La désignation de l’ancien ministre Mohammad Safadi pour présider le prochain gouvernement, sur laquelle se sont entendus jeudi soir le tandem chiite Hezbollah/Amal et Saad Hariri, est loin d’être acquise. La guerre des communiqués et les démentis publiés de part et d’autre à ce sujet en disent long sur la confusion que suscite cette « nomination » en amont, bien avant la date des consultations parlementaires contraignantes dont la date n’a pas encore été fixée et que certains qualifient de « manœuvre politique ».
Le Premier ministre sortant, Saad Hariri, qui insiste depuis sa démission sur un gouvernement regroupant uniquement des experts – une formule que rejette notamment le tandem chiite –, a fini par avaliser, jeudi soir, le nom de M. Safadi. Le choix de cet homme d’affaires issu de l’establishment politique et financier, qui a réussi à entretenir de bonnes relations avec les deux camps du 8 et du 14 Mars, a été consenti par défaut par le tandem chiite, à l’issue d’une réunion qui s’est tenue à la Maison du Centre. Dans un communiqué conjoint, Hussein Khalil, le bras droit du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et le ministre sortant affilié au mouvement Amal, Ali Hassan Khalil, ont tenu à rappeler que le tandem chiite maintient son premier choix qui est M. Hariri, mais que, devant le refus de ce dernier, il a fini par se ranger à cette solution. Le communiqué précise que Amal et le Hezbollah n’ont aucun inconvénient à ce que les trois quarts des membres du prochain cabinet soient des « technocrates », sans toutefois préciser si ces derniers doivent être ou non proches des différentes formations politiques et quelle sera la part de ces technocrates qui devra représenter le mouvement de révolte.
L’accord autour du nom de M. Safadi est survenu après que les partenaires du Premier ministre sortant (le Courant patriotique libre, Amal et le Hezbollah) ont refusé plusieurs autres candidats suggérés par ce dernier, notamment Nawaf Salam, l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies, actuellement juge à la Cour internationale de justice.
Validé par le chef du CPL, Gebran Bassil, qui s’est dépêché d’annoncer à la presse la tenue des consultations parlementaires lundi prochain, l’accord de principe autour de la personnalité de M. Safadi a suscité une guerre de communiqués, notamment entre le CPL et le Futur. M. Bassil avait indiqué à la presse être en contact avec le ministre Safadi « qui a accepté de présider le prochain gouvernement s’il obtient l’accord des principales parties politiques faisant partie du gouvernement ». « Si les choses vont dans le bon sens, les consultations devront commencer lundi », a ajouté M. Bassil. Des propos qui lui ont valu une verte réaction de la part du courant du Futur : « Le ministre Bassil a fixé la date des consultations parlementaires avant même qu’elles ne soient fixées par le président de la République, s’est insurgée une source proche de la Maison du Centre, citée par le site web de la formation, Mustaqbal web. Il a aussi annoncé que la formation du gouvernement aurait lieu rapidement. S’il veut rendre service au pouvoir et à la présidence de la République, il devra s’abstenir de faire des déclarations. »
Le bureau de presse de M. Bassil a par la suite publié une mise au point, précisant que le ministre sortant des Affaires étrangères avait juste eu une conversation à bâtons rompus avec les journalistes et que ses propos n’avaient pas été rapportés fidèlement.
(Lire aussi : Une double dose de provocation, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Baabda rectifie le tir
L’élan d’enthousiasme dont a fait preuve le chef du CPL au sujet d’une sortie prochaine de la crise de la formation du cabinet a été également freiné par Baabda, où l’on s’est dépêché de relativiser l’avancée effectuée sur ce plan et de préciser que le président ne s’est pas encore prononcé sur la date des consultations. Une source proche du palais présidentiel a indiqué à L’OLJ que « les contacts sont toujours en cours, même si le nom de M. Safadi a déjà eu l’aval de trois composantes majeures de l’échiquier politique. Plusieurs autres parties n’ont pas encore été consultées et doivent se prononcer dans le cadre des consultations dont la date n’a toujours pas été fixée ».
D’autres sources proches du chef de l’État expliquent la prudence dont a fait montre ce dernier par la crainte de voir la désignation de M. Safadi consacrée par les seules forces du 8 Mars et donnant lieu au final à un gouvernement monochrome.
Des sources proches du président ont indiqué à la chaîne OTV que l’aval accordé par M. Hariri à la candidature de M. Safadi a été accompagné de « conditions paralysantes ». « M. Hariri, qui n’était pas d’accord sur la formule d’un gouvernement techno-politique, ne s’est pas engagé à participer au prochain cabinet. Autant d’indices qui laissent planer des doutes sur son intention réelle derrière le choix de M. Safadi », précisent les sources. Celles-ci faisaient allusion à une manœuvre orchestrée par le Premier ministre sortant, destinée à faire échouer le processus d’un cabinet techno-politique et à éliminer d’emblée M. Safadi pour accroître les chances de son retour sur scène. Démentant les informations véhiculées par Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil, qui avaient souligné que M. Hariri s’est « engagé à nommer des ministres de sa formation au sein du gouvernement », des sources politiques indiquent que la formation du Premier ministre démissionnaire « n’acceptera pas de faire partie de son gouvernement ». D’autres sources proches de M. Hariri ont rectifié à leur tour cette information, précisant qu’il « n’en a rien décidé ».
Autant d’indices qui laissent croire que la désignation de M. Safadi est pour l’heure, loin d’être acquise, d’autant que ce dernier ne bénéficiera pas du soutien des trois anciens chefs de gouvernement, Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati, qui refusent que soit nommée une autre personnalité que M. Hariri. Les trois anciens Premiers ministres, qui se sont réunis jeudi avec le chef du gouvernement démissionnaire, ont été vraisemblablement placés devant le fait accompli. « M. Hariri les a juste informés de sa décision d’avaliser le nom de M. Safadi, sans leur demander leur avis ni s’ils sont disposés à le nommer », confie une source proche de la réunion. « M. Safadi ne pourra pas bénéficier de l’appui des trois grandes figures du sunnisme politique. Cela revient à dire que le gouvernement que M. Safadi sera appelé à former sera clairement signé 8 Mars », confie la source.
Il reste que le mouvement de révolte, qui a d’ores et déjà contesté la désignation de M. Safadi à travers une mobilisation dans plusieurs régions du pays, n’a pas encore dit son dernier mot.
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commentaires (5)
Confession c’est fini !Il n y en aura plus que dans le confessionnal ! Le Liban des jeunes a largué les amarres Liberté égalité et laïcité seront les maîtres mots de notre futur
PROFIL BAS
06 h 39, le 17 novembre 2019