Rechercher
Rechercher

Diaspora - Histoire et diaspora

Quand les Libanaises étaient au cœur d’une grève ouvrière, aux États-Unis, en janvier 1912

Cent sept ans après l’un des plus grands mouvements de contestation ouvrière américains, retour sur le rôle qu’y ont joué les immigrants, notamment libano-syriens.


Des femmes participant aux manifestations à Lawrence, en 1912. Photos Library of Congress

11 janvier 1912. Des milliers d’ouvriers des usines de la ville de Lawrence, dans le Massachusetts, se mettent en grève. Les raisons de leur colère : l’adoption d’un projet de loi visant à réduire de 56 à 54 le nombre d’heures de travail hebdomadaire. Dans la foulée, les propriétaires des usines, majoritairement de textile, de la ville, ont décidé de réduire les salaires en conséquence. « Salaires réduits ! Tous dehors ! », crient les ouvriers en colère. Dans les piquets de grève, l’on compte essentiellement des ouvriers d’origine étrangère. C’est que Lawrence est une ville comptant une vaste population de migrants. 51 pays sont représentés au sein de la classe ouvrière. Parmi eux, beaucoup de Syriens et de Libanais d’origine, Lawrence accueillant, à cette époque, la deuxième plus grande communauté libano-syrienne des États-unis, après New York. Leur histoire, méconnue, est contée par le « Moise Khayrallah Center for Lebanese Diaspora Studies »*.

Pour de nombreux immigrants nouvellement arrivés (entre autres de Syrie et du Mont-Liban), une réduction des salaire signifie, à l’époque, une mise en cause brutale de leur survie. Parmi les 23 000 ouvriers qui quittent leur poste et se mettent en grève, en ce mois de janvier, plus d’un millier de Libanais. Des hommes et des femmes originaires de Beyrouth et d’autres régions se joignent au mouvement pour réclamer l’abolition de la discrimination entre Américains de souche et immigrés. Dans les rues couvertes de neige, les femmes défilent et entonnent des chants de contestation. Sur les banderoles qu’elles brandissent, l’on peut lire : « Nous voulons du pain et des roses aussi ». Un slogan qui donnera son nom au mouvement : « The bread and roses strike ».Dans cette mobilisation, le rôle des femmes est majeur. « Les Libanaises se sont mobilisées activement et ont été au premier plan de ce soulèvement. Rappelons quand même que le slogan “du pain et des roses” est considéré comme l’un des plusmarquants de l’histoire du monde ouvrier aux États-Unis. Ce slogan est souvent cité comme un exemple d’une mobilisation réussie chez les migrantes engagées dans la lutte des classes », note ainsi Dominique Cadinot, chercheur auprès du Département d’études du monde anglophone, à l’Université d’Aix-Marseille, qui a travaillé longuement sur le rôle des femmes arabo-américaines.


Des divisions au sein de la communauté
Pour organiser la contestation, chaque communauté de Lawrence forme son propre comité. Chez les Libanais, Faris Marad, James Brox et Iskandar Hajjar sont désignés pour représenter les grévistes.

À l’époque, les migrants libanais fréquentent trois églises. L’une d’elle transforme son sous-sol en cuisine populaire et en abri pour soutenir les manifestants. Des femmes y offrent de la soupe et autres bouillons. Une autre église opte pour une autre ligne. Ainsi, au début de la grève, un prêtre maronite, dans son sermon dominical, exhorte les paroissiens à rester chez eux et à ne pas participer au mouvement.

Les dissensions au sein de la communauté s’expriment aussi à travers les médias locaux. Naoum Mokarzel, rédacteur en chef de la publication al-Hoda, écrit ainsi un article attaquant les grévistes et les appelant à respecter la loi. Selon lui, des agitateurs étrangers cherchent à manipuler et à duper les ouvriers. Les actions des grévistes, avertit-il, vont avoir un impact négatif sur tous les « Syriens » du pays. La réplique, cinglante, est publiée dans les colonnes du journal Mira’at al-Gharb fondé par Najeeb Diab. Des « Syriens en grève » y signent une tribune dans laquelle il rejettent le ton paternaliste de Mokarzel : « Les ouvriers sont des hommes capables de se défendre et n’ont pas besoin de vous (…) », y est-il écrit.

Le mouvement de protestation est régulièrement marqué par des affrontements violents entre grévistes et forces de l’ordre. C’est lors d’un de ces affrontements qu’est tué, le 30 janvier, un Libanais, John Hanna Ramey, âgé de tout juste 20 ans. Musicien, il faisait parti d’une fanfare qui jouait en soutien aux grévistes. Après sa mort, la mobilisation grossit. Le 14 mars 1912, les ouvriers et les patrons entament des négociations. Les employés obtiennent une augmentation de salaire comprise entre 5 % et 20 %, la fin de la grève est votée.


Dans la même rubrique 

Mohammad Yachteen, l’un des premiers « méchants arabes » de Hollywood

Monseigneur Gemayel, premier évêque maronite de France : le Liban au cœur, une mission chevillée au corps

Suzanne Kabbani, maître chocolatier, bientôt établie au Liban

Haydar el-Ali, l’homme aux 156 millions d’arbres

Georges Hatem, médecin personnel de Mao Tsé-toung

Sarah Khawand, productrice de vidéoclips ambitieuse et audacieuse à Los Angeles


11 janvier 1912. Des milliers d’ouvriers des usines de la ville de Lawrence, dans le Massachusetts, se mettent en grève. Les raisons de leur colère : l’adoption d’un projet de loi visant à réduire de 56 à 54 le nombre d’heures de travail hebdomadaire. Dans la foulée, les propriétaires des usines, majoritairement de textile, de la ville, ont décidé de réduire les salaires en...