La crise institutionnelle à laquelle est de nouveau confronté le Liban, illustrée par l’incapacité du Premier ministre désigné, Hassane Diab, à mettre en place un gouvernement à une période aussi délicate, est venue démontrer une fois de plus que le problème est foncièrement structurel. À ce jour, l’expérience a montré que quel que soit le choix du Premier ministre, les blocages récurrents au niveau de la formation des différents cabinets, mais aussi de leur fonctionnement au quotidien, prouvent que tout le système en place recèle des dysfonctionnements majeurs devenus de plus en plus insurmontables. D’où, comme le prédisent certains analystes, l’effondrement latent d’un système politique qui a aujourd’hui besoin d’être repensé à la lumière de la grave crise de confiance que traverse le pays.
Bien qu’ayant tenté par tous les moyens de former une équipe de technocrates indépendants chargée de mettre en place un plan de sauvetage pour le pays, le Premier ministre désigné, Hassane Diab, qui croyait pouvoir tabler sur une marge de manœuvre plus élargie du fait des circonstances exceptionnelles que traverse le pays, a dû très vite déchanter. Confronté aux manœuvres orchestrées en coulisses et destinées à lui imposer la traditionnelle répartition des quotes-parts politiques et confessionnelles, il a fini par se rendre à l’évidence et constater que le système reste verrouillé par les principales forces politiques en présence, à savoir le tandem chiite et le Courant patriotique libre qui dictent désormais à eux trois la règle du jeu depuis que Saad Hariri s’est retiré de la scène.
Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté à une paralysie du système. La formation des précédents gouvernements a été tout aussi ardue et le principe est resté le même : le partage du gâteau entre les forces politiques en présence, proportionnellement à leur poids de représentation qu’elles font valoir comme critère de légitimité.
Une pratique qui a fini par être érigée en règle bien qu’elle ne trouve aucunement sa justification dans la Constitution. Ainsi, la norme des gouvernements dits d’union nationale, ou « rassembleurs », pour reprendre la dernière formule élaborée par le président du Parlement, Nabih Berry, n’est au final que la concrétisation de l’alliance concoctée entre les membres d’un club fermé dans lequel les nouveaux venus, en l’occurrence des technocrates indépendants, ne peuvent pas être admis.
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Fonctionnement antidémocratique
Devenu la règle depuis les accords de Taëf, le principe des gouvernements d’union nationale « est une hérésie en soi », constate Karim Bitar, politologue.
« Avec le temps, ces gouvernements sont devenus des gouvernements de sclérose nationale. À chaque fois, leur durée de vie était à peine supérieure au temps qu’il aura fallu pour les former », ironise M. Bitar, qui souligne que ces cabinets ne sont qu’un conseil d’administration avec des actionnaires qui essayent de se faire représenter par un fondé de pouvoir et des droits de veto mutuel. « C’est un fonctionnement profondément antidémocratique qui empêche toute reddition de comptes », déplore le politologue.
C’est ce que constate également l’analyste politique Mounir Rabih qui souligne que la démocratie que le Liban avait connue à un moment de son histoire n’existe plus. Selon lui, le système libanais est entré dans une phase de transition depuis 2005, date de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, dont la disparition a bouleversé les équilibres politiques en présence. Mais c’est surtout depuis le compromis présidentiel conclu en 2016 entre les principales composantes politiques que le Liban est entré dans une nouvelle phase fondée sur des accommodements entre les principales forces en présence qui définissent désormais la trajectoire et le cours de la vie politique, en paralysant comme bon leur semble, et à tour de rôle, la Constitution.
« Nous sommes désormais dans un système autocratique commandé par une alliance unique qui impose une démocratie consensuelle, éliminant toute forme d’opposition », constate l’analyste. L’effondrement actuel ne serait par conséquent que la résultante de ce parcours tantôt ponctué de périodes d’entente, tantôt de conflits aigus entre les différentes forces politiques.
Les dérives constatées ont été motivées non seulement par les nouvelles règles du jeu politique imposées par les protagonistes, mais également par le fait que la Constitution recèle de multiples failles qui laissent le champ libre à des interprétations fantaisistes et taillées sur mesure.
Le dernier exemple en date, rappelle Ghassan el-Ezzé, professeur de sciences politiques à l’UL, est l’attitude pour le moins arbitraire du chef de l’État qui a tergiversé pendant des semaines après la démission de Saad Hariri avant d’appeler à la tenue de consultations parlementaires pour désigner le nouveau Premier ministre. Plus grave encore, « l’hérésie » que constituent les tentatives du président de former un gouvernement en coulisses bien avant la désignation du Premier ministre, ou encore le fait que Hassane Diab puisse refuser de rendre le tablier ad vitam æternam en s’armant de la procédure de sa nomination, aucune clause dans la Constitution ne prévoyant une issue au blocage.
« Nous avons atteint un record en matière de déviations et de pratiques qui visent à préserver les acquis politiques des uns et des autres dans un climat général de déliquescence », commente M. Ezzé.
Plusieurs analystes en conviennent : le système actuel a prouvé ses limites et son inefficacité et ne saurait par conséquent contribuer à un redressement quelconque des institutions tel que souhaité par le mouvement de contestation dont les revendications de réforme sont restées lettre morte à ce jour.
Pour Karim Bitar, il faut saisir l’opportunité de cette crise « pour relancer une vaste réflexion sur les institutions libanaises et revenir sur un gouvernement plus ou moins soudé qui ne soit pas nécessairement représentatif de tous les partis qui se trouvent au Parlement ».
Un wishful thinking auquel Ghassan el-Ezzé ne croit pas trop, tant que certains acteurs politiques sont des « instruments aux mains de puissances étrangères qui n’ont cure de changer la situation ».
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commentaires (11)
Il faut qu'ils aillent aussi protester devant la maison de Berry et Bassil
Eleni Caridopoulou
21 h 31, le 14 janvier 2020