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Culture - Parution

« Beyrouth ville nue », regard perçant sur une réalité têtue

Un livre sur une capitale plutôt unique en son genre. Un témoignage photographique d’une réalité considérée comme allant de soi ; le recueil photographique* de Ieva Saudargaité Douaihi, imaginé et coédité par Alexandre Medawar, est un document plus que jamais nécessaire.

« Dalieh de Raouché » vue par Ieva Saudargaité Douaihi.

Lorsque l’on échange avec Alexandre Medawar et Ieva Saudargaité Douaihi, une chose certaine ressort de ces discussions de manière presque obsessive. La photographe beyrouthine d’adoption et l’orchestrateur de Beyrouth ville nue parlent beaucoup de l’aspect en perpétuel changement de la capitale libanaise. C’est entre autres pour archiver ces changements souvent paradoxaux qu’Alexandre Medawar a pris le pari de compiler une partie des photos de l’artiste lithuano-libanaise dans un ouvrage bilingue qui met à nu une ville qui n’a plus peur de perdre tous les jours un peu plus de sa dignité. Comme une femme jadis vantée pour ses atours naturels ou rafistolés, Beyrouth y est présentée comme telle, c’est-à-dire sans vouloir enjoliver et au contraire défigurer ses différentes facettes.

Contrairement à plusieurs livres qui traitent de sujets spécifiques autour de Beyrouth, la capitale libanaise y est capturée dans sa totalité urbaine. Pas de thèmes spécifiques ni de clichés redondants, ici on ne met pas en avant les nuits beyrouthines, ni les affres de la guerre civile, ni même les partis pris d’une reconstruction postguerre déjà trop débattue. « Nous avons voulu éviter les graffitis, la guerre, les trucs politiques évidents », souligne d’emblée Alexandre Medawar dans un entretien avec L’Orient-Le Jour. « Nous voulions produire un portrait qui résume comment on vit aujourd’hui à Beyrouth et ce que la ville a subi comme transformations sur les 30 dernières années. » Loin du format « catalogue touristique » qui fait ressortir un aspect particulier (de l’architecture d’avant-guerre à la résistance festive nocturne et/ou culturelle en passant par le brassage confessionnel ou autres), Beyrouth ville nue met en avant l’espace comme réceptacle de situations devenues banales mais qui restent souvent incongrues. Et si les rétines de Ieva Saudargaite Douaihi retiennent de manière presque archivable des images d’une ville « inhospitalière pour les piétons » comme elle le rappelle dans un entretien avec L’OLJ, c’est que « recueillir les preuves de ce qui s’est passé » est pour l’artiste essentiel. Comme une fourmi qui procède à un suivi chronologique depuis 2013, l’artiste qui a suivi un cursus d’architecture, a documenté Beyrouth et ses banlieues. « Je vois les choses comme on dessine des façades. Même si on regarde l’environnement autour, il y a tellement d’informations à saisir et tellement de choses qui se passent en simultané, que la caméra m’aide à regarder et à évaluer les changements », poursuit-elle.

Avec un grand H

Dans les photos de Ieva Saudargaite Douaihi, il n’y a presque pas d’interactions humaines et pourtant ses images crient le vécu de l’homme avec un grand H. Des fenêtres qui se font face aux voitures, en passant par le linge étendu et les terrains vagues improvisés en aires de jeux, des traces de balles aux buildings qui flirtent avec les bâtisses d’antan, tout laisse deviner une densité humaine lourde de mémoire et de narrations entremêlées. « Le territoire, c’est la résultante de l’interaction des humains entre eux et avec l’espace qu’ils occupent », explique Alexandre Medawar, qui ajoute que « chacune des photos est une narration en soi ». L’éditeur a pris le pari justement de ne faire figurer dans l’ouvrage que très peu d’écrits. Outre son texte qui traduit la vision de l’ouvrage documentaire et d’une ville en perte de repères, on peut y lire deux autres textes rédigés par Jad Tabet et Dominique Eddé. Il ajoute que le livre est un « témoignage du vivre-ensemble, du face-à-face des interactions urbaines et des initiatives organiques qui naissent au détour d’une rue ». À l’instar de ces jardinets organiques qui poussent dans les recoins les plus inattendus de Beyrouth.

Un documentaire visuel donc à consommer avec la délectation de ceux qui savent que l’absence de vision urbaine est plus que jamais remise en question mais qui croient, malgré tout, qu’il est grand temps d’en finir avec le système D.

*« Beyrouth ville nue/Beirut Naked City », première édition 2019, coédité par L’Orient des livres et Medawar édition.

Lorsque l’on échange avec Alexandre Medawar et Ieva Saudargaité Douaihi, une chose certaine ressort de ces discussions de manière presque obsessive. La photographe beyrouthine d’adoption et l’orchestrateur de Beyrouth ville nue parlent beaucoup de l’aspect en perpétuel changement de la capitale libanaise. C’est entre autres pour archiver ces changements souvent paradoxaux...

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