Le président du Parlement libanais, Nabih Berry, a annoncé lundi que la séance parlementaire prévue le lendemain - à l'ordre du jour de laquelle figure, entre autres, une proposition de loi controversée d'amnistie générale - est reportée d'une semaine, arguant de l'importance "d'assurer la sécurité" des députés. Des protestataires avaient en effet prévu de bloquer les routes menant au Parlement demain matin et d'interdire aux députés d'accéder à la place de l'Etoile, dans le centre-ville de Beyrouth, pour assister à cette séance.
La séance plénière, qui sera précédée d'une séance consacrée à l'élection des membres du bureau de la Chambre, conformément aux dispositions de la Constitution, aura bien lieu mardi prochain, a souligné M. Berry à l'issue d'une réunion du bloc parlementaire du Développement et de la libération, précisant qu'aucune modification ne sera apportée à l'ordre du jour. Le chef du Législatif a en outre dénoncé l'opposition à la tenue de la séance parlementaire, estimant qu'elle n'est pas due au refus de la proposition de loi d'amnistie générale controversée inscrite à l'ordre du jour mais elle vise à "prolonger le vide politique actuel". "Il est illogique de refuser la tenue d'une séance parlementaire dont l'ordre du jour répond aux revendications populaires", a-t-il indiqué.
Après le report de la séance, le président de l’Union des syndicats des travailleurs libanais, Maroun el-Khaouli, a de son côté annoncé qu'il annulait la grève générale et leur rassemblement prévu mardi devant le Parlement.
"D'autres textes importants étaient prévus"
La séance parlementaire devrait se pencher, entre autres, sur un texte de loi d'amnistie générale très controversé, qui engloberait de nombreux crimes d'abus de pouvoir, d'abus de bien sociaux, de négligence, ainsi que les crimes environnementaux. Outre le texte sur l’amnistie, le Parlement devait examiner plusieurs textes de loi, dont la création de tribunaux statuant en matière de crimes financiers, ainsi que deux autres textes portant sur l'assurance-vieillesse et la lutte contre la corruption.
Le député Ibrahim M. Kanaan, membre du bloc parlementaire du "Liban fort", dont le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, est la principale composante, a regretté que la polémique autour de la proposition de loi d'amnistie générale ait conduit le président du Parlement à reporter la séance. "La séance qui était prévue mardi n'était pas seulement consacrée au vote de la loi d'amnistie. D'autres textes importants et qui répondent aux revendications du mouvement de contestation étaient prévus", a rappelé M. Kanaan à l'issue de la réunion hebdomadaire du bloc, prenant pour exemple la loi de création de tribunaux spéciaux pour les crimes financiers présentée en 2013 par Michel Aoun (qui était alors député). "Le budget 2020 et la loi sur l'assurance vieillesse, qui étaient prévus à l'ordre du jour, doivent absolument être adoptés", a-t-il ajouté.
Plus tôt dans la journée, l'organisation Legal Agenda, qui œuvre pour la réforme du secteur judiciaire, avait longuement critiqué la proposition de loi d'amnistie générale, estimant que l'adoption de ce texte pourrait "provoquer un effondrement du système judiciaire libanais". Le député Yassine Jaber, membre du bloc parlementaire de M. Berry, avait pour sa part défendu la procédure selon laquelle celle loi avait été ajoutée à l'ordre du jour, mais il a souligné qu'il n'était "pas convaincu" de son contenu et allait demander qu'elle soit retirée de l'ordre du jour.
Levée du secret bancaire
Lors de la réunion de son bloc parlementaire, M. Berry a par ailleurs demandé aux députés actuels et anciens de lever le secret bancaire sur leurs comptes et les a invités à lever leur immunité parlementaire en cas de poursuites engagées contre eux. Fin octobre, les ministres et députés membres du Courant patriotique libre avaient levé le secret bancaire sur tous les comptes en leur nom, comme l'avait préconisé le chef de l’État et fondateur du CPL, Michel Aoun. Depuis l’annonce du CPL, plusieurs voix de la société civile se sont élevées pour mettre en exergue "le non-sens" d’une telle initiative. "La levée du secret bancaire ne peut être effective que dans le cadre d’une enquête judiciaire pour enrichissement illicite, fraude fiscale, blanchiment d’argent, trafic de drogue ou autres", avait précisé un avocat à L’Orient-Le Jour. Il avait ajouté que le registre foncier donne déjà des indications sur les propriétaires des actifs immobiliers et le registre de commerce sur les dirigeants des sociétés et les détenteurs des participations dans ces sociétés. Concernant les comptes bancaires à l’étranger, il avait rappelé que le Liban est signataire de l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations fiscales, qui englobe les comptes bancaires. Par ailleurs, plusieurs représentants de la société civile avaient soulevé la question des comptes proches des dirigeants politiques, qui n'a été abordée ni par le CPL, ni par M. Berry.
Le président de la Chambre a enfin réclamé la formation le plus rapidement possible d'un gouvernement qui "n'exclut pas le mouvement de contestation". Sous la pression de la rue, révoltée contre la classe dirigeante accusée de corruption et de mauvaise gestion, le gouvernement de Saad Hariri avait démissionné le 29 octobre. Mais depuis, la situation n'a pas évolué, le chef de l’État n'ayant pas encore lancé les consultations parlementaires contraignantes pour la nomination d'un futur président du Conseil. La présidence évoque pour justifier ces atermoiements "la situation exceptionnelle" du pays et poursuit ses contacts afin de trouver la forme que devrait prendre le futur cabinet.
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commentaires (10)
Plus je lis cet article et plus je suis sidérée. Cette séance sera ajournée au calandre grec oui. Elle ne devrait pas avoir lieu tout comme la loi de 2013 qui a été adopté pour assurer leurs sortie. Cela aggrave leurs cas. Ils sont tous complices. C’est du vol avec préméditation. On commence par voter une loi qui protège les mafieux de l’etat, on choisit les juges, on demande à ce que des membres du gouvernement intentent un procès contre X ou Y en cas de soupçons de fraude etc. Tout est mûrement réfléchi et la boucle est bouclée. Facile. Cette loi est hors la loi et devrait être abrogée. La justice doit être dissociée du pouvoir. Un juge ne peut être choisi par le gouvernement c’est marcher sur la tête. Ils ont fait en sorte que tous soient mêlés de prêt ou de loin du hold up comme ça il n’y aura pas de mouchards. Heureusement qu’on a Paula Yacoubian pour dénoncer ce système pourri et pour ouvrir la boîte à Pandore. Si on avait 5, 6 ou 10 députés ou ministres qui avait fait la même chose peut être qu’on aurait évité l'effondrement du pays. Mais ça la seule qui en a. Alors les mauviettes qui dénoncent anonymement maintenant peuvent se rhabiller. Il fallait le faire dès le début. maintenant ce qui leur reste à faire, c’est de refuser en bloc de voter l’amnistie pour rectifier le tire. Mieux vaut tard que jamais.
Sissi zayyat
20 h 38, le 11 novembre 2019