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Monde - Éclairage

Le parapluie sécuritaire US au centre des inquiétudes des pays du Golfe

Les membres du CCG ont activé leurs canaux diplomatiques en coulisses afin de calmer le jeu entre Washington et Téhéran, après l’élimination de Soleimani.

Après avoir retenu leur souffle au cours des dernières vingt-quatre heures, les pays du Golfe peuvent être rassurés : les États-Unis n’iront pas à la confrontation avec l’Iran. Cela pourrait cependant ne pas suffire à dissiper leurs craintes quant à une fragilisation de leur alliance avec Washington sur le plan sécuritaire.

Depuis l’élimination du général iranien Kassem Soleimani le 3 janvier à l’aéroport de Bagdad dans une attaque américaine, les membres du Conseil de coopération du Golfe avaient misé sur une politique du silence tout en activant leurs canaux diplomatiques en coulisses afin de calmer le jeu entre Washington et Téhéran. Précédant le discours du président américain Donald Trump hier, la République islamique avait menacé de s’en prendre « à Israël et aux alliés des États-Unis » dans la région. Une déclaration qui vise implicitement les pays de la péninsule Arabique alors qu’ils entretiennent des liens étroits avec Washington et où sont déployées quelque 40 000 soldats américains répartis sur différentes bases en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Qatar, au Koweït ou encore à Bahreïn. Dans la nuit de mardi à mercredi, la République islamique a lancé des missiles balistiques sur deux bases occupées par les forces américaines et de la coalition pour la lutte contre l’État islamique en Irak, al-Assad et Erbil. En cas d’une nouvelle attaque américaine, Téhéran a promis hier des « réponses encore plus dévastatrices ». Ayant conscience d’être des cibles potentielles de choix pour Téhéran, « tous les pays du Conseil de coopération du Golfe ont peur de ce que l’Iran pourrait faire ensuite », observe Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, contacté par L’Orient-Le Jour. « Ils ont été surpris par la radicalité de l’escalade du point de vue des Américains. Personne ne s’attendait vraiment à ce qu’ils s’en prennent à Soleimani car ils savent ce qu’il signifie pour le régime iranien et pour la guerre à travers ses supplétifs dans la région », souligne-t-il. « Les enjeux pour ces pays sont existentiels », souligne pour sa part Bruce Riedel, ex-responsable au sein de la CIA et chercheur à la Brookings Institution. « Les États du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les EAU, sont parfaitement conscients de leur vulnérabilité face à l’Iran », ajoute-t-il.

Pas d’appétit pour la confrontation

La tendance est désormais à la désescalade dans le Golfe alors que la tension était déjà montée au cours de l’année dernière suite au sabotage non revendiqué de quatre navires au large des EAU – dont deux étaient saoudiens – peu après le durcissement des sanctions américaines contre l’Iran. Téhéran a été accusé par Riyad et Washington d’avoir également mené d’autres attaques contre des pétroliers le mois suivant en mer d’Oman. Asphyxiée économiquement depuis le rétablissement des sanctions américaines, la République islamique menace régulièrement de bloquer le détroit d’Ormuz par lequel transite un tiers du pétrole transporté par voie maritime dans le monde.

Après un été sous haute tension, l’escalade s’était finalement cristallisée à la mi-septembre autour des attaques sur les sites pétroliers d’Abqaiq et de Khurais du géant pétrolier saoudien Aramco, revendiquées par les houthis au Yémen mais également attribuées à l’Iran par les États-Unis et l’Arabie saoudite. Washington n’avait pas répondu à l’attaque, laissant penser que la politique de dissuasion de l’administration Trump ne concerne pas le Golfe. Souhaitant éviter à tout prix une confrontation armée dans la péninsule Arabique, « Abou Dhabi, Riyad et Doha se sont engagés directement ou indirectement avec les Iraniens pour éviter que cela n’aille pas plus loin », rappelle Andreas Krieg.

« Alors que les EAU et l’Arabie saoudite se préparent à accueillir des événements internationaux plus tard cette année – Dubai Expo (20 octobre) et le G20 (22 novembre) –, il n’y a pas d’appétit pour une confrontation qui les mettrait en doute, d’autant plus que des questions sont posées dans la région sur la nature des garanties de sécurité américaines après l’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes », explique Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice.

Les États-Unis ont cependant renforcé leur présence en Arabie saoudite après les attaques d’Aramco avec le déploiement de 3 000 soldats supplémentaires et de matériel militaire, après avoir déjà déployé plusieurs dizaines de milliers de militaires dans l’ensemble de la région. À la lumière des récents événements, le Pentagone a envoyé quelque 4 500 hommes supplémentaires au Moyen-Orient, avec près de 4 000 issus de la 82e division aéroportée au Koweït, a rapporté le New York Times. Un tweet publié par l’agence koweïtienne KUNA a semé la confusion pendant quelques minutes. Alors qu’elle rapportait dans un premier temps que le ministre koweïtien de la Défense avait été informé par le commandant des forces américaines au Koweït leur intention de se retirer du camp d’Arijfan sous les trois prochains jours, KUNA a ensuite démenti l’information, affirmant que son compte Twitter avait été piraté.

Inquiétude

Le plus grand nombre de troupes américaines se trouve toutefois au Qatar, dans la base aérienne d’al-Udeid depuis la fin des années 1990. Hébergeant 13 000 hommes, elle constitue la plus grande base américaine au Moyen-Orient. « Elle accueille aussi les forces qataries et des troupes de la Royal Air Force britannique. À tel point qu’elle est devenue, avec le Commandement central des États-Unis, le poste de commandement notamment lors du déclenchement de la guerre et de l’invasion de l’Irak en 2003 et pour de nombreuses opérations menées en Afghanistan », indique Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et spécialiste des pays du Golfe à l’Université libre de Bruxelles. S’il peut être une cible de l’Iran du fait de la forte présence américaine sur son territoire, le Qatar entretient toutefois des liens cordiaux avec Téhéran – à l’inverse de l’Arabie saoudite et des EAU – lui conférant un statut particulier dans l’escalade de ces derniers jours.

L’inquiétude des pays du Golfe se fait d’autant plus sentir alors que l’absence de réaction américaine aux attaques d’Aramco en septembre dernier a ravivé les doutes quant au maintien du parapluie sécuritaire américain dans la région. Semblant vouloir se distancer du Golfe dans son discours hier, le président Trump a affirmé que les États-Unis « n’ont pas besoin du pétrole du Moyen-Orient », insistant sur leur « indépendance » et leur statut de « premier producteur de pétrole et de gaz naturel dans le monde ». Autant d’éléments qui pourraient fragiliser la confiance des pays du Golfe en leur allié américain et les encourager à revoir leurs stratégies de protection dans la région. « Nous pourrions donc assister à une accélération des efforts des États du CCG pour diversifier et approfondir leurs partenariats en matière de sécurité avec d’autres acteurs internationaux, incluant la Russie et la Chine mais aussi la Turquie et le Royaume-Uni, afin de réduire la dépendance à l’égard d’un fournisseur de moins en moins à même d’offrir des garanties de sécurité extérieure », note Kristian Ulrichsen.

Après avoir retenu leur souffle au cours des dernières vingt-quatre heures, les pays du Golfe peuvent être rassurés : les États-Unis n’iront pas à la confrontation avec l’Iran. Cela pourrait cependant ne pas suffire à dissiper leurs craintes quant à une fragilisation de leur alliance avec Washington sur le plan sécuritaire. Depuis l’élimination du général iranien Kassem...

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