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Culture - Initiative

À Tripoli, les yeux pleins d’espoir de Ala’ Abou Fakhr

Un portrait mural de Ala’ Abou Fakhr, « martyr de la révolution », recouvre désormais un pan de l’immeuble Ghandour, sur la place al-Nour. Rencontre avec Ghayath al-Rawbeh et Sara Sayouf, les deux artistes à l’origine de cet hommage poignant.

Ghayath al-Rawbeh devant la murale représentant Ala’ Abou Fakhr, à Tripoli. Ibrahim Chalhoub/AFP

Après la mort tragique de Ala’ Abou Fakhr mardi soir, une vague s’est soulevée à travers tout le pays pour rendre hommage à ce père de famille de 38 ans, tué par balle devant sa femme et son fils à Khaldé. À Tripoli, où les artistes locaux sont en train de métamorphoser la place el-Nour (il faut voir l’immeuble Ghandour, transformé en véritable toile de 8 étages par les graffeurs, ou encore les structures en bois réalisées par les étudiants en beaux-arts de l’Université libanaise), Ghayath al-Rawbeh, Palestinien de 28 ans, et Sara Sayouf, Libano-Syrienne de 26 ans, ont réalisé un portrait particulièrement saisissant du défunt en bas de l’immeuble Ghandour.

« Quand Ala’ Abou Fakhr a été assassiné, nous avons immédiatement décidé de réaliser son portrait. Le fait qu’il ait été tué de cette manière, devant sa femme et son fils, nous a énormément touchés : nous étions à la fois pris de tristesse et de colère. Nous ne pouvions pas rester là sans rien faire », explique Sara Sayouf. Étudiante en beaux-arts à l’Université libanaise, c’est la première fois qu’elle partage un mur avec son ami Ghayath al-Rawbeh, un artiste autoditacte installé à Tripoli depuis 2013. « Mon message avec cette peinture est à lire derrière mes couleurs, sur les murs : en représentant le martyr Abou Fakhr, j’espère qu’une telle atrocité ne se reproduira plus jamais au Liban, ni dans aucun pays arabe », s’insurge-t-il. Un espoir qu’on lit dans les yeux du portrait de Ala’ Abou Fakhr, le regard tourné vers deux mains jointes aux couleurs du drapeau libanais, surplombant les casseroles et les bras levés des manifestants, et les femmes combattant la violence à coups de pied, autant de symboles du soulèvement qui réunit le peuple libanais depuis le 17 octobre.


(Lire aussi : Lara Abou Fakhr à « L’Orient-Le Jour » : Je l’ai vu charger son arme et tirer sur mon mari)


Deux parcours, deux injustices

Elle est née dans le Akkar, au Liban ; lui à Hama, en Syrie. Ils ont deux ans d’écart et sont chacun pris au piège de deux prisons différentes que les politiques leur ont imposées dès la naissance : la prison de Sara Sayouf, c’est d’être née d’une mère libanaise et d’un père syrien, celle de Ghayath al-Rawbeh, c’est d’être né tout simplement palestinien. Pour elle, pas de nationalité libanaise possible, pour lui, une interminable errance d’apatride.

Elle se souvient : « J’ai vécu beaucoup de harcèlement à l’école parce que je n’avais pas la nationalité libanaise. Le racisme contre les Syriens et le fait de ne pas avoir les mêmes droits que les autres, alors que je me sens libanaise et que mes deux parents sont nés au Liban, m’ont toujours profondément révoltée. » Pourtant, elle continue de se battre : elle a obtenu un diplôme en radiologie à l’Université libanaise il y a quelques années, mais malheureusement, du fait qu’elle soit syrienne et « sans piston », elle ne parvient pas à trouver de travail et se reconvertit dans l’art. « C’est pourquoi j’espère de cette révolution que nous les Libanaises puissions enfin transmettre notre nationalité à nos enfants, et la justice et l’égalité pour tous. L’art doit aujourd’hui porter ce message. »

Al-Rawbeh pour sa part est palestinien, né en Syrie avant d’émigrer au Liban. Il dit avoir « erré de pays en pays ». « Dieu seul sait où je serai demain », lâche-t-il. « Les pays arabes de manière générale nous étouffent plus qu’ils nous aident, nous les Palestiniens. On aimerait pouvoir voyager librement, mais on ne nous donne jamais de visa », poursuit-il. Lorsqu’il est devenu jeune adulte, al-Rawbeh est parti un an dans les pays du Golfe pour y travailler, avant de revenir en Syrie, où il a rejoint l’armée entre 2011 et 2013. Mais quand la guerre a commencé, la plupart des jeunes antigouvernement de son âge étaient persécutés; il a une nouvelle fois été contraint de fuir. C’est en 2013 qu’il arrive à Tripoli, où il s’installe en tant qu’artiste peintre grâce aux réseaux sociaux qui lui permettent de décrocher des commandes de portraits. « Le Liban est devenu mon troisième pays. Où que j’aille, je suis accepté par les gens, parce que je travaille. C’est la politique qui me met des bâtons dans les roues, pas les peuples. »



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