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Moyen Orient et Monde - Syrie-reportage

« Tant que les cloches sonneront, nous résisterons »

Ils ont survécu tant bien que mal à la guerre contre le groupe État islamique, mais les chrétiens du Nord-Est syrien sont à nouveau menacés. Pris en étau dans le conflit qui oppose forces kurdes et supplétifs turcs, et alors que des cellules dormantes de l’EI continuent de tuer leurs prêtres, certains, à bout de souffle, résistent tant bien que mal.

« Tant que les cloches sonneront, nous résisterons »

L’église abandonnée de Oum al-Kayf. Photo Thibault Lefébure

Le village chrétien de Oum al-Kayf (nord de la Syrie) est peuplé de silence, seulement interrompu par le râle d’un chien mourant. À l’approche du crépuscule, l’endroit est baigné d’une douce lumière dorée. Bucolique, mais les apparences sont trompeuses. Les champs sont devenus un no man’s land et la rivière Khabour, une ligne de front. Trente-trois familles vivaient ici avant la guerre. La plupart sont parties en 2015 à l’arrivée du groupe État islamique, et deux de plus lorsque les milices soutenues par Ankara ont avancé depuis le nord en octobre dernier, prenant position dans la vallée du Khabour. La Turquie a lancé son opération « Source de paix » le 9 octobre pour déloger de sa frontière les YPG, qu’elle considère comme une organisation terroriste liée au PKK kurde turc. Entre-temps, les Russes ont comblé le vide laissé par le retrait partiel des Américains au moment de l’offensive menée par Ankara, alors que le régime syrien a profité de la situation pour redéployer ses forces dans certains villages.

Il ne reste désormais plus que trois familles d’irréductibles. « Nous ne pouvions pas abandonner notre maison et nos champs, où irions-nous? » se justifie Nina Moucheh, 55 ans.

Malgré deux accords de cessez-le-feu pour geler le conflit entre forces kurdes et supplétifs turcs, des affrontements sporadiques continuent. « Chaque nuit, on est réveillé par les échanges de tirs. On ne peut fermer les yeux qu’à la levée du jour, » se lamente cette grand-mère. Son fils, Touma, tient à nous montrer l’église du village. L’impact des mortiers lancés à l’époque par l’EI sont toujours visibles sur la façade. « Après la défaite de Daech, nous avions cru que nous pourrions enfin célébrer Noël. Puis, soudainement, une nouvelle guerre », raconte Touma, jetant un regard las vers la ligne de front, située à quelques centaines de mètres seulement. Cette année encore, l’église du village restera abandonnée. Le 25 décembre, les habitants de la région ont préféré se rendre à Tell Tamer, à une dizaine de kilomètres au sud-est.

Sous une brume d’encens, l’église dite de « La Sainte » est pleine à craquer en ce jour de Noël. Si elle est si remplie, c’est parce que c’est l’une des dernières toujours en activité. « On n’a pas pris la peine de reconstruire les églises détruites car de toute façon les villages sont vides, explique le père Boghos Ichaïya dans un soupir. Quelle tristesse de voir tous ces gens reconstruire une nouvelle vie loin d’ici. » Devant les portes de l’église, les habitants de la région se retrouvent dans une joyeuse cacophonie. Nina Moucheh est tout sourire. Elle qui vit désormais isolée sur une ligne de front ne cache pas sa joie de revoir du monde.


(Pour mémoire : À Qamichli, les chrétiens divisés, sauf face aux Turcs)

L’hémorragie des chrétiens de Syrie

De maison en maison, les histoires se ressemblent. Chez Jamila Akhtiar, les chaises vides autour de la tablée de Noël accueillent voisins et amis. « Toute notre famille est éparpillée entre l’Europe, le Canada, le Liban et l’Australie », énumère-t-elle. L’hémorragie des chrétiens de Syrie est incalculable, mais certains chiffres estiment que plus de 50 % de la population aurait trouvé refuge à l’étranger. Sur les quelque 20 000 habitants que comptait la vallée du Khabour avant l’invasion de l’EI, seuls 1 500 vivraient encore sur place, selon un responsable local. « Une vallée morte », se lamentent les habitants. Pris en étau entre forces kurdes et supplétifs turcs, certains craignent que ce nouveau conflit ne sonne le glas de la communauté chrétienne locale, déjà affaiblie par des années de guerre.

« J’ai dit aux Kurdes : faites attention, les Américains ne vont pas sacrifier leur relation avec la Turquie juste pour vos beaux yeux noirs. Ils auraient dû nous écouter. Au lieu de cela, la population a été sacrifiée », assène Mgr Antranig Ayvazian, évêque arménien-catholique du diocèse de Qamechli, tout en reprenant allègrement un récit de propagande rodé selon lequel le régime de Bachar el-Assad serait le seul protecteur des minorités. Pourtant, certains jeunes chrétiens confient leur crainte de voir le régime revenir, et avec lui le service militaire obligatoire.

Le chaos ambiant serait dû, selon l’évêque, à l’incapacité – l’incompétence – des forces kurdes à assurer la sécurité. Il en veut pour exemple le double meurtre, le mois dernier, du prêtre arménien Joseph Hanna Bedoyan, assassiné avec son père alors qu’il roulait vers Deir ez-Zor (est de la Syrie) pour inspecter le chantier de reconstruction d’une église. L’attaque a été revendiquée par l’EI. Les forces kurdes rétorquent que les violences menées par des cellules dormantes de l’organisation terroriste se sont multipliées ces derniers temps en raison de la grande instabilité créée par l’offensive turque.

« Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix », assène Yara Hanna, belle-sœur du défunt prêtre arménien. À côté d’elle, la matriarche de la famille essuie en silence les larmes qui coulent sur ses joues parcheminées. Depuis le double meurtre, un frère du prêtre a déjà plié bagage et sauté dans un avion pour l’Australie. Aujourd’hui, compte tenu de l’instabilité politique et du deuil qui a frappé sa famille, elle aussi rêve d’exode – « on partirait au galop ! » interrompt son mari Georges –, mais craint dès lors de contribuer à l’extinction d’une communauté chrétienne déjà trop fragile. « Nous devons rester, sinon nous allons disparaître, insiste-t-elle, son fils d’un an assis sur ses genoux. Tant que les cloches sonneront, nous résisterons. »


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Le village chrétien de Oum al-Kayf (nord de la Syrie) est peuplé de silence, seulement interrompu par le râle d’un chien mourant. À l’approche du crépuscule, l’endroit est baigné d’une douce lumière dorée. Bucolique, mais les apparences sont trompeuses. Les champs sont devenus un no man’s land et la rivière Khabour, une ligne de front. Trente-trois familles vivaient ici avant...

commentaires (3)

Attention aux chrétiens du Liban

Eleni Caridopoulou

18 h 11, le 27 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • Attention aux chrétiens du Liban

    Eleni Caridopoulou

    18 h 11, le 27 décembre 2019

  • C'est très beau comme titre : « Tant que les cloches sonneront, nous résisterons » Un jour viendra où les cloches ne sonneront plus... C.F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 45, le 27 décembre 2019

  • PAUVRES CHRETIENS DU MOYEN ORIENT ET NON SEULEMENT DE SYRIE ET D,IRAK VIVANT DANS DES MILIEUX FANARIQUES OBSCURANTISTES ET RACIAUX.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    07 h 43, le 27 décembre 2019

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