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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’Inde de Modi passe un nouveau cap dans la discrimination envers les musulmans

Un mouvement de contestation contre une loi sur l’adoption de la nationalité jugée discriminatoire prend de l’ampleur.

Des manifestants contre la loi sur l’adoption de la nationalité hier à Chennai en Inde. Arun Sankar/AFP

La contestation musulmane est en train de prendre de l’ampleur en Inde. Dimanche, la grande université Jamia Millia Islamia de New Delhi a été le théâtre de heurts brutaux entre manifestants et forces de l’ordre, faisant 200 blessés dont principalement des étudiants. En cause : la très controversée loi sur la naturalisation des réfugiés, voulue par le président indien ultraconservateur Narendra Modi. La semaine dernière, le vote de la loi avait provoqué des affrontements violents au nord-est de l’Inde, dans la région de l’Assam, où six manifestants ont trouvé la mort et où l’accès à internet a été coupé.

La loi, ratifiée par les deux Chambres parlementaires indiennes, vise à accorder la nationalité aux sans-papiers ayant fui le Bangladesh, le Pakistan et l’Afghanistan vers l’Inde avant le 31 décembre 2014. Elle précise que les communautés hindoues, sikhs, jaïnistes, parsis, chrétiennes et bouddhistes peuvent recevoir la nationalité mais ne mentionne pas la communauté musulmane.

« C’est une manière de faire comprendre à tout le monde que les musulmans ne sont pas les bienvenus en Inde », décrypte Christophe Jaffrelot, politologue français spécialiste du sous-continent indien. En se basant sur des critères religieux, la loi va à l’encontre du principe de laïcité, pourtant inscrit dans la Constitution. Avec cette initiative, l’Inde passe un nouveau cap dans la marginalisation de la communauté musulmane, forte de 180 millions de personnes. Elle s’inscrit dans la continuité de la politique du Premier ministre, qui a été largement réélu en mai dernier.

Membre du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP), Narendra Modi n’a jamais caché son adhésion à la doctrine idéologique de l’hindutva, selon laquelle l’Inde appartient aux hindous. Son discours s’est toutefois durci au cours de ces derniers mois.

« Lors de son premier mandat, Narendra Modi a voulu cultiver son image de dirigeant et a su faire preuve de prudence. Maintenant qu’il a été réélu, ses réformes se font plus agressives et il applique son programme idéologique de manière bien plus directe », décrypte pour L’OLJ Abdul Basit, chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS) à Singapour. La loi sur la nationalité est le dernier exemple d’une série de mesures qui visent directement les musulmans. Le cas le plus flagrant en la matière reste la suppression brutale de l’autonomie de la province du Cachemire le 5 août dernier. Plus récemment, le 9 novembre dernier, la Cour suprême indienne a autorisé la construction d’un temple hindou sur les ruines d’une mosquée à Ayodhya alors que celle-ci avait été détruite en 1992 par des nationalistes hindous. La construction du temple avait été un argument de campagne du BJP lors des élections en mai dernier.


Des garde-fous en berne

Les institutions indiennes ont jusqu’alors résisté aux dérives nationalistes du BJP, mais elles commencent à craqueler. La Chambre haute, qui avait stoppé le projet de loi lors de la dernière tentative du BJP, l’a cette fois-ci adopté. Dès lors, la seule instance constitutionnelle qui pourrait revenir sur le Citizenship Amendment Bill est la Cour suprême. Cette dernière, censée garantir le caractère laïc du régime, s’est montrée jusqu’à présent très silencieuse sur la question.

De nombreux intellectuels et scientifiques se sont mobilisés contre la nature ségrégationniste de cette loi. Au cours du week-end, des manifestations se sont notamment tenues à Bombay, Aligarh, Hyderabad, Patna et Raipur ; en outre, les États du Pendjab et de l’Ouest Bengal ont déjà déclaré ne pas appliquer la loi. Des organisations de défense des droits de l’homme ont quant à elles déposé un recours contre la loi devant la Cour suprême.

Alors que les manifestations se poursuivaient hier, le Premier ministre indien a dénoncé sur Twitter des « groupes aux intérêts cachés » cherchant à semer la « division » et a affirmé que la nouvelle loi reflète « la culture multiséculaire d’acceptation, d’harmonie, de compassion et de fraternité de l’Inde ».Le pouvoir doit également gérer la contestation dans la province d’Assam où les manifestants s’opposent à cette loi en raison de leur crainte qu’elle provoque un afflux de réfugiés hindous du Bangladesh frontalier.

« Dans la province de l’Assam, les sociétés sont basées sur la langue commune, et peu importe leur religion, les immigrés hindous venant du Bangladesh représentent une menace existentielle pour les minorités tribales qui y vivent », explique Mohammad Sinan Siyech, spécialiste des questions sécuritaires en Asie occidentale et en Inde, contacté par L’Orient-Le Jour.La montée des tensions pourrait pousser la communauté internationale à réagir, alors qu’elle s’est fait pour l’instant plutôt silencieuse. « Qu’il s’agisse de l’abolition de l’article 70 qui a remis en cause l’autonomie du Cachemire, de l’affaire d’Ayodhya ou maintenant de cette loi, les Européens font preuve d’un silence assourdissant. Seul le Congrès américain a manifesté clairement son désaccord en émettant la possibilité de sanctions à l’encontre d’Amit Shah, le bras armé de Narendra Modi », note Christophe Jaffrelot.


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