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Liban - Protestation

Lorsque le mouvement estudiantin d’avant-guerre transcendait les partis, marquant son âge d’or

Les manifestations estudiantines d’avant-guerre paralysaient souvent par leur ampleur plusieurs quartiers de la capitale.

« À quoi cela sert-il d’étudier et d’obtenir des diplômes si au final nous ne trouvons pas un emploi dans notre pays ? » lançait un adolescent à un passant qui l’interpellait en lui reprochant de manifester dans la rue au lieu d’être en classe. C’était en 1970 lors d’une grève observée par les élèves du secondaire dans les écoles publiques et privées. Aujourd’hui, c’est cette même doléance qui est exprimée par les adolescents qui ont organisé au cours des trois derniers jours des rassemblements et des manifestations, de manière décentralisée, dans les différentes régions du pays.

Sauf que, dans le cas présent, le contexte est totalement différent de celui du début des années 70. Force est de relever que le détonateur du mouvement déclenché cette semaine par les élèves et les étudiants universitaires est essentiellement d’ordre politique, même si les revendications retransmises par les médias se rapportent à la situation peu enviable de la jeunesse d’aujourd’hui. Les témoignages recueillis sont ainsi axés sur des griefs tels que l’absence de débouchés ou la dégradation des conditions de travail à l’Université libanaise, au niveau de l’insalubrité des locaux et de l’état de délabrement dans les salles de cours.

Mais au-delà de ces doléances spécifiques, la contestation lancée par les jeunes ces derniers jours avait pour cadre général une posture essentiellement politique dans le sens du rejet du système en place et de la dénonciation de la classe politique et des pratiques du pouvoir. Cette politisation de la fronde avait été en outre perceptible lors de l’agitation estudiantine qui avait touché le campus de la rue Huvelin, à l’Université Saint-Joseph, notamment dans les années 90, lorsque la contestation était dirigée contre l’occupation syrienne. Avant la guerre de 1975, le mouvement estudiantin qui agitait la scène libanaise durant toute la période de la fin des années 60 et de la première moitié des années 70 était basé sur d’autres fondements et avait pris, par voie de conséquence, une toute autre tournure. À cette époque – l’âge d’or du mouvement estudiantin au Liban –, les grèves et les manifestations dans les universités étaient axées sur des revendications purement et exclusivement estudiantines. Les doléances avaient pour slogan général la « démocratisation de l’enseignement » et portaient plus concrètement sur l’ouverture à l’Université libanaise de facultés de sciences appliquées afin que les filières de génie, de médecine, d’agronomie et de santé publique soient accessibles aux bacheliers qui ne pouvaient pas s’inscrire dans les universités privées.



(Lire aussi : Ode à la casserole, l'éditorial de Issa GORAIEB)



Non-politisation
La dimension purement politique était donc absente de ce mouvement estudiantin, même si les partis étaient fortement présents au sein des ligues estudiantines, à l’Université Saint-Joseph, à l’AUB, à l’Université libanaise et à l’Université arabe. Mais cette non-politisation des revendications soulevées sur les campus et leur limitation à des objectifs universitaires bien déterminés avaient permis l’émergence d’un véritable mouvement estudiantin en bonne et due forme qui parvenait à transcender les clivages des partis traditionnels. Cela explique que les grèves et les manifestations de l’époque prenaient une vaste ampleur grâce à une coordination qui s’établissait, autour de revendications précises, entre les ligues et associations d’étudiants des principales universités. D’où le souci constant que les grandes manifestations estudiantines aient pour point de départ à tour de rôle le campus de la rue Huvelin (fief des Kataëb, du Parti national libéral et du Bloc national), l’AUB (où les partis gauchisants et arabisants étaient fortement implantés) ou aussi le campus de la faculté de droit de l’UL de Sanayeh et celui de la faculté de pédagogie de l’UL, à l’Unesco, où le pluralisme partisan était roi, avec une forte présence du mouvement de l’Éveil (organisation estudiantine que l’on pourrait qualifier de centriste et qui contrôlait souvent l’Union des étudiants de l’UL). Cette dynamique du mouvement universitaire dépassant les frontières des partis avait pour conséquence que les manifestations estudiantines paralysaient par leur ampleur la capitale, d’autant qu’elles s’achevaient souvent en violentes échauffourées avec la fameuse Brigade 16 de l’époque (l’équivalent de l’actuelle brigade antiémeute des Forces de sécurité intérieure) qui n’hésitait pas à tabasser les étudiants non sans avoir fait usage auparavant de gaz lacrymogène… Si bien que les secteurs de l’Unesco, de la rue Bliss (jusqu’à Hamra) et du centre-ville étaient transformés en champs de bataille, à coups de pavés, où les étudiants et les éléments de la Brigade 16 jouaient au chat et à la souris dans les rues de plusieurs quartiers.

Cette dynamique qui avait pu transcender les partis, sans pour autant les combattre, les marginaliser ou les diaboliser, a pu enregistrer à son actif d’importantes avancées dont la plus importante aura été peut-être de permettre au mouvement estudiantin de s’imposer comme force agissante et de changement sur la scène locale, plus spécifiquement universitaire. Le développement de l’Université libanaise et la création des facultés de sciences appliquées (d’un haut niveau académique) ont été aussi l’un des principaux acquis de ce mouvement estudiantin d’avant-guerre.

Au stade actuel, ce ne sont pas les revendications concrètes qui manquent pour améliorer les conditions d’études et la formation de la jeunesse d’aujourd’hui. Mais encore faut-il redonner à la vie universitaire l’esprit et la dynamique qui avaient fait l’âge d’or du mouvement estudiantin du début des années 70.



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