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Économie - Focus

La BDL a-t-elle eu tort de faire plafonner les taux d’intérêt sur les dépôts ?

La circulaire n° 536 du 4 décembre a été critiquée par les agences de notation.

Le siège de la Banque du Liban à Beyrouth. Photo d’archives

La semaine dernière, deux des trois principales agences américaines de notation ont une nouvelle fois réagi à l’évolution de la situation économique et financière du pays, dans le dur depuis plusieurs mois, alors que la contestation contre le pourvoir entame cette semaine son troisième mois consécutif. Mercredi, Moody’s a ainsi partiellement dégradé les notations des trois banques libanaises qu’elle observe, à « Ca ». Le lendemain, Fitch a abaissé à « CC » la note du pays et de ses banques. Standard & Poor’s n’a pour l’instant pas mis ses évaluations à jour.

Dans leurs argumentaires respectifs, Moody’s et Fitch ont notamment critiqué la dernière circulaire de la Banque du Liban (n° 536 du 4 décembre), qui a suivi les restrictions bancaires adoptées progressivement depuis la fin de l’été sur fond de crise du change et des liquidités. Un texte prévu pour s’appliquer pendant six mois et à travers lequel la Banque centrale a plafonné les taux d’intérêt sur les nouveaux dépôts à des taux inférieurs à ceux du marché, soit 5 % pour ceux en devises et 8,5 % pour ceux en livres libanaises.

À travers le même texte, la BDL a en outre demandé aux banques de régler en livres la moitié des intérêts sur les dépôts en devises souscrits par leurs clients avant la publication de la circulaire et indiqué qu’elle en ferait de même en ce qui concerne les rémunérations des banques sur les dépôts en devises et les certificats de dépôts en dollars que celles-ci possèdent chez elle. La BDL a enfin indirectement suggéré aux banques d’ajuster les taux des crédits à la baisse de ceux des dépôts, sans fixer d’objectifs.

Pour rappel, Moody’s a considéré que le fait de laisser la BDL et les banques payer en livres 50 % des intérêts sur des dépôts en devises constituait un « défaut », tandis que Fitch a jugé de son côté que l’ensemble du texte réduisait encore plus la capacité des banques à attirer des fonds.


(Lire aussi : Taux d’intérêt : ce que prévoit la nouvelle circulaire de la BDL)


Mesure inégalitaire
Si elle a un peu plus affecté des déposants déjà ballottés par les incertitudes liées à l’absence relative de lisibilité d’un contrôle de capitaux informel mis en place par les banques et qui n’a toujours pas été entériné et uniformisé par la BDL ou le Parlement, la circulaire n° 536 a également fait réagir économistes et banquiers.

« C’est une mesure risquée parce que les banques ne pourront plus utiliser l’arme des taux pour attirer des dépôts jusqu’à nouvel ordre, ce qui privilégiera celles qui sont en meilleure posture que d’autres dans ce contexte de crise », note un banquier interrogé sous couvert d’anonymat. L’économiste Kamal Hamdane évoque un texte imposé de manière « unilatérale » aux déposants, qui ne s’inscrit pas en plus dans un « plan global », malgré le fait qu’il a été dégagé lors de la réunion financière du 29 novembre qui a réuni les hauts responsables ainsi que des représentants du secteur bancaire. « Je pense que cela limite sa portée et alimente la confusion autour de son adoption », insiste-t-il.

Inégalitaire vis-à-vis des banques, la circulaire l’est surtout vis-à-vis de leurs clients, poursuit l’économiste. « C’est un haircut (coupe) sur les intérêts (…) qui ne dissocie pas entre petits, moyens et gros titulaires de dépôts dans un pays qui est déjà profondément inégalitaire avec des ratios de concentration des richesses », développe-t-il. Selon une étude publiée en 2017 par la chercheuse Lydia Assouan, 0,1 % des Libanais les plus aisés – environ 3 000 individus – gagnent autant que les 50 % les plus pauvres des Libanais, qui ne captent que 10 % du revenu national. « Le fait que la BDL oblige les clients des banques à encaisser en livres la moitié des intérêts de leurs dépôts déjà effectués en devises est d’ailleurs ressenti comme une injustice par les intéressés », souligne de son côté le banquier.


(Pour mémoire : Contraintes bancaires : le compte rendu de la réunion entre la BDL et des banques)


Mesure d’urgence
Selon les experts interrogés, la circulaire pèche en n’obligeant pas les banques à ajuster les taux d’intérêt sur les crédits par une mesure qui serait pourtant bénéfique dans ce contexte de crise. « Ce serait effectivement bien qu’ils baissent. Mais comme la loi ne permet pas à la BDL de plafonner les taux débiteurs, cette dernière a finalement décidé d’inviter les banques à répercuter la baisse des taux sur les dépôts à travers l’article 6 de la circulaire », affirme la source bancaire interrogée.

À travers cette disposition, la BDL a en effet implicitement permis aux banques d’aménager les modalités de crédit de leurs clients en prenant pour référence les niveaux des taux de référence après l’entrée en vigueur des baisses de taux sur les nouveaux dépôts. « Le texte laisse donc les banques libre de choisir de faire du cas par cas, et ne garantit pas du moins explicitement que tous leurs clients pourront bénéficier d’aménagements sur les taux de leurs crédits en livres et en dollars », constate encore le banquier. « La mesure risque d’augmenter l’écart entre taux débiteurs et créditeurs et va donc augmenter les profits des banques à court terme », ajoute Kamal Hamdane.


(Lire aussi : L’immobilier, un investissement refuge en temps de crise)



Les deux interlocuteurs reconnaissent néanmoins certaines vertus à la circulaire. « Le monde financier considère que le contrôle des capitaux est parti pour durer quelque temps et que le secteur bancaire du pays doit fonctionner en circuit fermé tant que la conjoncture reste mauvaise. Dans ce contexte, la circulaire permet de gagner du temps en attendant que la classe politique trouve une formule pour calmer la rue et entamer le processus de redressement du pays. Cela reste toutefois une mesure d’urgence pour freiner la sortie de capitaux, qui ne doit pas s’inscrire dans la durée », analyse la source bancaire interrogée.

Pour Kamal Hamdane, les marges que les banques pourront générer en abaissant uniformément les taux créditeurs des nouveaux dépôts sans intervenir dans les mêmes proportions sur ceux des crédits vont leur permettre de faire face à deux exigences : financer l’augmentation de capital réclamée par la BDL en novembre (10 % avant le 31 décembre, puis de 10 % supplémentaires avant le 30 juin 2020) – une opération que plusieurs d’entre elles ont commencé à préparer, selon plusieurs sources concordantes – ; et enfin doper leurs provisions pour faire face à l’augmentation des créances douteuses, de plus en plus de clients ayant des difficultés pour rembourser leurs crédits à cause de la crise.


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La semaine dernière, deux des trois principales agences américaines de notation ont une nouvelle fois réagi à l’évolution de la situation économique et financière du pays, dans le dur depuis plusieurs mois, alors que la contestation contre le pourvoir entame cette semaine son troisième mois consécutif. Mercredi, Moody’s a ainsi partiellement dégradé les notations des trois banques...

commentaires (3)

Les erreurs s'entassent. Mais, il s'est couvert Salamé par les politiques experts à Baabda. Le résultat semble dans l'ensemble peu génial.

Esber

13 h 32, le 16 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • Les erreurs s'entassent. Mais, il s'est couvert Salamé par les politiques experts à Baabda. Le résultat semble dans l'ensemble peu génial.

    Esber

    13 h 32, le 16 décembre 2019

  • FAIRE PLAFONNER LES INTERETS SUR LES DEPOTS ET PAYER LA MOITIE DES INTERETS DES DEPOTS EN DOLLARS EN L.L. SONT DEUX ERREURS MAJEURES. N,ATTENDEZ PLUS DE TRANFERS ET DE NOUVEAUX DEPOTS SURTOUT DE LA DIASPORA. ET PAR DESSUS LE MARCHE ON PARLE DE HAIRCUT. ON INHUME LE SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER PAR SOI-MEME !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 51, le 16 décembre 2019

  • Excellente analyse Mais que reste-t-il à faire a un poulet plumé que de rentrer à la rotissoire

    Fendahl

    05 h 54, le 16 décembre 2019

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