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Moyen Orient et Monde - Diplomatie

Quelle direction peuvent prendre les relations entre l’OTAN et la Turquie ?

L’Alliance atlantique et Ankara traversent, ces derniers mois, une période de vives tensions sur un grand nombre de dossiers.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan arrivant à Downing Street pour des entretiens avec le Premier ministre britannique Boris Johnson, en marge du sommet de l’OTAN à Watford, à Londres, le 3 décembre 2019. Christian Hartmann/Pool/Reuters

Les dirigeants des 28 pays membres de l’OTAN – dont on célèbre le 70e anniversaire cette année – se retrouvent aujourd’hui dans la banlieue de Londres, à Watford, en vue du 27e sommet de l’Alliance atlantique. L’ambiance ne devrait toutefois pas être à la fête.Le sommet se tient en effet dans un contexte de vives tensions entre les différents membres de l’organisation sur divers dossiers, dont plusieurs sont liés à la Turquie. La plus récente, et vive, d’entre elles trouve ses origines dans les propos qu’a tenus il y a quelques semaines le président français Emmanuel Macron, déclarant que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ». Pour justifier ses propos, il avait mis en avant le manque de coordination stratégique entre ses membres, notamment en ce qui concerne l’opération turque dans le nord de la Syrie contre les milices kurdes du PYD (Parti de l’Union démocratique) – qu’Ankara considère comme terroristes – sans avoir prévenu aucun des membres de l’OTAN. Hier, M. Macron a dit maintenir ses propos.

La position de M. Macron n’a pas été soutenue par les États européens, et encore moins par la Turquie qui n’a pas hésité à répondre en s’en prenant personnellement à M. Macron, initiant une série d’invectives entre les deux hommes. « Fais d’abord examiner ta propre mort cérébrale (…) Ces déclarations (celles de M. Macron) ne siéent qu’à ceux dans ton genre qui sont en état de mort cérébrale », avait affirmé le reïs lors d’un discours à Istanbul. Le président américain Donald Trump a pour sa part jugé « très dangereux » les propos de M. Macron. Ce dernier a de son côté lancé à son homologue turc que la Turquie travaillait « parfois avec des intermédiaires de l’EI (groupe État islamique) ».Les tensions ne se limitent cependant pas qu’à la France et la Turquie. Juste avant de décoller pour la Grande-Bretagne, M. Erdogan a ouvertement menacé d’entraver les projets de l’OTAN, notamment après la décision du chef du Pentagone Mark Esper de ne pas désigner le PYD – soutenu par Washington dans la lutte contre le groupe État islamique – comme une organisation terroriste. « Si nos amis de l’OTAN ne reconnaissent pas comme terroristes ceux que nous considérons comme terroristes, nous nous opposerons à toutes les décisions qui seront prises là-bas », a-t-il déclaré, faisant ici référence aux plans militaires défensifs que l’OTAN souhaite mettre en place en Pologne, Lituanie, Lettonie et Estonie, dans l’éventualité d’une agression russe à la suite de la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014. Sans le soutien et l’approbation de la Turquie, l’OTAN pourrait avoir des difficultés à mettre en œuvre ses plans.



(Pour mémoire : Erdogan juge Macron en « état de mort cérébrale », Paris riposte)



Éviter une « alliance » avec Moscou
Ces tensions s’ajoutent à d’autres rencontrées par l’OTAN ces derniers mois. Celle ayant fait le plus couler d’encre concerne les batteries de missiles S-400 russes que la Turquie a achetées – et testées la semaine dernière –, malgré les protestations et mises en garde de Washington qui juge ces missiles comme n’étant pas interopérables avec les systèmes militaires de l’Alliance atlantique.Ayant refusé de ne pas activer les S-400, comme les États-Unis l’avaient exigé, la Turquie a d’ores et déjà été suspendue du programme des avions F-35 que les États-Unis veulent mettre en place et dans lequel Ankara était à la fois coproducteur et client. « La Turquie se sert de son partenariat avec la Russie et tord le bras à l’OTAN pour essayer de lui faire adopter sa propre logique et sa propre vision des choses », estime Guillaume Perrier, ancien journaliste au Monde et auteur de Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan (Solin/Actes Sud – 2018), contacté par L’Orient-Le Jour. Dans ce contexte, quelle direction vont prendre les relations entre l’Alliance atlantique et la Turquie ? Cette dernière peut-elle être exclue ou suspendue si elle enfreint les lignes rouges de l’organisation ? « L’histoire montre que les choses peuvent aller très loin. On se souvient de l’invasion en 1974 de Chypre par la Turquie. Ankara et Athènes, tous deux membres de l’OTAN, étaient au bord de la guerre », rappelle pour L’OLJ François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Il y a eu dans l’histoire de l’organisation des moments bien plus délicats que ceux que nous vivons actuellement », nuance-t-il néanmoins.

Les analystes sont d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, une exclusion de la Turquie de l’Alliance atlantique n’est pas à l’ordre du jour. « Il n’y a pas, dans le traité, de dispositions qui permettent d’exclure un membre, mais le suspendre, oui. On l’a vu dans une moindre mesure avec les colonels grecs à la fin des années 60 », poursuit M. Heisbourg. L’OTAN n’a par ailleurs aucun intérêt à pousser la Turquie vers la sortie, tout simplement parce que cela la jetterait dans les bras de la Russie, avec qui les relations se sont particulièrement réchauffées depuis 2015, et avec qui elle entretient un partenariat stratégique et commercial et non une « alliance » au sens strict du mot. « L’OTAN veut éviter une logique d’“alliance” entre la Turquie et la Russie. L’organisation peut critiquer la Turquie, mais en aucun cas la pousser dehors. »

La grande question est de savoir si, jugeant que l’Alliance n’est plus en faveur de ses intérêts, la Turquie décide de son propre chef d’en sortir. Sur le papier, c’est possible, car aucun texte du traité ne le lui interdit. Mais ce scénario semble toutefois très peu probable. « Il est plus utile pour la Turquie de jouer sur tous les tableaux : d’un côté son alliance avec les États-Unis, de l’autre, le partenariat stratégique avec les Russes. Cette situation profite bien à M. Erdogan pour l’instant », résume François Heisbourg. Même s’il existe un sentiment d’appartenance très fort à l’OTAN en Turquie, cette dernière « ne se comporte plus comme un allié alors qu’elle en est pourtant un en vertu de son statut de membre de l’Alliance », explique Guillaume Perrier. « Une partie des membres de l’OTAN pense qu’il faut la maintenir le plus possible pour l’empêcher de rejoindre complètement la Russie, une autre estime toutefois que depuis 2015, la Turquie tourne le dos à l’Alliance », conclut-il.


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