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Idées - Dette publique

Plutôt qu’une restructuration de la dette, mettons en place une contribution unique de « solidarité nationale »

Photo d’illustration : le siège du ministère des Finances à Beyrouth. Archives L'OLJ.

Il y a désormais un consensus général sur le fait que la dette publique du Liban est devenue incontrôlable et qu’elle ne pourra être mise sur une trajectoire soutenable sans un ajustement majeur des politiques publiques, parallèlement à un effort budgétaire massif et sans doute difficilement supportable. Afin que le pays puisse retrouver ses équilibres financiers, sa dette doit nécessairement être réduite, aussi bien en termes relatifs par rapport au PIB qu’en valeur absolue.

Face à ce problème de surendettement, l’approche conventionnelle consiste à préconiser une restructuration de la dette. Cette dernière comporte trois axes : rééchelonner les paiements, en reportant ou en réaménageant les versements ; diminuer les intérêts versés aux créanciers ; et, le plus pénalisant pour les créanciers, réduire le principal de la dette. Sur le plan juridique, le défaut de remboursement à temps des montants et des intérêts dus, et le non-respect des conditions contractuelles initiales, constituent un manquement. Le défaut sur une émission de titres de dette, ou vis-à-vis d’un créancier en particulier, peut entraîner l’application de clauses de défaut croisé à l’égard de toutes les dettes en cours. Autrement dit, d’autres créanciers non directement concernés par un cas de défaut pourraient néanmoins considérer que leurs fonds sont potentiellement menacés et auraient le droit de demander que leur argent soit remboursé immédiatement avant la date d’échéance.



(Lire aussi : Presque sans surprise, Fitch sanctionne une nouvelle fois le Liban)



Risque réputationnel
Au Liban, le principal créancier de l’État libanais est le secteur bancaire au sens large, c’est à dire les banques commerciales et la Banque centrale. Une restructuration de la dette publique affecterait par conséquent les bilans des banques à travers leurs fonds propres et éventuellement, si cela devait s’avérer insuffisant, via une décote (« haircut ») sur tout ou partie des dépôts. Une telle restructuration ne pourrait que nuire à la réputation d’un pays jusque-là solvable, toujours cité pour sa résilience et n’ayant jamais failli à ses obligations financières, même aux heures les plus sombres de son histoire. Cela se traduirait inéluctablement par un nouveau rabaissement de la notation souveraine libanaise, cette fois à l’échelon le plus bas, et entraverait durablement la capacité du Liban à accéder à l’avenir aux marchés internationaux et nationaux de la dette, si ce n’est, éventuellement, qu’ à des coûts prohibitifs. Avant même le 17 octobre, l’agence S&P avait déjà ainsi abaissé la notation souveraine du Liban à « CCC » (soit la catégorie « junk » ou « ultraspéculatif »).

Il existe cependant une solution alternative pour atteindre le même objectif que la restructuration de la dette sans avoir à assumer un risque similaire, et ce par la politique fiscale. Cette dernière est une compétence exclusive de l’État souverain qui peut ajuster son régime fiscal à volonté sans que cela soit interprété comme un manquement à ses engagements, et ce même si ce changement est adopté dans un contexte de règlement de la dette. Cette solution porterait exclusivement sur la dette libellée en devises (environ 37 % du total) dans la mesure où celle libellée en livres libanaises, quoique plus importante, peut être traitée séparément et s’avère moins prioritaire que la dette extérieure, surtout dans le contexte actuel de dépréciation de facto de la monnaie nationale. Cette approche amènerait les déposants à assumer le coût de l’ajustement nécessaire pour permettre de racheter tout ou une partie des 32 milliards de dollars de dette libellée en devises étrangères. Cela se ferait à travers la mise en place d’un impôt exceptionnel sur la fortune. Dans le contexte de cette contribution unique de « solidarité nationale », la définition de la richesse serait étroitement limitée aux dépôts en devises dans des banques libanaises, à l’exclusion de tout autre actif et avoir. Afin d’assurer l’équité entre les déposants qui ont conservé leurs fonds dans des banques libanaises et ceux qui les ont transférés à l’étranger – dans le contexte actuel d’absence de contrôle formel des capitaux – la mesure pourrait avoir un effet rétroactif sur la valeur des dépôts présents au Liban à une certaine date. S’il était appliqué, cet impôt aurait le même effet qu’un « haircut » sans déclencher un défaut de paiement, avec pour corollaire une nouvelle rétrogradation de la notation souveraine.



(Lire aussi : Le Liban en crise : la fin d’une illusion)



Cibler les comptes les plus importants
Certains pourront à juste titre objecter que cette approche fiscale qui affecterait l’argent des déposants et non celui des propriétaires des banques s’avère paradoxale dans la mesure où les fonds propres des banques sont précisément censés assurer une première ligne de défense pour les dépôts. Cependant, compte tenu de l’état délétère dans lequel se trouve actuellement le système bancaire, cette solution fiscale pourrait donner à court terme un répit aux banques, leur évitant de nouvelles pertes de capitaux dans un contexte d’érosion profonde de leurs actifs. D’autant que l’application d’une telle mesure n’exclut pas d’imposer a posteriori aux actionnaires des mesures de restitution des fonds (qui pourraient porter entre autres sur leurs avoirs immobiliers).

En tenant compte de la répartition et de la taille des comptes bancaires, plusieurs scénarios peuvent être envisagés. Si cet impôt devait être prélevé sur la totalité des dépôts en devises – qui représentent environ 120 milliards de dollars au total –, il aurait les rendements suivants : 12 milliards de dollars pour un taux d’imposition de 10 %, 24 milliards de dollars pour un taux de 20 %, et 30 milliards de dollars pour un taux de 25 %. Néanmoins, pour qu’une telle mesure soit socialement équitable et acceptable, elle devrait cibler les comptes les plus importants. Ici aussi, différents scénarios peuvent être envisagés. Par exemple, en limitant ce système aux 1 % des comptes les plus importants (qui représentent environ 80 milliards de dollars au total), cela pourrait respectivement rapporter 16 milliards (pour un taux d’imposition de 20 %), 20 milliards (à un taux de 25 %) et 24 milliards de dollars (30 %). Le même schéma pouvant naturellement être décliné sur les 10 %, 20 % ou 30 % des comptes les plus importants.

Il est par ailleurs important que cette contribution unique de solidarité nationale ne soit pas considérée comme une mesure de rétorsion contre les grandes fortunes. Une approche antagoniste ou consistant à diaboliser les riches aurait des coûts économiques néfastes et irréversibles à long terme en poussant les investisseurs, les entrepreneurs et les créateurs d’emplois et de richesse hors de l’économie nationale. Dans ce cadre, il serait par conséquent utile d’évaluer l’effet sur les personnes touchées par cette taxe en mesurant, sur les périodes pertinentes, les effets de ce prélèvement exceptionnel sur les dépôts bancaires au Liban. Cette comparaison pouvant au demeurant permettre de démontrer que les pertes économiques réelles subies par les riches déposants ont été atténuées par les rendements substantiels qu’ils ont tirés des taux d’intérêt élevés pratiqués sur leurs dépôts dans les banques libanaises.


Ce texte est consultable en anglais sur le site de la LCPS.


Par Samir EL-DAHER
Économiste, ancien conseiller à la Banque mondiale et conseiller spécial de l’ancien président du Conseil Nagib Mikati.

Il y a désormais un consensus général sur le fait que la dette publique du Liban est devenue incontrôlable et qu’elle ne pourra être mise sur une trajectoire soutenable sans un ajustement majeur des politiques publiques, parallèlement à un effort budgétaire massif et sans doute difficilement supportable. Afin que le pays puisse retrouver ses équilibres financiers, sa dette doit...

commentaires (15)

pas beau, manque de precisions : -qu'en est il des depots en LL profitant de taux d'interets de 15 % ? PAS ASSUJETTIS a la taxe comme ceux en $ ? -quels delimitations des depots taxables en termes de l'importance des montants deposes, ET du bareme en termes de tranches de ces montants ? -qu'en est il de cette fameuse solidarite a moins que les banques y participent a une niveau de au moins 60% , elles qui ont profite quoique legalement de facon inouie ? -comment justifier & appliquer TOUT cela alors que les gouvernements sont accuses d'etres eux memes pour le moins INCAPABLES , INJUSTES, etc.... a moins d'une equipe propre, saine & capable ? -

Gaby SIOUFI

10 h 42, le 16 décembre 2019

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Commentaires (15)

  • pas beau, manque de precisions : -qu'en est il des depots en LL profitant de taux d'interets de 15 % ? PAS ASSUJETTIS a la taxe comme ceux en $ ? -quels delimitations des depots taxables en termes de l'importance des montants deposes, ET du bareme en termes de tranches de ces montants ? -qu'en est il de cette fameuse solidarite a moins que les banques y participent a une niveau de au moins 60% , elles qui ont profite quoique legalement de facon inouie ? -comment justifier & appliquer TOUT cela alors que les gouvernements sont accuses d'etres eux memes pour le moins INCAPABLES , INJUSTES, etc.... a moins d'une equipe propre, saine & capable ? -

    Gaby SIOUFI

    10 h 42, le 16 décembre 2019

  • On ne pense aux citoyens que lorsqu'il s'agit de réparer les erreurs de ces bons à rien. Il faut que ces politiciens se réunissent pour se mettre d'accord sur la demande de lever le secret bancaire dans le monde sur les comptes de tous ceux qui ont participé au pouvoir depuis 1992 à ce jour. Ils ne risquent rien puisqu'ils sont se disent propres. Si eux ne veulent pas le faire alors le peuple ne viendrait pas à leur secours réparer leurs erreurs. Nous prendrons le risque de mener le pays à la faillite volontairement. Comme ça nous ferons d'une pierre deux coups. Nous débarrasser de tout le pouvoir et récupérer l'argent volé. Puisque dans ce cas nous n'aurons plus besoin de porter plainte et tout le tintouin. La boucle sera bouclée et nous nous rassemblerons seulement ensuite pour sauver notre pays et le reconstruire une fois cette mafia mise hors d'état de nuire. Marre qu'on se serve de nous en temps de crise pour nous voir dénigrés et ignorés et méprisés une fois que nous avons sauvé la mise. Ils ne sont pas à leur premier déboire mais cette fois il ne faut pas compter sur notre sensibilité pour nous apitoyer sur le devenir d'un pays rongé par la moisissure. Ils nous ont montré que nous n'existons pas pour eux alors nous allons leur montrer qu'ils ne pourront rien sans nous.

    Sissi zayyat

    18 h 26, le 15 décembre 2019

  • Une question à tous ces brillants économistes et conseillers qui ont contribué à mener le pays vers la crise actuelle : personne ne mentionne les richesses gazières et pétrolières dont nos chers ministres parlent à chaque occasion ! Qui va en profiter ? Le peuple libanais ou bien ces richesses seront elles aussi détournées au profit de ceux qui ont déjà volé tant d’argent public ?

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 27, le 15 décembre 2019

  • Et pourquoi ne pas prendre exemple sur la France qui a annulé l’ISF et l’a remplacé par l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) mais ça n’arrange peut être pas les politiques actuels et anciens. Alors on s’en prend aux plus faibles : le peuple sans aucune défense.

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 13, le 15 décembre 2019

  • JE SUGGERE UNE AUTRE METHODE. ON A PAS MAL DE MILLIARDAIRES AU LIBAN. SI ON LEUR PREND UN OU DEUX MILLIARDS A CHACUN SANS TOUCHER LES DEPOTS DU PEUPLE ON COLLECTERA AU MOINS 40 MILLIARDS DE DOLLARS ET CES MESSIEURS RESTERONT TOUJOURS DES MILLIARDAIRES. SURTOUT QU,ON NE DEVIENT PAS MILLIARDAIRES PAR DES VOIES PROPRES MAIS PAR LA CORRUPTION. ON AURA AINSI REPONDU A LA REVENDICATION DE LA CONTESTATION DE COMBATTRE LA CORRUPTION.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 03, le 15 décembre 2019

  • Monsieur. Au lieu de nous étaler votre science d’économiste et d’ancien conseiller d’un milliardaire, il aurait été préférable d’analyser pourquoi l’endettement public est arrivé à ce niveau et donc faire payer à ceux qui ont détourné l’argent public le prix du redressement économique. En Europe, on applique le principe du pollueur payeur. Au Liban ça devrait être voleur payeur. S’attaquer aux déposants quelle que soit leur catégorie est simplement un acte de piraterie effectué par ceux qui ont pillé l’argent public.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 53, le 15 décembre 2019

  • Sinon on fait comme MBS, tous à l'hotel et 1 milliards le ticket de sorti!

    camel

    09 h 43, le 15 décembre 2019

  • Une imposition de 10% seulement sur les 80 milliards détenues par 1% des déposants,rapporterait 8 milliards . Mais, à condition que cela constitue une dette sans intérêts, quitte à la rembourser plus tard,et ces comptes seraient indépendants des mesures de la circulaire 536. Rien de gratuit avec cette autorité .

    Esber

    09 h 09, le 15 décembre 2019

  • Si vraiment les 1% des comptes en devises les plus importants atteignent un montant de 80 milliards, une taxe unique est concevable, car elle épargnerait l'immense majorité des déposants. Fixer une date antérieure aux fuites de capitaux vers l’étranger est essentiel dans ce mécanisme. Mais peut-on réellement concevoir un système qui exonérerait les banques, principales bénéficiaires de la pyramide de Ponzi en place? Il faudrait au moins qu’en même temps, elles subissent un "Haircut" sur leurs prêts au pays en LL. Ce qui éviterait une dévaluation de la LL.

    Rana Raouda TORIEL

    08 h 57, le 15 décembre 2019

  • La meilleure et la première solution serait que toutes les personnes qui se sont rempli abondamment les poches sur trente ans et mis le pays dans l'état où il se trouve contribuent massivement au remboursement de la dette. Les autres types de contribution, on les étudiera après...

    NAUFAL SORAYA

    08 h 11, le 15 décembre 2019

  • Une discussion secrète entre Ali Baba et les 400 voleurs serait plus bénéfique en leur enjoignant de faire preuve d’un peu de patriotisme compassionel et de rendre certaines sommes « prélevées accidentellement « avant telle date limite ou de noyer les grands comptes avec ceux des voleurs mais en tirant que de ces derniers.

    PROFIL BAS

    06 h 26, le 15 décembre 2019

  • The general population is not enthusiastic about giving the state more money due its massive corruption and mismanagement of public funds. Lebanon owes 86 billion dollars with nothing to show for it - lack of adequate public services, heath care and education, environmental degradation, poor roads, lack of proper garbage collection and disposal, rationing of water and electricity, lack of fast internet service, poor roads and infrastructure. The population has been impoverished by regressive tax policies, high unemployment, and income stagnation. The rich pay too little taxes and the poor pay too much proportionally. There is no guarantee that the state is going to enact much needed reforms, or that corruption is going to vanish magically overnight. The government could default on its debt obligations, leading to massive inflation and further increasing poverty. Politicians could then turn around and build up the public debt again, having learned nothing from the past. This entrenched, entitled and corrupt political class doesn't seem to get the memo that people have had enough and want to fire all of them.

    Mireille Kang

    05 h 02, le 15 décembre 2019

  • Cette mesure n'a de ses que si elle s'exerce simultanément aux fonds expatriés appartenant à la classe politique et ses satellites d'affaires, et aux actionnaires et top management des banques incriminées (ayant un haut taux d'investissement en trésor libanais et ayant participé aux ingénieries financières concoctées par nos Einstein locaux).

    Naayem Francoise

    02 h 12, le 15 décembre 2019

  • Plutôt , plutôt, plutôt...Plus tard.. Avant plus tôt , plus tard, il faut passer à la caisse messieurs politiciens .. Comme Zein el Abedine et d’autres. Et j’espère qu’il n’y aura de ville-refuge pour ces voleurs!

    LeRougeEtLeNoir

    00 h 49, le 15 décembre 2019

  • A la lecture de cet article on a le droit de croire que le risque est grand que seul l'épargnant honnête sera ciblé par les mesures à prendre pour résoudre le problème. L'auteur sait que sa solution est impossible à mettre en place, car elle accentue le traitement inégalitaire des créanciers (clients déposants). La taxe rétroactive est impossible à mettre en place, d'autant plus que des grands épargnants ne résident pas tous fiscalement au Liban. LA solution est de compenser une grande partie de la dette de l'Etat par la récupération des intérêts payés en trop sur la livre et sur le dollar depuis 1991 si possible. Mais bien sûr cette solution ne convient pas à ceux qui ont beaucoup d'argent et par conséquents qui peuvent influencer la politique du pays. Les banques et les corrompus devraient subir et supporter aussi une partie du fardeau. Si l'Etat ne suit pas des processus totalement transparents, et en règle sur le plan juridique international, ni les banques ni l'Etat ne pourront à l'avenir détenir des avoirs à l'étranger, qui seront en risque d'être séquestrer, y compris l'or dormant aux USA. Par ailleurs, faut-il rappeler que les avoirs déposées ne représentent pas forcément la fortune réelle des clients, puisqu'ils peuvent être débiteurs ailleurs et de mille et une façon dans les affaires et dans l'immobilier.

    Shou fi

    13 h 53, le 14 décembre 2019

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