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Liban - Reportage

Alors que le « martyr de la révolution » est enterré, son fils « rêve d’un pays où le confessionnalisme n’existerait pas »

À Choueifate, des milliers de personnes, venues des quatre coins du Liban, ont rendu un dernier hommage à Ala’ Abou Fakhr.

Hier à Choueifate, l’adieu de Lara Abou Fakher à son époux Ala’, tué par un militaire mardi soir à Khaldé. Anwar Amro/AFP

Un cercueil enveloppé du drapeau libanais, un enfant porté sur les épaules pour suivre du regard la dépouille mortelle de son père, et des applaudissements pour un homme devenu « le martyr de la révolution ». C’est avec une colère retenue que Choueifate a enterré hier Ala’ Abou Fakher, 38 ans, tué mardi soir à Khaldé par un militaire relevant des services de renseignements de l’armée qui voulait forcer, au volant d’une voiture civile, une artère bloquée par des manifestants.

Des milliers de personnes venues des quatre coins du Liban et surtout de la Montagne ont convergé hier vers Choueifate pour prendre part aux funérailles de Ala’ Abou Fakhr, dont le corps avait été transporté tôt le matin de l’hôpital Kamal Joumblatt au stade municipal de son village natal où il a été accueilli par sa famille, ses camardes de la société civile et du PSP de Walid Joumblatt.

Sur le grand parvis du stade municipal, une immense tente blanche a été dressée pour protéger du soleil ceux qui sont venus rendre un dernier hommage au « martyr de la révolution ».

Durant de longues heures, avant la mise en terre, les femmes, dont la mère de Ala’, Mona, et son épouse Lara ont pleuré devant le corps sans vie de l’homme qui a été tué peu après l’entretien télévisé du président de la République. Une interview qui avait mis le feu aux poudres et avait été suivie de nombreuses coupures de routes de la part des manifestants outrés par certains propos du président.

Debout devant le cercueil ouvert, Lara Abou Fakher n’a pas lâché la main de son époux assassiné, l’embrassant aussi.

Parmi les femmes venues pleurer le disparu et se lamenter, la mère de Sélim Abou Mjahed, père de deux enfants mort en octobre dernier alors qu’il aidait à éteindre des incendies dans le périmètre de son village de Btater, et celle de Ala’ Bou Faraj, partisan du PSP tué en mai 2018 par Amine Souki, un garde du corps de Talal Arslane (chef du Parti démocrate libanais). Chacune d’elle portait le portrait de son fils.

Pleurs et lamentations étaient entrecoupés par l’hymne national, des applaudissements, des slogans de la révolution qui traverse le Liban depuis le 17 octobre et à laquelle Ala’ Abou Fakher participait activement. Des poèmes ont été récités et des discours prononcés, notamment par le chef du PSP, Teymour Joumblatt.

On comptait notamment parmi les officiels les ministres Akram Chehayeb et Waël Bou Faour, l’ancien député Ghazi Aridi, tous du PSP, ainsi que les députés FL Georges Adwan et Anis Nassar.

« Mon père voulait un pays où tout le monde vivrait dans la dignité. Je veux poursuivre son combat et la révolution », confie Omar, 12 ans, à L’Orient-Le Jour, employant des mots d’adulte. « Je veux un pays où le confessionnalisme n’existerait pas », poursuit-il, précisant à qui le demande, avec des mots d’enfant qui tente de comprendre un concept compliqué, que « le confessionnalisme est le fait de juger les gens pour leur religion ».

Omar qui est en classe de 5e rêve de devenir graphiste quand il sera grand. « Mon papa m’encourageait. Il m’avait offert récemment une table de dessin et des skate-boards », raconte-t-il avant de fixer un point par terre et d’éclater en sanglots.

C’est quand il parle de « la révolution » que Omar sèche ses larmes. Il arborait hier pour l’enterrement un tee-shirt bleu marine trop grand pour lui, celui de son père. Sur ses épaules, il portait un drapeau libanais géant offert à la famille par des manifestants.

« Tous les jours, je manifestais dans la rue avec ma mère et mon père. Je manifestais pour un Liban meilleur », dit-il, encouragé hier et aujourd’hui par des centaines de manifestants « à poursuivre la révolution que son père avait commencée ».

Le Chouf National College où les trois enfants de Ala’ Abou Fakhr sont scolarisés a annoncé hier que l’établissement assurerait leurs études à titre gracieux, tandis que l’Université américaine de Beyrouth a souligné qu’elle leur offrira des bourses pour leurs études supérieures.


(Lire aussi : Lara Abou Fakhr à « L’Orient-Le Jour » : Je l’ai vu charger son arme et tirer sur mon mari)


PSP et société civile

Dans la foule rassemblée hier à Choueifate, il y avait des délégations venues du Akkar, de Tripoli, du Liban-Sud et de Beyrouth, des Libanais ayant tous pris part dans leur région au mouvement de contestation et qui ne connaissaient pas Ala’ Abou Fakher avant son assassinat.

« Je suis là pour prouver que les dirigeants utilisent le confessionnalisme pour nous séparer. Musulmans, druzes et chrétiens, nous sommes tous libanais et nous rêvons tous d’un autre Liban, plus clément envers ses enfants », dit Ramy venu de Tripoli.

Il y avait aussi de nombreux camarades de Ala’ appartenant à la société civile active dans la région de Choueifate. « Je travaillais avec lui depuis 2012, je n’ai jamais su qu’il était partisan du PSP. Je ne l’ai appris qu’après son assassinat. Nous organisions ensemble le marathon de Choueifate, des sit-in devant le dépotoir de la Costa Brava ou encore des activités caritatives dans le cadre de l’association Poignée de chaleur », note Raghida Farhat du collectif Choueifate Madinati.

« Il s’est débarrassé de son appartenance partisane pour crier haut et fort “Kellon yaani kellon” (“Tous sans exception”, l’un des slogans forts de la révolte populaire). Durant 25 jours, nous sommes restés avec lui dans la rue. Ala’ et sa femme nous préparaient à manger. Il était heureux de cette révolution. Il prenait des initiatives, offrant des fleurs, du café et même un petit déjeuner léger aux passants et aux manifestants. Même avant le 17 octobre, nous participions à toutes les activités qu’il organisait. Il avait la capacité de se mettre à portée de tout le monde. Il était respectueux envers tous », raconte Rita Halabi, 18 ans, entre deux sanglots.

« À la base, il était PSP. Il faut prendre une chose en considération, la moitié des manifestants appartiennent aux partis politiques traditionnels et la quasi-totalité des druzes appartiennent au PSP », dit Manal Abdelsalam, de Brih, revendiquant comme de nombreuses personnes présentes hier son appartenance partisane. Une jeune femme lui coupe la parole : « C’est vrai, mais il ne faut pas oublier ce que la révolution a fait durant ces 28 jours. Et pour moi, la révolution et ses revendications ainsi que les comptes qu’on demande aux dirigeants passent avant tous les partis », s’écrie Mariam Fayad, 28 ans, de Sofar.

Le moment de la mise en terre est venu. Drapé du drapeau du Liban, le cercueil est porté à bout de bras. La foule scande « Révolution » et « Révolutionnaires et libres, nous continuerons le chemin ». Elle chante l’hymne national et applaudit une dernière fois le passage de Ala’ Abou Fakher.


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commentaires (2)

Allah yirham Ala' et qu'il donne le courage à sa femme, ses enfants et sa famille!

Wlek Sanferlou

18 h 58, le 15 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • Allah yirham Ala' et qu'il donne le courage à sa femme, ses enfants et sa famille!

    Wlek Sanferlou

    18 h 58, le 15 novembre 2019

  • La foi catholique n'est pas une foi entre autres, une idéologie, une opinion personnelle. Elle les défend, elle distingue la nature et la grâce, par Jésus-Christ, vrai homme et vrai Dieu, elle a une valeur objective et pas seulement subjective ou sociologique, les Papes ne sont pas Dieu, ils en sont ses vicaires. On ne peut en dire autant des autres religions.

    dintilhac bernard

    11 h 00, le 15 novembre 2019

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