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Ingénierie de crise

Pour familier qu’il puisse être du compas et de la règle à calcul, un ingénieur de profession peut-il toujours se doubler, sur commande, d’un virtuose de la course d’obstacles ?

Nombreuses et impressionnantes sont les haies attendant de tester les jarrets du Premier ministre désigné Hassane Diab. Inopinément propulsé dans la cour des grands, ce professeur de génie cybernétique et vice-président de la prestigieuse Université américaine de Beyrouth n’est pourtant pas tout à fait un novice, puisqu’il a déjà occupé les fonctions de ministre de l’Éducation. À en croire ses détracteurs qui s’en donnent à cœur joie sur la Toile, il n’a laissé dans ce département que deux souvenirs impérissables : une école publique abusivement débaptisée et dédiée à la mémoire de sa mère ; et un narcissique catalogue en papier glacé, réalisé aux frais de la princesse et relatant ses réalisations supposées, discours et photographies.


Loin de ces médisances cependant, c’est à un problème de représentativité communautaire que Diab se heurte d’emblée, puisque six députés sunnites seulement ont adhéré à la majorité parlementaire qui l’a désigné. À peine publié en effet le résultat des consultations, la rue sunnite entrait en ébullition ; l’agitation se poursuivait hier, à Beyrouth comme en province, malgré les appels à la retenue d’un Saad Hariri sans doute pas trop mécontent, au fond, de ces intempestives marques de fidélité. Ainsi est invariablement remise sur le tapis cette aberrante condition, devenue la règle ces temps-ci, d’une solide couverture sectaire pour chacun des individus promis aux plus hautes charges de l’État. Aberrante en effet, car elle est loin de garantir que le plus populaire parmi les siens est nécessairement le plus adéquat pour le poste, de même qu’elle pénalise injustement des talents certains, mais étrangers aux bains de foule. À l’heure précisément où des millions de Libanais clament leur rejet de ces rites politico-confessionnels grâce auxquels survit un establishment incompétent et corrompu, on ferait bien de réfléchir sérieusement à la question.


On en vient ainsi au deuxième test, celui de l’accueil que réserveront les foules au nouveau venu dans le club des présidents du Conseil. D’entrée de jeu, Hassane Diab a pris soin de caresser la colère populaire dans le sens du poil : et même de se réclamer d’elle qui, selon ses propres dires, a salutairement placé le pays sur la bonne voie. Au gré des visites protocolaires qu’il a rendues à ses prédécesseurs, hier, il allait jusqu’à rompre avec le jargon officiel pour reconnaître à la contestation la nature et le rang de révolution, et se promettait de recueillir ses vues lors de la formation du nouveau gouvernement.


Deux écueils cependant, dans ce torrent de louables intentions. Cette ouverture implique, pour une révolution qui a accompli le prodige de fondre toutes les sensibilités libanaises dans un chaudron véritablement national, l’obligation de désigner, à son tour, ses représentants. Sans même préjuger d’un niet catégorique des masses qui viendrait exclure toute négociation, y est-elle vraiment prête à ce stade ? Mais surtout Hassane Diab lui-même, qui se pose en indépendant, est-il seulement libre de ses options et mouvements, lui qui est porté à bout de bras par les trois principales bêtes noires des révolutionnaires, à savoir le camp présidentiel et le tandem Amal-Hezbollah ?


Non moins décisive sera la perception internationale d’un gouvernement déjà présenté par la presse étrangère comme celui de la milice pro-iranienne. Comble de l’ironie, celle-ci souhaitait plutôt faire profil bas, à l’heure où elle est la cible de sanctions américaines croissantes : elle aurait préféré donner le change au monde arabe et à l’Occident en se nichant dans les plis d’une hospitalière équipe Hariri sans rien perdre, bien sûr, de ses pouvoirs occultes. Ce sont, dès lors, l’insistance du Premier ministre démissionnaire à ne s’entourer que de technocrates non partisans, puis son désistement dans la course au Sérail, qui auront acculé les piliers du régime à une visibilité que tamise bien mal la stature académique de Hassane Diab.


Ce dernier obtiendra-t-il, comme il affirme s’y attendre, le soutien total des États-Unis et de l’Europe ? Remarquable à ce propos est le lapidaire message que véhicule depuis hier à Beyrouth le sous-secrétaire du département d’État américain David Hale : des réformes au plus vite, comme le réclament les manifestants, pour mettre fin à la corruption ambiante. On ne saurait évoquer en termes plus précis la triste, l’infamante réputation que traîne, au dehors comme à l’intérieur des frontières, la classe dirigeante libanaise : celle-là même dont la contribution est maintenant sollicitée pour un hypothétique grand ménage…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pour familier qu’il puisse être du compas et de la règle à calcul, un ingénieur de profession peut-il toujours se doubler, sur commande, d’un virtuose de la course d’obstacles ? Nombreuses et impressionnantes sont les haies attendant de tester les jarrets du Premier ministre désigné Hassane Diab. Inopinément propulsé dans la cour des grands, ce professeur de génie cybernétique et...