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Naufrageurs dans la tempête

Déjà lors des calamiteux incendies de forêts d’octobre, vous les aviez voués aux flammes de l’enfer pour tant de criminelle négligence. Au spectacle tout récent des routes transformées en fleuves et des habitations envahies par les eaux, faute d’entretien préventif des canaux d’écoulement, c’est de les voir se noyer eux-mêmes dans leur propre fange que vous avez sans doute fantasmé. Peut-être même – le Ciel vous le pardonne – avez-vous été, dans votre sainte colère, jusqu’à rêver de voir ces responsables indignes se faire un beau jour hara-kiri, à l’image de ces désespérés pères de famille que l’on a vus dernièrement mettre fin à leurs jours car ils n’avaient même plus de quoi donner un bout de pain à leurs enfants…


Le problème, c’est que la seule flamme que redoutent ces gouvernants sourds aux revendications du peuple en révolte, c’est celle qui irait malencontreusement carboniser leur côte de bœuf. Quant aux déluges sur les routes, ils ne sauraient intimider des naufrageurs de profession qui ont démontré leur sinistre talent à divers niveaux. Ils ont commencé par envoyer par le fond le système de démocratie parlementaire qui était l’apanage du Liban, dans une région du monde placée sous le signe de l’autoritarisme. S’ils ont surnagé, c’est grâce à cette absurdité de règle consensuelle qui fait de tout gouvernement un mini-Parlement forcément voué aux querelles, et donc à l’inaction. Ils ne se retrouvaient que pour se partager les secteurs de l’État, transformés en véritables territoires mafieux. Dans le même temps qu’ils nous inondaient de promesses de réformes, ils n’ont cessé, dans leur insatiable appétit, d’assécher les ressources publiques, finissant par tuer la poule aux œufs d’or et plonger le pays dans la banqueroute. Regardez-les donc se répartir les sièges sur le pont du Titanic : c’est ce que commentait, incrédule, un sénateur démocrate américain, retour d’une visite d’information à Beyrouth …


Comment croire en effet qu’après sept semaines de vaste bouillonnement populaire, le pouvoir en place en est encore à tergiverser, à ne proposer d’autre calmant que formules creuses et irrecevables palliatifs ? Réponse : c’est sur le temps précisément que mise le régime sclérosé, alors que le temps presse, et que s’accumulent à une vitesse record les signes annonciateurs du désastre socio-économique : le temps censé user la magnifique persévérance de la contestation et la pousser à renoncer, de suicidaire manière, à son caractère pacifique ; et puis le mauvais temps en renfort, la pluie et le froid se chargeant de clairsemer les foules rassemblées sur les places publiques.


Ce qui échappe cependant à la clique dirigeante, c’est que le temps ne fait aussi que raviver les contradictions que recèle son propre mode de gouvernement. Ah, il est beau, le projet de Liban centre mondial du dialogue des cultures que s’en allait défendre à l’ONU le président Michel Aoun, quand, au plus fort d’une crise affectant l’intégralité du peuple se réveillent soudain et s’affrontent les vieux démons sectaires. Les instances religieuses sunnites suscitent ainsi un tollé quand, pour mettre fin au vain défilé de candidats à la présidence du Conseil des ministres, elles décrètent ce sera Saad Hariri, leader de cette communauté, ou personne. Mais n’est-ce pas le chef de l’État qui avait ouvert la boîte de Pandore en se posant en unique champion et garant d’une présidence chrétienne forte, prétention cruellement démentie par les faits? De même, d’aucuns s’indignent d’une homélie du métropolite de Beyrouth, Mgr Élias Audi, dénonçant tout à la fois la léthargie des responsables face aux légitimes exigences des citoyens et l’intrusion des armes miliciennes dans la vie publique; mais n’oublient-ils pas, ceux-là, que ladite milice est commandée par un homme portant les trois casquettes de chef religieux, politique et guerrier ?


Au vu de tout cela, on peut se demander quel encourageant tableau les responsables peuvent encore présenter à la conférence du Groupe international de soutien au Liban, réunie aujourd’hui à Paris. Ce que l’État met en jeu cette fois, ce n’est plus sa crédibilité qui, à force de coupables atermoiements, a fondu comme neige au soleil : c’est, comme l’indiquait hier le chef de la diplomatie française, sa capacité à appréhender la gravité du moment, à prendre conscience de l’appel de la rue et à se doter au plus vite d’un gouvernement s’attelant aux réformes.


Reste à savoir s’il y a seulement bon entendeur.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Déjà lors des calamiteux incendies de forêts d’octobre, vous les aviez voués aux flammes de l’enfer pour tant de criminelle négligence. Au spectacle tout récent des routes transformées en fleuves et des habitations envahies par les eaux, faute d’entretien préventif des canaux d’écoulement, c’est de les voir se noyer eux-mêmes dans leur propre fange que vous avez sans doute...