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Moyen Orient et Monde - Algérie

Mort d’Ahmad Gaïd Salah : quelles conséquences pour l’armée et le « Hirak » ?

Le décès soudain du chef d’état-major de l’armée algérienne pourrait constituer une opportunité pour le mouvement de contestation initié en février dernier.

Le général Ahmad Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne, assiste à la cérémonie d’investiture du nouveau président algérien, Abdelmajid Tebboune, à Alger. Ryad Kramdi/AFP

C’était il y a à peine dix jours. Le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Ahmad Gaïd Salah, s’empressait de féliciter Abdelmajid Tebboune au lendemain de sa victoire à l’élection présidentielle du 12 décembre. Un scrutin hautement controversé dont l’issue est perçue par le mouvement populaire algérien – ou « Hirak » – comme une mascarade politique, bien loin de ses revendications appelant à la « chute du système ». Personne n’aurait alors pu imaginer que celui que l’on considère comme l’homme fort du pays allait disparaître si vite, dans la nuit de dimanche 22 au lundi 23 décembre, des suites d’une crise cardiaque.

Le système, c’est lui qui l’incarnait au mieux. Depuis l’indépendance algérienne, l’armée et le pouvoir se confondent. C’est elle qui fait et défait les présidents. Tout au long de son histoire, elle n’a cessé de se présenter comme le symbole de la « libération nationale » . « La particularité de l’Armée nationale populaire, c’est que celui qui la dirige est celui qui contrôle tous les pouvoirs. Ahmad Gaïd Salah concentrait non seulement le pouvoir politique mais aussi le pouvoir sécuritaire. Sa mainmise s’étendait sur toutes les régions militaires et tous les appareils sécuritaires et de renseignements », explique à L’Orient-Le Jour Moussaab Hammoudi, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess). Si l’armée tire les ficelles de la politique, elle le fait généralement dans l’ombre, derrière une façade civile. Or, la démission de l’ancien président de la République Abdelaziz Bouteflika a projeté sur le devant de la scène la toute-puissance de l’état-major militaire autour de la figure contestée du général Gaïd Salah.C’est lui qui avait annoncé, le 26 mars dernier, l’application de l’article 102 de la Constitution qui permet de destituer le chef de l’État pour des motifs de santé. C’est lui qui a opposé une fin de non-recevoir aux demandes des protestataires, ces derniers appelant à des réformes structurelles, à la mise en place d’institutions de transition et au démantèlement du système. C’est encore lui qui a imposé l’élection du 12 décembre, décriée par les manifestants qui n’y ont vu qu’un moyen de préserver le régime en changeant simplement sa tête d’affiche.

En poste depuis 2004, le général Ahmad Gaïd Salah avait été nommé par M. Bouteflika, juste après la réélection de ce dernier. Il conservera ses fonctions pendant 15 ans, un record pour le pays. Affaibli à la suite d’un AVC, le chef de l’État l’affuble en 2013 d’un nouveau titre, celui de vice-ministre de la Défense. Certains diront qu’il devra ce témoignage de gratitude au soutien sans faille dont il aura fait preuve contre une partie de l’appareil sécuritaire du pays, fermement opposé au quatrième mandat que M. Bouteflika s’apprêtait à briguer en 2014. Dans ses dernières années de règne, alors qu’il est malade et inapte à gouverner, M. Gaïd Salah est à la manœuvre dans les coulisses du pouvoir.Face au « Hirak » , l’homme fort du régime joue dans un premier temps la carte de l’écoute, décidant de « nettoyer » le système. Après la destitution de M. Bouteflika, il fait arrêter son frère, Saïd, et les proches de ce dernier. Idem pour la première fortune privée du pays, Issad Rebrab, arrêté en avril. Idem également pour une partie de la classe politique du pays. À mesure que l’espace du pouvoir se vide, la silhouette d’Ahmad Gaïd Salah se fait de plus en plus imposante. Il devient la cible privilégiée des manifestants, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à réprimer de plus en plus violemment. Mais cette visibilité embarrasse l’état-major. Il attendait, de l’élection d’Abdelmajid Tebboune, un retour à la normale, celui d’une armée aux commandes et d’un pouvoir civil à sa solde.


Opportunité pour le « Hirak » ?
La mort soudaine d’Ahmad Gaïd Salah soulève plusieurs questions, pour l’armée, pour le mandat du nouveau président de la République et pour le « Hirak » . Elle rebat certaines cartes sans toutefois renverser la donne. « Derrière la figure du général Gaïd Salah, il y a toute une institution, il y a un état-major. Il y a donc d’autres figures au sein même de ce dernier qui sont très importantes et qui sont en train de “tirer les ficelles” », résume pour L’OLJ Dalia Ghanem, spécialiste de l’Algérie au sein du Carnegie Middle Est Center. « En revanche, cela va ébranler la configuration actuelle. On risque de voir de nouvelles personnes qui vont suivre la route de M. Gaïd Salah en 2004. À cette époque, personne ne le connaissait. C’est M. Bouteflika qui l’a ramené et c’est devenu l’homme fort du régime », ajoute-t-elle. Abdelmajid Tebboune a déjà nommé le général Saïd Chengriha chef d’état-major par intérim, en suivant le protocole qui veut que le chef de l’armée de terre prenne la relève à l’état-major.

Peu d’informations filtrent au sujet de M. Chengriha. « C’est quelqu’un qui n’a pas l’habitude de faire de la politique. Son passé est celui de quelqu’un qui était tout le temps sur le terrain. Il avait son escadron, des missions opérationnelles. Mais ce n’est pas quelqu’un qui a été impliqué dans la réflexion politique visant à protéger le système », commente Moussaab Hammoudi. Le flou entourant la personnalité de M. Chengriha et son passé avant tout « opérationnel » fait d’ailleurs craindre à certains une escalade possible de la violence contre le Hirak.

Autre inconnue, celle de l’impact que peut avoir la mort d’Ahmad Gaïd Salah sur le mandat du nouveau chef d’État. « Abdelmajid Tebboune se retrouve dans une position difficile depuis son élection, coincé entre une population qui le trouve illégitime et un État-major qui l’a amené au pouvoir mais qui peut faire pression sur lui pour les prises de décision importantes », analyse Dalia Ghanem. « Aujourd’hui, il l’est encore plus parce qu’il perd son appui », poursuit-elle. « La seule préoccupation de l’armée, c’est de garder le régime militaire dans les commandes et une façade civile qui essaye de le cacher », estime pour sa part M. Hammoudi.

La contestation algérienne pourrait toutefois trouver, dans la fin de l’ère Gaïd Salah, une opportunité de faire pression sur le pouvoir civil autour de quelques revendications principales. « Le Hirak doit profiter de ce moment de faiblesse pour l’État-major et pour le président Tebboune pour faire pression sur le leadership civil. Il faudrait qu’il multiplie les manifestations, peut-être qu’il organise une grève générale. C’est l’occasion de faire pression ne serait-ce que pour la libération des détenus politiques », avance Mme Ghanem. Une condition reste toutefois indispensable : que le mouvement ne se divise pas. Pour une partie de la contestation, la mort du chef d’État-major, la démission de Bouteflika, l’emprisonnement de leaders politiques et de magnats des affaires pourraient constituer des avancées. « Elle pourrait analyser cela comme une victoire, et donc faire défection », conclut Mme Ghanem.



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