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Culture - Artistes de la semaine

Rachid Nakhlé et Wadih Sabra : tous pour la patrie

Deux artistes sont à l’honneur : un écrivain et un compositeur. À eux deux, ils ont créé un chant adopté comme hymne national en 1927, suite à un concours national et en plein mandat français : le « Koullouna », un chant rassembleur et pérenne qui brise toute barrière et traverse les temps.


Wadih Sabra dans les années 1930. Photo tirée de la collection du CPML (Centre du patrimoine musical libanais)

S’il a précédé les événements qui ont abouti à l’indépendance du Liban, laquelle est célébrée en ce jour du 22 novembre, l’hymne national en est indissociable, car il est l’ADN de cette patrie formée de plusieurs communautés et qui a réussi, malgré quelques dérapages dus souvent à une politique extérieure interventionniste, à faire du pays du Cèdre ce qu’on a appelé le miracle libanais. Peu savent en effet que ce texte écrit par Rachid Nakhlé et mis en musique par Wadih Sabra a en fait précédé l’indépendance du Liban d’une quinzaine d’années. En 1925, déjà, sous le mandat français, Wadih Sabra composait cette musique avant qu’un décret du 12 juillet 1927 n’adopte officiellement son œuvre et celle de Nakhlé comme nouvel hymne national, qui sera entonné dans toutes les cérémonies officielles, après une sélection de diverses propositions récoltées dans le pays. Entonné d’une seule voix, cet hymne national n’a jamais été aussi bien entendu et bien assimilé par le peuple qui réclame aujourd’hui une seconde indépendance au nom de la dignité humaine. « Tous pour la patrie, pour la gloire et le drapeau. Par l’épée et la plume nous marquons les temps. Notre plaine et nos montagnes font des hommes vigoureux. À la perfection nous consacrons notre parole et notre travail. Nos vieux et nos jeunes attendent l’appel de la patrie. Le jour de la crise, ils sont comme les lions de la jungle. Le cœur de notre Orient demeure à jamais le Liban. Que Dieu le préserve jusqu’à la fin des temps. » Cet extrait explique ce sentiment d’appartenance à la terre, qui n’exclut ni vieux, ni jeunes, ni travailleurs, ni artistes, ni écrivains ou soldats. Rien n’est omis dans ce beau texte qui a le titre de Koullouna lil watan. À rappeler que parmi les textes non retenus par le jury chargé de choisir le meilleur hymne figuraient celui de Abdel-Halim Hajjar, mohafez du Liban-Nord, et celui de Chebli Mallat, qui comportait cette touche féministe puisqu’il commençait par ces vers : « Filles des Cèdres/Chantez-nous/Les symboles de nos cèdres hautains... » et qui a été rajoutée récemment dans le chant de Carole Sakr (Le Liban, terre des femmes et des hommes). Mais également se rappeler que l’importance et l’union du Croissant similaire à la Croix sur cette terre du Cèdre avait été ôtée du texte de Nakhlé.

Qui sont-ils ?

C’est donc finalement Koullouna lil watan (Tous pour la patrie) qui l’emportera et qui survivra aux changements de 1943, conférant à Wadih Sabra une renommée nationale. Si le compositeur a été choisi, comme on dit, parce qu’il a poursuivi des études en France et que Beyrouth était alors imprégnée de la culture occidentale, tous les experts s’entendent à le désigner comme le père fondateur de la musique savante libanaise, dont la réputation ne se serait pas uniquement fondée sur la composition de Koullouna lil watan. Sa biographie est rapportée comme suit par le père Joseph Tannous. « Né de parents qui travaillaient respectivement comme directeur et enseignante à l’École britannique de Beyrouth, c’est là qu’il commence son éducation avant de poursuivre ses études à la faculté américaine, qui deviendra plus tard l’Université américaine de Beyrouth. Il fera ses études musicales sous la direction de Grace Amine Chakkour, de Théodora Kassab et du baron autrichien Von Rublein. En 1892, une bourse du consulat français à Beyrouth lui permet de poursuivre ses études musicales au Conservatoire de Paris. Il fait alors une rencontre capitale avec le grand compositeur français Camille Saint-Saëns, qui devient son maître et dont il apprend l’écriture musicale, l’harmonie et le contrepoint. Il apprend notamment la composition musicale avec Max d’Olonne et achève ses études en un an, au lieu des trois. Il suit également les cours de Paul Vidal et d’Alexandre Guilmant en accompagnement à l’orgue et au piano, ainsi que les cours d’histoire de la musique et du chant sous la direction du chef d’orchestre et compositeur connu Louis-Albert Bougault-Ducoudray ».

Durant son séjour à Paris, le jeune Wadih Sabra n’oubliera jamais ses racines et se consacre à l’étude et à la diffusion de la musique arabe en Europe. Il rédigera ainsi de nombreux ouvrages, notamment La musique arabe au service de l’art contemporain et La musique arabe, base de l’art musical occidental. Il essaiera aussi d’étudier les meilleurs moyens d’intégrer la notion d’harmonie occidentale à la musique libanaise. Parmi ses compositions, en plus de l’hymne national, citons également le premier opéra en langue turque Les bergers de Canaan, le premier opéra en langue arabe Les deux rois, 1929, et un opéra en langue française L’émigré. À cela s’ajoutent 30 variations pour piano et orchestre sur des airs orientaux, un oratorio (Le chant de Moïse) et d’autres œuvres vocales. Certaines de ses œuvres et recherches musicales (quatre travaux) furent éditées au Liban et en France, mais la plupart de ses compositions sont aujourd’hui malheureusement perdues.

La musique de l’hymne ne serait rien sans les paroles et c’est à celui qui a été surnommé « le prince du zajal (poésie chantée) », qu’est revenu l’honneur d’en écrire les paroles. Né en 1873, Rachid Nakhlé poursuit des études à Aïn Zhalta avant d’être admis à l’école américaine de Souk el-Gharb. En 1912, il fonde le journal al-Chaab (le Peuple), qui sera plus tard distribué gratuitement. Après avoir occupé multiples postes administratifs dans l’État libanais, il est exilé en 1915 à Jérusalem pour revenir à la tête d’autres fonctions comme mohafez de Tyr en 1925. Il n’aura de cesse d’écrire des livres de littérature, d’autres à thèmes sociaux et surtout des recueils de poèmes (Diwan al-chaer al-samaoui) ou même de zajal comme Mohsen al-Hazzan en 1936 et son recueil personnel de cette poésie chantée à laquelle il donne ses titres de noblesse tout en popularisant le poème en tant qu’écrit quasi divin. Enfin, Nakhlé rédigera des livres politiques (Le livre de l’exil) qui témoignent de ses pensées avant-gardistes. C’est sa compréhension approfondie de la politique qui le fera d’ailleurs dire dans un article que celle-ci « tue la fougue et l’entrain, travestit les intérêts personnels et fabrique des ruses ». Lorsque son texte pour le chant national sera admis par le jury, le poète souhaita que le montant du prix soit distribué à des œuvres caritatives. Un ministre lui demanda lesquelles ? Il n’y a pas de distinction parmi les pauvres, répondit-il. Plus tard en 1933, il ne pourra pas assister à la cérémonie où on l’élit prince du zajal, ayant été amputé du pied pour cause de diabète. Il dit alors cette phrase célèbre : « Le Liban et moi sommes deux laboratoires : lui pour de nouveaux visages politiques et moi pour les médicaments. » On doit donc à ce visionnaire les paroles unificatrices qui sont rentrées dans l’histoire du pays.

Wadih Sabra

23 février 1876

Naissance à Aïn el-Jdeidé, à Bhamdoun.

1892

Études musicales au Conservatoire de Paris.

1921

Il épouse Adèle Misk et adpote une fille, Badiha, future cantatrice d’opéra.

1925

Il compose la musique du « Koullouna » qui est adopté comme chant national en 1927.

11 avril 1952

Mort à Beyrouth.


Rachid Nakhlé

6 février 1873

Naissance au Chouf.

1906

Création de la grande bibliothèque nakhliyate.

1926

Écriture des paroles du chant national « Koullouna lil watan » admis lors d’un concours en 1927.

1933

Il est surnommé durant une cérémonie « prince du zajal ».

1939

Mort du poète et écrivain.


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S’il a précédé les événements qui ont abouti à l’indépendance du Liban, laquelle est célébrée en ce jour du 22 novembre, l’hymne national en est indissociable, car il est l’ADN de cette patrie formée de plusieurs communautés et qui a réussi, malgré quelques dérapages dus souvent à une politique extérieure interventionniste, à faire du pays du Cèdre ce qu’on a appelé...

commentaires (2)

Quel Peuple! Quelle énergie,quelle force,quelle sagesse! Quel genie,deroutant d organisation,d imagination,de bravoure,d humour,malgré tant de difficultés,de drames personnels,il démontre lá son merite á accéder á ses demandes,justifiées 50 années que le français que je suis "pratique"ce pays á nul autre pareil et il garde cette faculté inusable pouvoir ,au delá du temps ,continuer d ÉTONNER,n est ce pas lá une des conditions fondamentale á un amour perenne ?....

Monnin Dominique

19 h 30, le 22 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • Quel Peuple! Quelle énergie,quelle force,quelle sagesse! Quel genie,deroutant d organisation,d imagination,de bravoure,d humour,malgré tant de difficultés,de drames personnels,il démontre lá son merite á accéder á ses demandes,justifiées 50 années que le français que je suis "pratique"ce pays á nul autre pareil et il garde cette faculté inusable pouvoir ,au delá du temps ,continuer d ÉTONNER,n est ce pas lá une des conditions fondamentale á un amour perenne ?....

    Monnin Dominique

    19 h 30, le 22 novembre 2019

  • "Un homme est venu à moto à six heures". L'hymne national libanais "Kollouna lil watan" (Tous pour la patrie) est de deux ans moins jeune que moi. Ce qui me permet de penser que l'élégant motard n'est pas venu à six heures du matin de Aïn el-Jdeidé (Bhamdoun) ni de Aïn-Zhalta (Chouf) ni de Aïn-Warqa (Kesrouan)... Merci de votre cadeau, Sayyed le motard.

    Un Libanais

    12 h 00, le 22 novembre 2019

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