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La révolution en marche - Bilan

Révolte populaire : un mois déjà et tant d’acquis, en attendant le projet politique

Outre les victoires ponctuelles comme la démission du Premier ministre ou le report de la séance parlementaire, des militants soulignent des changements sociétaux.


Sur le toit de l’œuf, au cœur de Beyrouth, une manifestante s’enveloppe du drapeau libanais. Patrick Baz/AFP

Le mouvement de contestation populaire contre la classe politique libanaise paralyse le pays depuis un mois déjà. Un mois depuis que la population est descendue dans la rue le 17 octobre de manière spontanée, suite à une décision du ministre des Télécommunications, Mohammad Choucair, de taxer le service de messagerie WhatsApp, pourtant gratuit, sur fond de crise financière des plus graves que traverse le pays. Depuis la démission du gouvernement dirigé par Saad Hariri le 29 octobre dernier, célébrée par la rue comme une première victoire, le chef de l’État, Michel Aoun, tarde à engager les consultations parlementaires contraignantes pour la formation d’un nouveau gouvernement indépendant de transition chargé de gérer la crise financière et d’organiser des élections législatives anticipées, comme le demandent les manifestants. Quels sont aujourd’hui les acquis de ces mouvements de contestation ? Et vers quoi se dirige le Liban ? Différentes composantes de la société libanaise tentent de répondre aux questions de L’Orient-Le Jour, militants actifs, observateurs et figures de la vie politique traditionnelle.


Aucune solution qui ne tienne compte de la voix de la rue

La rue est consciente d’avoir plusieurs succès à son actif, « la chute du gouvernement », « le report de la séance parlementaire » prévue le 12 novembre, qui envisageait l’adoption d’une loi d’amnistie générale, mais aussi « la récente décision de justice » d’obliger les sociétés de téléphonie mobile à émettre leurs factures en livres libanaises. Au-delà de ces victoires ponctuelles, en attendant la formation d’un gouvernement selon leurs attentes, les contestataires reconnaissent des victoires sociétales plus profondes. « La rue a fait montre d’une grande maturité en exprimant sa colère pacifiquement », souligne Khatchig Arsanian, un jeune militant qui manifeste régulièrement devant Électricité du Liban. « Nous avons aussi réussi à briser les barrières confessionnelles », ajoute-t-il fièrement. Sarah Baghdadi, activiste de 22 ans, soutient de son côté qu’ « en réclamant ses droits et le recouvrement de sa dignité, la rue s’est imposée comme autorité de contrôle ». « Elle a brisé les tabous politiques et communautaires et fait preuve d’un grand respect de sa diversité, en refusant de nommer des représentants », dit-elle. Pour l’activiste Siham Antoun, membre d’un regroupement syndical de professionnels indépendants, qui « manifeste au quotidien depuis le 17 octobre », à ces victoires viennent s’ajouter « une explosion de la créativité artistique des jeunes talents » pour exprimer leur rejet de la classe au pouvoir et « la récupération des places publiques par le peuple libanais ».

Le groupe d’influence Koullouna irada reconnaît également les acquis de la révolte. « Non seulement la rue a obtenu la démission du gouvernement et empêché le Parlement de se réunir, mais le chef de l’État n’est plus entendu et les institutions sont paralysées, observe Sibylle Rizk, directrice des politiques publiques au sein de cette organisation civile pour la réforme politique. Aucune solution ne pourra donc être imposée sans tenir compte de l’expression de la voix populaire. » Se penchant par ailleurs sur le caractère décentralisé de la révolte, elle observe qu’il « est à la fois une force et une faiblesse ». « Une force, car il est le signe de la profondeur du mouvement et de sa transversalité, géographique sociale et confessionnelle. C’est aussi une faiblesse car nous ne sommes pas en présence d’une opposition organisée qui réclame l’accès au pouvoir », note-t-elle.


(Lire aussi : Une double dose de provocation, l'éditorial de Issa GORAIEB)


On réclame un État fort et non plus un président fort

Face à ces multiples victoires, la classe politique ne peut que reconnaître « le séisme qui l’a profondément secouée ». « Personne ne s’attendait à ce qui s’est passé », acquiesce le député du CPL Simon Abi Ramia, constatant « le large fossé entre les citoyens et les dirigeants politiques », et « le non-essoufflement de la mobilisation, signe du profond malaise populaire ». « Le peuple exerce désormais une surveillance accrue. Il met en place une justice populaire. Et nous réalisons que nous devons rendre régulièrement des comptes de manière transparente, et non seulement à chaque échéance électorale », ajoute-t-il, insistant sur la nécessité de changement du comportement politique.

Même constatation de l’ancien député Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, qui voit dans les mouvements de contestation « un immense défi au féodalisme politique et communautaire », et « une marche vers un État démocratique ». « Les routes n’ont jamais été aussi ouvertes entre Tripoli, Jal el-Dib et les autres régions », souligne-t-il, saluant cette volonté de changement des manifestants et leur rejet des barrières communautaires.

Pour sa part, l’ancien député Farès Souhaid, chef du Rassemblement de Saydet el-Jabal, égrène les nombreuses réussites d’une rue qui, estime-t-il, « a restructuré l’union nationale, de Tripoli à Beyrouth, à Saïda, à Tyr », « réalisé la réconciliation populaire inachevée après la guerre civile de 1975 » et « obtenu une reconnaissance internationale ». « Les concepts politiques ont également changé, ajoute-t-il. Le concept de président fort s’est écroulé, laissant la place à celui d’État fort. Les droits communautaires disparaissent, face à ceux du citoyen. Et la jeunesse rejette les clivages confessionnels ». « Sans compter que nombre de leaders politiques ont vu leur image écorchée dans leurs propres fiefs, même Nabih Berry, le président du Parlement qui faisait fonction d’ambassadeur chiite depuis 1992. »


(Lire aussi : Quand le Hezbollah a peur de son ombre)


L’avenir incertain

Le point de non-retour semble désormais atteint. Car aucun gouvernement ne pourra voir le jour sans qu’il ne prenne en considération les revendications populaires. Les inquiétudes persistent toutefois quant à l’avenir du pays et de cette révolte populaire à laquelle on refuse de donner le nom de révolution car elle demeure respectueuse des institutions. Si la rue craint « une crise financière extrêmement grave » et « une réaction plus violente des partisans du pouvoir », elle n’en demeure pas moins « déterminée à poursuivre sa mobilisation jusqu’à obtenir ses revendications ».

Mais du côté des hommes politiques, on évoque « le défi » qu’implique le changement. « Les gens sont certes révoltés, mais le poids communautaire et partisan demeure important dans le pays », rappelle Simon Abi Ramia. Il reconnaît en revanche que « de nouvelles figures vont émerger, aussi bien de contestataires que de réformateurs au sein des partis politiques ». De son côté, Moustapha Allouche ne voit pas de solution immédiate dans le sens des revendications populaires. « D’une part, le pouvoir compte sur l’essoufflement de la rue. D’autre part, un dossier essentiel demeure en suspens, celui de l’armement illégal du Hezbollah », note-t-il, affirmant comprendre la décision des manifestants de ne pas évoquer le sujet. « Pour bâtir un État, il faut pourtant aborder les questions essentielles qui empêchent la construction de la nation. »

Farès Souhaid voit les choses autrement, surtout depuis la dernière intervention du chef de l’État. « On se dirige indubitablement vers une crise de gouvernement et de mandat qui risque d’aboutir à une crise constitutionnelle, prévient-il. Une crise qui pourrait aboutir à l’émergence d’une troisième République et voir l’ouverture de dossiers qui n’ont pas été évoqués durant les années de plomb, comme l’arsenal du Hezbollah ou l’État civil. »

L’étape à venir est délicate. « On est entré dans une phase de transition du système au pouvoir, face à des forces émergentes », assure de son côté Sibylle Rizk, de Koullouna irada. « Leur capacité à faire naître une alternative est naturellement lente, alors que le traitement de la crise financière est urgent », précise-t-elle, craignant que le calendrier de la transition politique ne soit pas assez rapide par rapport à celui de la crise financière. Une crise qui, si elle n’est pas gérée, « risque de provoquer une dévaluation incontrôlée, un défaut de paiement, une inflation galopante, un chômage massif, entraînant un appauvrissement irrémédiable de la population ». Si la révolte « fourmille d’idées sur les droits civils fondamentaux, l’indépendance de la justice et autres », elle regrette que « ces idées ne soient pas encore catalysées dans un projet politique ».



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commentaires (2)

Peut on espérer après un mois de révolte que les libanais resteront unis ? Le Hezbollah et Berry se chargeront de brouiller les libanais

FAKHOURI

20 h 46, le 16 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • Peut on espérer après un mois de révolte que les libanais resteront unis ? Le Hezbollah et Berry se chargeront de brouiller les libanais

    FAKHOURI

    20 h 46, le 16 novembre 2019

  • Le concept de président fort s'est écroulé... Les manifestants réclament un Etat fort avec un président qui a un débit de parole facile...

    Un Libanais

    13 h 25, le 16 novembre 2019

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