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Liban - Contestation

Place des Martyrs : "la révolution pacifique est derrière nous"

Razzias quotidiennes, heurts avec les forces de l’ordre... Mais pour certains, il ne s’agit pas pour autant d’un basculement vers un mouvement violent.

D’une tente incendiée place des Martyrs, ne restait hier qu’un amas de ferraille. Photos Suzanne Baaklini

Place des Martyrs, au niveau du monument, les stigmates de la (seconde) nuit de violences du week-end dernier sont encore bien visibles. Deux tentes ont été totalement incendiées dimanche soir, on distingue encore quelques vestiges de leurs bâches bleues. Les chaises en plastique de la grande tente qui servait de cuisine aux manifestants sont toujours empilées, mais c’est à peu près tout ce qui reste. L’autre tente n’est plus qu’un amas de ferraille.

« Si nous étions là hier ? Mais bien sûr ! Nous campons sur la place tous les jours ! » lancent tout sourire des jeunes en pleine discussion près de l’une des tentes en ruine. Ils ne se connaissaient pas avant la révolution, ils n’ont aucune affiliation politique mais ils forment désormais un groupe soudé. Et s’ils ne veulent pas être nommés, c’est que leurs ennuis avec les autorités sont désormais quotidiens.

Pour eux, l’identité de l’auteur de l’incendie des tentes ne fait pas de doute. « C’est un membre de la police du Parlement en tenue civile, nous l’avons identifié, affirme l’un d’eux. Nous l’avons vu brûler les deux tentes, il n’a pas pu en faire plus. Heureusement qu’il a eu maille à partir avec les services de renseignements de l’armée, qui lui ont assené une bonne raclée ! » dit un des jeunes.

Les heurts avec les Forces de sécurité intérieure (FSI), le principal appareil de sécurité sur la place, sont devenus quotidiens, sans que personne ne sache vraiment comment la situation dégénère à chaque fois.

La ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan (autorité de tutelle des FSI) a demandé aux manifestants « pacifiques » de sortir des places pour ne pas se retrouver « entre deux feux ». Quand on leur demande ce qu’ils pensent des conseils de Mme Hassan, les jeunes éclatent de rire. « Comment peut-elle nous demander de sortir des places alors que nous sommes là pour la déloger ? lance l’un d’eux. Les organismes étatiques n’ont le droit ni de nous demander de sortir de là ni de nous pourchasser dans les tentes pour nous arrêter, comme l’a fait un des agents de l’ordre avec moi. » Les manifestants expliquent la flambée du week-end, samedi et dimanche soir après des manifestations pourtant initialement très pacifiques sur Weygand, par le fait que l’institution visée était le Parlement et, surtout, parce que son chef est l’indétrônable Nabih Berry. « Il est inutile de se demander si les responsables coordonnent leur conduite à notre égard, nous pensons que c’est Nabih Berry qui mène le jeu, affirme un jeune homme. Le commandant de la police du Parlement est l’un de ses proches. La violence de tous les organismes est sans précédent (la police du Parlement est indépendante des FSI, NDLR). Alors que le Liban est signataire d’une convention internationale qui l’oblige à limiter l’usage des produits chimiques, ils nous visent directement avec des bombes lacrymogènes bourrées de substances chimiques. » Et les militants de nous montrer quantité de grenades explosées qu’ils gardent chez eux comme autant de preuves de la brutalité exercée contre eux.

Et il n’y a pas que les bombes lacrymogènes. « Un jeune homme a été tabassé si brutalement qu’il en a perdu la mémoire et a été hospitalisé », explique un manifestant. « La violence peut aussi être psychologique. Un matin, au réveil, nous avons découvert de la drogue autour de la tente. C’était une tentative de nous décrédibiliser », ajoute-t-il. Si la révolution prend une tournure plus violente, ils n’en restent pas moins attachés à ses fondamentaux, notamment le refus de tous les partis qui, disent-ils, avaient fini par investir la place en y dressant leurs tentes « mais ont détalé dès le début des hostilités ». Ces jeunes craignent-ils les développements à venir ? « Bien sûr que non ! Nous n’avons pas peur, nous restons là », répond une jeune femme, membre du groupe.


Razzias dès le soir tombé…

Un peu plus loin, dans le parking qui fait face à la mosquée Mohammad el-Amine, les tentes sont intactes, mais la colère n’en est pas moindre. Habib, un militant, fait état de razzias quotidiennes de la part de « jeunes à moto venus de Khandak el-Ghamik » (fief du tandem chiite Amal-Hezbollah), et qui s’étaient regroupés la veille sur le pont du Ring.

« Hier (dimanche), ce n’est pas seulement deux tentes qui devaient être incendiées, affirme-t-il. Il était aisé de voir que le plan des responsables était de nous sortir de la rue définitivement, en faisant tout endosser à ces pauvres jeunes de Khandak el-Ghamik, qu’on avait envoyés encore une fois contre nous. Nous en sommes venus aux mains et ils ont eu plusieurs blessés dans leurs rangs, ce qui a précipité leur départ. Il faut dire que des jeunes venus du Akkar, de Tripoli, de Jal el-Dib, de Jisr el-Bacha et d’ailleurs étaient là pour nous aider à faire face. »

Désormais, Habib s’attend à des rounds de violence quotidiens, dès la tombée de la nuit, et parle d’une nécessaire stratégie « d’autodéfense ». « La révolution pacifique est derrière nous, lâche-t-il. S’il n’y a pas un grand développement, comme une prise en charge de l’armée par exemple, je crains que ce ne soit long, très long, parce que les gouvernants actuels continuent à ne pas comprendre ce que veut la rue. » Tout comme les jeunes cités plus haut, Habib a davantage confiance dans l’armée que dans les autres organismes de sécurité et pense « que c’est grâce à la troupe que le pire a été évité durant les accrochages nocturnes dimanche ».


(Lire aussi : Déshérités d’hier et d’aujourd’hui, l’édito de Michel TOUMA)


Les limites de la violence

La « révolution pacifique » est-elle vraiment derrière nous ? Amine Issa, coordinateur de la direction politique au Bloc national, pense que ce diagnostic est à nuancer. « Depuis le début, les manifestants ne font qu’essuyer des agressions, dit-il. L’usage de la violence vient d’un seul côté. » Mais, selon lui, « même les forces politiques savent qu’il y a des limites à la violence, au-delà desquelles elles devront assumer des conséquences plus graves, sur la cohésion de l’armée par exemple, ou encore sur l’avenir économique du pays ».

Il n’empêche, poursuit en substance Amine Issa, que le mouvement est en train de prendre une nouvelle forme. « Ce week-end, j’ai observé les manifestants sur le terrain, raconte-t-il. Je me suis rendu compte qu’ils se divisent désormais en deux groupes. D’une part, les jeunes radicaux qui ne veulent rien céder jusqu’à la formation d’un gouvernement indépendant. Et de l’autre, le reste des citoyens, ceux qui sont parfois découragés par les accrochages, mais qui n’en demeurent pas moins radicaux dans leur opposition à la classe politique dans son ensemble. J’en veux pour preuve le traitement réservé à l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, hué et poussé à la sortie au cours d’un concert à l’AUB dimanche soir. Et il en aurait été de même pour n’importe quelle autre personnalité politique. »

Amine Issa pense que nous assistons à une redistribution des rôles très normale à ce stade du mouvement : les plus jeunes qui restent réactifs et présents sur le terrain, les moins jeunes qui sont quelque peu fatigués et doivent vaquer à leurs responsabilités quotidiennes. « Les manifestants prennent leurs propres décisions sur le terrain, constate-t-il. Le rôle des partis opposants et autres groupes de la société civile viendra ultérieurement, lorsqu’il faudra gérer un nouvel état de fait qui se sera imposé. »


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Place des Martyrs, au niveau du monument, les stigmates de la (seconde) nuit de violences du week-end dernier sont encore bien visibles. Deux tentes ont été totalement incendiées dimanche soir, on distingue encore quelques vestiges de leurs bâches bleues. Les chaises en plastique de la grande tente qui servait de cuisine aux manifestants sont toujours empilées, mais c’est à peu près tout...

commentaires (3)

Keloun, yaane Kelloun" Keloun, yaane Kelloun" Keloun, yaane Kelloun" Amiiin ya rab!

Wlek Sanferlou

13 h 48, le 17 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Keloun, yaane Kelloun" Keloun, yaane Kelloun" Keloun, yaane Kelloun" Amiiin ya rab!

    Wlek Sanferlou

    13 h 48, le 17 décembre 2019

  • Il y a des tissus anti-feu, donc qu'ils les utilisent pour refaire leur tentes.

    Eddy

    11 h 14, le 17 décembre 2019

  • C est trop genial....les manifestants ont perdu la peur messieurs les politiques corrompus !

    HABIBI FRANCAIS

    10 h 37, le 17 décembre 2019

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