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Liban - Reportage

Entre peur et espoir, le soulèvement libanais vu par les Palestiniens

Directement confrontés à la crise économique, les réfugiés palestiniens se tiennent à l’écart du mouvement de révolte libanais même si certains rêvent, eux aussi, d’une révolution.

Le drapeau palestinien déployé au milieu d’une mer de drapeaux libanais, dans le centre-ville de Beyrouth, le 17 novembre. Photo Matthieu Karam

Indissociable de la cause palestinienne, le keffieh est sans doute le plus révolutionnaire des accessoires de mode. Rouge, noir ou blanc, à carreaux plus ou moins larges, noué négligemment autour du cou, utilisé comme turban ou exposé sur l’étal d’un vendeur de rue, on le retrouve, depuis le 17 octobre, sous toutes ses formes aux abords de la place des Martyrs, cœur battant de la contestation libanaise. C’est pourtant là un trompe-l’œil car la question palestinienne ou le sort des réfugiés, préoccupations classiques de la gauche libanaise, sont relativement absents des débats. Et malgré plusieurs actions symboliques de solidarité avec la Palestine et quelques drapeaux agités, les revendications des manifestants portent d’abord sur des problématiques nationales, qu’elles soient économiques, sociales ou sociétales.

Dans les ruelles étroites et poussiéreuses du camp de Chatila, des adolescents à scooter slaloment entre les passants et frôlent les murs tapissés de photos de Yasser Arafat à tous les âges. Quand on aborde le sujet du « Hirak », les réponses se ressemblent et sont presque toutes lapidaires : « C’est une affaire libanaise, cela ne nous concerne pas ! » Et il faut s’y reprendre à trois fois pour convaincre Omar, la vingtaine fatiguée, d’exposer son point de vue : « Peut-être que les Libanais sont pauvres, mais nous on est super pauvres et tout le monde s’en fout. » Depuis le début du mouvement, ce livreur ne travaille plus qu’un jour ou deux par semaine pour 20 000 livres par jour. « En ce moment, c’est pire que tout. Ma femme est au chômage, je ne sais même pas comment je vais pouvoir nourrir ma fille demain. Ce n’est pas une vie ! » soupire ce jeune père de famille. Youssef, une de ses connaissances, s’est joint à la conversation. Lui aussi est en colère et exprime sa défiance à l’égard des manifestations. « On nous a assez répété qu’on n’était pas chez nous ici. Pourquoi j’irais me battre pour ce pays alors que mon seul rêve est d’en partir ? Mais même ça, on ne me laisse pas le faire », s’emporte cet homme qui raconte avoir été arrêté par les autorités l’an passé alors qu’il tentait de s’enfuir à la nage.

Ahmad est membre du Fateh. Il a entendu la discussion et cherche à arrondir les angles : « Les Libanais ont raison de se révolter et nous sommes évidemment solidaires de leur mouvement. Nous espérons qu’il va porter ses fruits, car nous savons mieux que personne que la situation économique n’est pas tenable. » Il considère néanmoins que par prudence, les Palestiniens doivent se tenir à l’écart des manifestations : « Aujourd’hui encore, on nous accuse d’être à l’origine de la guerre civile, nous devons rester en dehors des histoires libanaises. À chacun sa révolution ! » Omar et Youssef acquiescent sans avoir l’air convaincus.


« Une révolution appartient à ceux qui se reconnaissent en elle »

Si, comme Ahmad, certains Palestiniens se disent sympathisants de la Thaoura, rares sont ceux qui y participent activement. Khalil est l’un d’entre eux. Depuis le 17 octobre, ce quadragénaire de mère libanaise – qui n’a donc pas la nationalité – descend manifester tous les jours. Selon lui, l’engagement n’a rien à voir avec une question d’hymne ou de drapeau car, assure-t-il, « une révolution appartient à ceux qui se reconnaissent en elle ». « Tous les hommes et les femmes qui croient en la liberté, en l’égalité et en la dignité ont leur place. Les Palestiniens ne devraient pas avoir peur de descendre dans la rue », tonne cet homme aux cheveux grisonnants, diplômé en électronique mais qui, du fait des restrictions sur l’emploi des étrangers, travaille comme vendeur dans une pâtisserie.

Khalil est très remonté contre l’Unrwa et les principaux partis palestiniens, le Fateh et le Hamas, qu’il accuse de maintenir les réfugiés dans un état d’apathie : « Si les gens ne se mobilisent pas, c’est qu’ils n’ont plus foi en rien, plus aucun horizon. Ni ici ni ailleurs. Notre seule perspective, c’est le droit au retour, mais qui y croit encore ? » Celui qui se présente comme apolitique a fait partie de ces nombreux Palestiniens qui se sont mobilisés il y a quelques mois dans le cadre d’un mouvement populaire inédit qui a touché tous les camps de réfugiés du Liban, même s’il est passé relativement inaperçu. Plusieurs milliers de manifestants s’étaient rassemblés place des Martyrs début septembre pour réclamer « un asile humanitaire collectif », dans un contexte de crise économique et de politique répressive à l’égard des étrangers. La mobilisation s’est depuis essoufflée, mais Khalil se dit convaincu qu’elle peut repartir et qu’il faut pour cela que les Palestiniens s’appuient sur la dynamique du soulèvement libanais. Avec quelques amis, il est à l’initiative du « Mouvement populaire », un groupe indépendant qui entend alerter l’Unrwa sur la situation économique des réfugiés et réclame une aide d’urgence. Hier matin, sous la pluie, ils n’étaient qu’une petite trentaine de personnes rassemblées devant les locaux de l’Unrwa à Cola. Pas de quoi décourager Khalil : « Ceux qui ont commencé les manifestations au Liban étaient une poignée jeudi soir (17 octobre). Et regardez, ils sont aujourd’hui des millions ! »


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commentaires (1)

Faut remercier l'UNRWA qui a fait tout pour garder ces refugies dans les camps et ne leur laisse pas la possibilite d'emigrer vers dáutres cieux afin de maintenir la "cause palestinienne"....

IMB a SPO

19 h 34, le 29 novembre 2019

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Commentaires (1)

  • Faut remercier l'UNRWA qui a fait tout pour garder ces refugies dans les camps et ne leur laisse pas la possibilite d'emigrer vers dáutres cieux afin de maintenir la "cause palestinienne"....

    IMB a SPO

    19 h 34, le 29 novembre 2019

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