial du trottoir, rêvassez devant les mêmes vitrines. Assurément, n’étaient les quelques traces de casse et autres graffitis sauvages, seuls témoins du passage capricieux et récurrent de l’histoire dans votre quartier, vous auriez presque l’illusion d’entamer une année de plus dans le même pays, insipide et monotone comme peut l’être le bonheur quand il est ignorant de lui-même. Cependant, vous le savez, que ces sourires qu’on vous offre sont pris sur une vieille réserve qu’on gardait pour les temps arides, teintés qu’ils sont d’élégante tristesse, parce que tout le monde vit quelque chose qui ressemble à une fin et que les sourires ont le pouvoir de changer la fin. Vous savez aussi que la vitrine qui vous attire ne sera pas redécorée de sitôt, si toutefois le magasin reste ouvert. Et ce trou du trottoir, vous savez aussi qu’il restera béant et que nul ne se souciera de le réparer avant longtemps. Et ce parcmètre, vous voyez bien qu’il est condamné.

Aurez-vous le courage d’aller à la banque ce matin? Mais si ce n’était pour payer quelques broutilles, argent de poche des enfants, courses rituelles chez l’épicier, pourboires et modestes salaires, quelle urgence auriez-vous de retirer de l’argent liquide, les paiements par chèque et carte n’étant pas restreints ? Depuis quelques semaines, aller à la banque disputer quelques billets au guichetier est une nouvelle routine, et accumuler de l’argent chez soi un dérisoire réflexe de survie à court terme. Aurez-vous le courage d’aller faire un supermarché? Subir le consternant spectacle des rayons qui se vident, des marques qui disparaissent et des prix qui forcément écourteront votre liste ? Et puis encore, croiser le douloureux miroir que vous renvoient vos contemporains, comme vous saisis de confusion, encore ces sourires tristes de grands malades dont le corps tient encore si vaillamment qu’ils se croiraient en bonne santé, n’était le flou glauque qui entoure le temps qu’il leur reste…

Et pourtant, tout semble si normal. On en viendrait presque à regretter les bonnes vieilles guerres dont le bruit et le danger exaltaient notre attachement à la vie. Que nous arrive-t-il ? De toute notre histoire pourtant tumultueuse, jamais nous n’avons ressenti un tel dégoût, une telle perte de confiance tant en nous-mêmes qu’en ceux qui prétendent nous gouverner. Le système bancaire qui faisait la fierté de ce pays n’est même plus un repère, la monnaie nationale semble virtuelle. Le Liban est-il perdu ? Combien de temps sera-t-il nécessaire pour défaire la malédiction que lui ont infligée ces apprentis sorciers qui s’accrochent encore à ses rênes et se disputent qui la place du cocher, qui celle de la mouche quand il n’y plus à bord un seul passager ?

À ceux qui reprochent aux rebelles le blocage des routes et les quelques actes de vandalisme propres à toute contestation, regardez bien. Tout est mort, vous les premiers. Le Liban que vous avez connu n’existe plus, tant mieux sans doute. Il reste cette sève merveilleuse, cette promesse de printemps que portent ceux qu’on arrête et qu’on brutalise, ces femmes et ces hommes libres et fiers qui refusent de céder à la résignation et rêvent d’un monde conscient, équitable et vrai. Ceux-là ne donneront pas une seconde chance à des partis obsolètes qui n’ont jamais su que perdre en criant victoire. Regardez mieux. La différence entre vous et ces jeunes, c’est qu’ils n’ont rien à perdre, même plus leur pays; mais ils croient à la lumière qu’ils arrachent de leurs ongles à l’obscurité du tunnel.

Vous vous levez le matin, vous êtes dans la même maison, dans le même décor que la veille. Vous sortez dans la rue, vous croisez les mêmes visages, rendez les mêmes sourires. Vous longez les mêmes façades et les mêmes parcmètres, évitez le trou immémorial du trottoir, rêvassez devant les mêmes vitrines. Assurément, n’étaient les quelques traces de casse et autres graffitis...

commentaires (5)

"mais ils croient à la lumière qu’ils arrachent de leurs ongles à l’obscurité du tunnel." Merci 1000 fois Fifi pour cette phrase superbe qui résume la puissane l'ardeur et le patriotisme d'une jeunesse Héroïque!!

Wlek Sanferlou

13 h 17, le 16 janvier 2020

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Commentaires (5)

  • "mais ils croient à la lumière qu’ils arrachent de leurs ongles à l’obscurité du tunnel." Merci 1000 fois Fifi pour cette phrase superbe qui résume la puissane l'ardeur et le patriotisme d'une jeunesse Héroïque!!

    Wlek Sanferlou

    13 h 17, le 16 janvier 2020

  • Un sourire coûte moins cher mais donne autant d'électricité. C'est pas perso que je le dis , mais je ne m'imagine pas un instant voir l'auteur de cet article sourire. Fifi est plus dans le mélodrame des chimères du passé nostalgique .

    FRIK-A-FRAK

    13 h 06, le 16 janvier 2020

  • AVEC CE QUI SE PASSE ET LA SITUATION SANS ESPOIR... A CAUSE DES HEZBO-AMAL-CPL... IL FAUT PRENDRE SON COURAGE A DEUX MAINS POUR DES SIMULACRES DE SOURIRES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 37, le 16 janvier 2020

  • Un pays de Zombie

    Nadine Naccache

    10 h 32, le 16 janvier 2020

  • sourire ,pour cacher la tristesse; cela juste avant le courage d'agir selon ses espoirs;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    09 h 59, le 16 janvier 2020

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