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Culture - L’artiste de la semaine

Chaza Charafeddine, divine photographie

Alors que des œuvres de la série « Maidames » sont à l’honneur au festival photographique d’Aix-en-Provence « Regards croisés Liban-Provence », retour sur son parcours d’artiste, dont le cheminement est actuellement marqué par son implication quotidienne dans les manifestations de Beyrouth.

Chaza Charafeddine. Photo Salah Saouli

Née à Beyrouth en 1964, Chaza Charafeddine passe les premières années de sa vie en Sierra Leone et étudie à l’étranger, avant de rentrer vivre au Liban chez sa grand-mère. Après des études d’éducatrice spécialisée en Suisse, la photographe intègre une école de danse à Hambourg, où elle se spécialise en eurythmie, une pratique associée à la poésie et à la musique. « Malheureusement, j’ai dû renoncer à cette passion pour des raisons de santé au bout de dix ans, et je me suis mise à l’écriture, tout en travaillant dans le domaine culturel, à la Maison des cultures du monde de Berlin, puis dans l’organisation d’événements artistiques à Beyrouth », résume Chaza Charafeddine, qui s’est intéressée aux arts plastiques à force de les côtoyer dans son métier.

Depuis une dizaine d’années, c’est la photographie qui est son moyen d’expression privilégié. « Elle me permet de créer les images qui sont dans ma tête, et qui représentent des idées. Néanmoins, je continue à m’intéresser à l’écriture, à la performance et aux livres d’artistes. »


« Divine Comedy », ou l’art islamique de l’Empire moghol revisité

« En analysant les dessins et les miniatures produits en Inde islamique durant l’Empire moghol (XVIe et XVIIe siècle), j’ai été frappée par la féminisation artistique des traits masculins. Cela m’a donné l’idée de faire l’équivalent, en proposant le pendant contemporain de cette esthétique, avec des transsexuels ou des hommes efféminés. La photographie m’a semblé particulièrement adéquate pour réaliser ce projet, et je me suis lancée. Tous les gens que j’ai photographiés sont libanais, à l’exception d’un modèle. » C’est ainsi que Chaza Charafeddine présente sa première exposition, Divine Comedy, à la galerie Agial, en 2010. La série, composée de 23 clichés, connaît un certain succès. L’ancienne danseuse craignait de choquer son public par son travail. « Certaines œuvres auraient pu heurter des sensibilités religieuses, comme la série qui représente le voyage nocturne de Mahomet (Israa’), et son ascension (Miraj). C’est un transsexuel qui incarne le Prophète visitant l’enfer et le paradis ; mais, en fait, je n’ai pas eu de problèmes, car mis à part des professeurs d’art islamique, personne n’a reconnu de quoi il s’agissait dans What The Hell, What The Fucking Hell... Au Liban, on est assez peu exposés à la culture islamique ancienne : dans nos écoles, on est plus tournés vers l’art européen. En plus, j’ai élaboré des montages qui mélangent des motifs de miniatures anciennes et mes clichés d’hommes-femmes, ce qui rend l’ensemble énigmatique », ajoute-t-elle en souriant.

Divine Comedy a connu un certain succès international, à Stockholm, Dubaï, Londres, et dernièrement, en mai 2019, à Berlin.

Dans sa deuxième série, présentée à la galerie Agial en 2012, The Unbearable lightness of witnessing, la photographe rend hommage aux détenus des prisons syriennes, morts sous la torture. « Esthétiquement, j’ai pris Bacon comme référence. Ce projet est très dur, il va à l’encontre de Divine Comedy, qui est beau et esthétique. » En 2014, l’artiste reste dans une veine politique et réalise avec Roger Outa une performance de lecture, écrite et construite autour du cas de Michel Samaha (NDLR : L’ancien ministre est emprisonné depuis août 2012 pour transport d’explosifs depuis la Syrie en vue de commettre des attentats au Liban). « Je me suis fondée sur les protocoles d’interrogatoires pour créer un texte fictif, basé sur les propres aveux du personnage. On a présenté ce spectacle dans quatre espaces culturels beyrouthins : Ziko House, Zoukak Theater, 98 Weeks et Mansion. »


Fusion fantasmagorique de « maids » et de « madames »

Flashback (Dar Assaqi, Beyrouth, 2012) est la première nouvelle que publie la photographe. Ce texte autobiographique, rédigé en arabe, s’inspire de son enfance libanaise et africaine ; elle y évoque notamment les changements sociétaux liés à la guerre civile et la notion de mémoire. Une version du récit est à paraître en allemand en 2020.

En 2015, un deuxième recueil de nouvelles est édité (A Barely visible suitcase) chez Dar Assaqi. « Il s’agit de textes que j’ai écrits en Allemagne, où j’ai longtemps vécu, et que je considère comme mon second pays. »

En juillet 2017, la photographe entame ses prises de vue pour le fameux projet Maidames, mot valise inédit qui fusionne le pluriel de « Madame » avec le vocable anglais « maid » (domestique). « Je suis partie du contexte des employées de maison au Liban, et j’ai voulu leur donner l’occasion de s’exprimer elles-mêmes en tant que femmes, indépendamment de leur classe sociale, tout en les associant de manière symbolique à leur Madame », précise celle qui a constitué un catalogue de 80 images pour répertorier les fantasmes vestimentaires des patronnes libanaises. « Ensuite, chacune de mes modèles, recrutées par une domestique que je connais bien, a choisi deux tenues, afin qu’elles incarnent les idéaux physiques de leurs employeuses. »

Une fois de plus, l’auteure rapporte les réactions à son travail, présenté pour la première fois à la galerie Agial en novembre 2018, avec une certaine truculence. « Lorsqu’on me disait « Haram tu leur fais du bien », je répondais que ce n’était pas mon objectif : je voulais faire de belles photos, et saisir l’éclairage, le regard, le cadrage le plus expressif. D’autres m’ont mise en garde contre le soi-disant pouvoir que je donnais aux employées de maison, en les transformant en modèles. Certains ont peu apprécié que la Sainte Vierge soit représentée par une femme noire... Mais dans l’ensemble, c’est la dimension artistique qui a été retenue, et la couverture médiatique a été internationale. »

C’est aujourd’hui à Aix-en-Provence que l’on peut admirer quelques œuvres de l’artiste subversive, qui est l’invitée d’honneur du festival photographique Regards croisés, organisé par l’association la Fontaine obscure, à la Cité du livre, jusqu’au 28 décembre 2019. « J’avais déjà participé à cet événement en 2013, où j’avais exposé Divine Comedy, avec un photographe français qui répondait à la série par son travail, selon le principe binaire du projet Regards croisés. Cette fois, mon travail est présenté pour lui-même, et quatre des photos de la série Maidames ont été choisies : Hana Lielit, Miss Vera, Bruktayt In Black et Vera In Red. Leur présentation est royale, car elles sont disposées sur un cube noir, placé au centre de l’accrochage. L’éclairage insiste sur les zones les plus lumineuses de mes prises de vue, tout en donnant l’illusion que la lumière provient de l’intérieur du cube», commente celle qui apprécie particulièrement le travail d’Annie Leibovitz, de Fouad Elkoury et de Joe Keserouani.

Actuellement en train de préparer un projet qui allie la photographie et l’écriture autour d’un livre de Kafka, l’artiste reconnaît être bouleversée par le contexte actuel libanais. « Je n’avance pas dans mon travail, ma tête est ailleurs, comme tout le monde, je crois. Je suis entièrement engagée dans le mouvement de contestation, et le reste passe au second plan. »

1964

Naissance au Liban.

1983

Départ en Suisse pour des études en éducation spécialisée.

1986

Études de danse d’eurythmie, à Hambourg.

2001

Organisation d’événements culturels à Berlin.

2007

Retour à Beyrouth.

2010

Exposition « Divine Comedy » à Agial Art Gallery (Beyrouth).

2012

Exposition « The Unbearable Lightness of Witnessing », à Agial Art Gallery

Parution de la nouvelle « Flashback » chez Dar Assaqi (Beyrouth).

2015

Parution de la nouvelle « Haqibatun Bilkade Tura »

(Dar Assaqi, Beyrouth).

2018

Exposition « Maidames », Agial Art Gallery.

2019

Exposition de quelques œuvres de « Maidames » à Aix-en-Provence, pour le festival photographique Regards croisés Liban-Provence




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