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La révolution en marche - Édito

Quand l’automne libanais prend un air de printemps

Photo AFP / JOSEPH EID

Le Liban n’a plus quatre mais deux saisons, l’hiver et l’été, a-t-on désormais coutume de dire à travers le pays, changement climatique oblige. Et pourtant, cette année, c’est un spectaculaire printemps qui s’est invité au beau milieu d’un automne qui n’en était effectivement pas un.

Depuis le 17 octobre, et cette éphémère annonce de « taxe WhatsApp » qui a fait déborder un vase depuis bien longtemps plein, les Libanais manifestent contre la classe politique, la corruption, le système clientéliste et confessionnel, le népotisme, pour des droits minimaux, à l’électricité, l’eau… Ils manifestent, en un mot, pour pouvoir vivre dignement, et ce dans leur pays.

Depuis un mois, les Libanais des quatre coins du pays se trouvent des aspirations et des angoisses communes. Depuis un mois, ces Libanais de Tripoli, Beyrouth, Nabatiyé, Tyr, Saïda, Baalbeck ne cessent, avec une créativité, une détermination et un humour exceptionnels, de réinventer la mobilisation, de rassemblements massifs en chaîne humaine et opérations ciblées. Depuis un mois, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes se rencontrent, se découvrent, échangent, débattent sur les places du pays. Depuis un mois, ces Libanais se posent en peuple uni et fraternel, au-delà de leurs appartenances communautaire et sociale.

Un éveil qui a pris le pouvoir politique par surprise, affairé qu’il était à faire tourner les rouages d’un système de partage du gâteau établi depuis des décennies. Un pouvoir certes bien secoué par la protestation mais qui reste, au bout d’un mois de révolte, globalement aveugle et sourd à l’ampleur du changement global que le peuple, une grande partie du moins, réclame.

Au cours de ce mois, ce peuple a enregistré plusieurs victoires : la démission, réclamée à cor et à cri, du gouvernement ; le report d’une séance parlementaire; le retrait, deux jours après un accord des principaux partis au pouvoir sur son nom en tant que prochain Premier ministre, de Mohammad Safadi, milliardaire issu de l’establishment politique ; et l’élection tellement symbolique de l’indépendant Melhem Khalaf, soutenu par la société civile, bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth, face au candidat des principales formations politiques.

Les défis, dans ce mouvement de révolte inédit qui veut accoucher d’une véritable révolution, n’en demeurent pas moins nombreux et colossaux.

Pendant que le pouvoir perd un temps qu’il n’a pas à sauver des meubles insauvables, la situation économique et financière du Liban s’aggrave de jour en jour.

Faute d’actions urgentes, c’est le risque d’un défaut de paiement, d’une dévaluation et d’une inflation incontrôlées, d’un chômage encore plus massif qu’aujourd’hui, engendrant un appauvrissement accru de la population, qui se profile. Qui sait quelles conséquences aurait une telle aggravation de la crise sur le mouvement de contestation ?

Un autre défi tient, sur un temps plus long, en la transformation d’un mouvement de contestation protéiforme, en force politique structurée, au singulier ou au pluriel. C’est à ce moment-là, quand la politique reprendra ses droits, que risquent en outre d’apparaître, au sein du peuple aujourd’hui uni dans la révolte, des clivages quant à la société que l’on veut construire ou encore, et entre autres, quant à la nature de la politique économique que l’on veut mener.

Mais ces discussions, ces choix, ces arbitrages, sont ceux-là mêmes qui feront passer vraiment le système libanais d’un fonctionnement délétère consensuel-confessionnel à une démocratie digne de ce nom. L’on s’alliera sur des questions politiques et non plus sur des intérêts clientélistes et communautaires. Et dans les bureaux de vote, l’on ne votera plus pour un zaïm, mais pour un programme.

Quoi qu’il arrive sur le chemin semé d’embûches qui s’ouvre devant le pays, il est toutefois un acquis que l’on ne pourra pas effacer : depuis un mois, cette rue qui a ébranlé les murs des appartenances sociales et communautaires s’est posée, en quelque sorte, en autorité de régulation. Le peuple, surtout, s’est découvert en tant que peuple. Un peuple qui plante les graines d’une nation.


Avec ce supplément, replongez-vous dans les quatre semaines de ce printemps libanais, via une sélection de nos articles, reportages et tribunes.

Bonne lecture !

Le Liban n’a plus quatre mais deux saisons, l’hiver et l’été, a-t-on désormais coutume de dire à travers le pays, changement climatique oblige. Et pourtant, cette année, c’est un spectaculaire printemps qui s’est invité au beau milieu d’un automne qui n’en était effectivement pas un.
Depuis le 17 octobre, et cette éphémère annonce de « taxe WhatsApp » qui a fait...

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