Sitôt ouverte sitôt refermée, la parenthèse Mohammad Safadi n’a pas duré plus de 48 heures. Simple manœuvre ou véritable projet, les versions divergent et les accusations et contre-accusations commencent à apparaître au grand jour entre le camp du Premier ministre démissionnaire et celui du chef du CPL. Ce qui est certain, c’est que l’idée de charger l’ancien ministre de former le nouveau gouvernement n’a pas obtenu l’aval des trois anciens Premiers ministres (Salam, Siniora et Mikati), ni la couverture du mufti, tout en provoquant la colère de la rue. Au point que Saad Hariri a dû se rétracter et retirer son appui à cette candidature, rendant ainsi la désignation de Safadi impossible dans un tel contexte : un rejet sunnite et un appui chiite qui auraient pu dégénérer en discorde entre les deux communautés.
Que s’est-il réellement passé au cours des derniers jours ? Les sources proches du CPL racontent que tout a commencé avec les contacts qui ont suivi la démission de Saad Hariri. Au cours des trois rencontres entre le Premier ministre démissionnaire et le chef du CPL, la première option était de s’entendre sur une nouvelle désignation de Hariri. Mais ce dernier avait ses conditions. Il voulait présider un gouvernement de technocrates purs, une option totalement rejetée par Amal et le Hezbollah. C’est alors que Gebran Bassil a proposé un gouvernement mixte « techno-politique ». Amal et le Hezbollah ont accepté la proposition, en allant même jusqu’à suggérer que les 4 portefeuilles régaliens (Défense, Intérieur, Finances et Affaires étrangères) soient confiés à des personnalités politiques, les 20 maroquins restants allant aux technocrates. Saad Hariri a encore refusé, affirmant aux émissaires des deux formations chiites (Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil) qu’il ne voulait pas de Gebran Bassil au sein du gouvernement. Mais à ce dernier, il a déclaré qu’il n’avait pas de problème avec lui, mais qu’il souhaitait former un cabinet qui ne comporterait pas des figures controversées et sans le Hezbollah. C’est alors que le chef du CPL a proposé un gouvernement « techno-politique » avec des figures de second plan, c’est-à-dire que lui-même et Saad Hariri, ainsi que Ali Hassan Khalil et d’autres n’en feraient pas partie, prévoyant aussi une participation de représentants des protestataires. Le Premier ministre sortant n’aurait pas apprécié la suggestion, rappelant à Gebran Bassil que « le compromis présidentiel » prévoyait Michel Aoun à la présidence et lui à la tête du gouvernement... Il aurait alors sollicité le soutien des deux émissaires chiites, qui ont réitéré leur appui à une formule mixte qu’il présiderait. Hariri aurait alors répété qu’il refusait de former un tel gouvernement, et c’est là qu’aurait commencé l’examen d’autres possibilités. Dans sa dernière rencontre avec Gebran Bassil, selon les sources proches du CPL, plusieurs noms ont été avancés. L’option Tammam Salam aurait été ainsi évoquée, mais l’ancien Premier ministre aurait refusé de présider le nouveau gouvernement dans un tel contexte. C’est alors que le nom de Mohammad Safadi aurait été cité. Toujours selon les mêmes sources, Saad Hariri aurait évoqué cette option dans sa dernière rencontre avec les deux émissaires chiites. Il faut préciser à cet égard que la relation est bonne entre MM. Hariri et Safadi, notamment depuis les dernières élections législatives en 2018, au cours desquelles ce dernier s’était abstenu de présenter sa candidature, tout en donnant toutes ses voix aux candidats du chef du courant du Futur.
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Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil auraient donc accepté l’option Safadi, et selon des sources proches des deux hommes, Saad Hariri se serait engagé à assurer la couverture sunnite à l’ancien ministre, d’abord en poussant le courant du Futur à participer sous une forme ou une autre au gouvernement en gestation, et ensuite en lui assurant une couverture de la part du mufti de la République et des anciens Premiers ministres. Toujours selon les mêmes sources, en soumettant cette proposition aux trois anciens Premiers ministres, Saad Hariri aurait perçu une vive opposition, notamment de la part de Fouad Siniora et de Nagib Mikati. Les trois anciens chefs de gouvernement ont ainsi publié un communiqué pour réitérer leur appui au Premier ministre démissionnaire. Le message était clair et il signifiait qu’ils n’accordaient pas leur soutien à la désignation de Safadi. Ce communiqué a d’ailleurs constitué le signal pour la fermeture de la parenthèse Safadi. Les sources proches des deux émissaires chiites ont été les premières à évoquer le contenu de la dernière rencontre entre Saad Hariri d’une part, Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil de l’autre, pour en conclure que Hariri n’a pas assuré la couverture sunnite nécessaire à Safadi. Les milieux proches du Premier ministre démissionnaire ont d’ailleurs laissé entendre que le nom de Safadi a été lancé par Gebran Bassil, et qu’il n’y a eu aucun engagement de la part de Saad Hariri. Les sources proches de Bassil ont répondu à ces allégations et la situation en est restée là.
Toutefois, les sources proches des deux formations chiites tirent quelques conclusions de ce qui s’est passé. D’abord, elles louent le souci du Premier ministre démissionnaire de ménager les formations chiites, sachant que leur principale inquiétude actuellement est d’éviter une discorde entre sunnites et chiites dans la foulée des protestations dans les rues. Ensuite, les mêmes sources précisent que les deux formations sont convaincues que Saad Hariri souhaite former le prochain gouvernement, mais à ses propres conditions, c’est-à-dire qu’il voudrait diriger une équipe de technocrates et qu’il mise pour cela sur un changement de position de la part d’Amal et du Hezbollah.
À ce stade, c’est donc comme si chacun des deux camps attendait que l’autre cède en premier. Et pendant ce temps, la rue continue de crier sa colère...
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commentaires (10)
Le CPL a toujours misé sur des alliés extérieurs pour renforcer et appuyer ses prises de positon contre la volonté du peuple libanais. La présence de Aoun et de Bassil en est la meilleure preuve. Ce qu'ils ignorent c'est que ce temps est dorenavant révolu. Le peuple a découvert le pot au roses et ils sont grillés.
Sissi zayyat
19 h 30, le 18 novembre 2019