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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Le vrai-faux départ des Américains de Syrie

Le redéploiement des troupes US pourrait faire partie d’une stratégie plus large visant à endiguer la présence iranienne dans la région.

Un convoi de véhicules de l’armée américaine traversant la ville de Qahtaniyah, dans le nord-est de la Syrie, le 31 octobre 2019. Delil Souleiman/AFP

Partir pour mieux revenir ? Alors que le retrait des Américains du nord-est de la Syrie a provoqué un chamboulement géopolitique, faisant de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan les nouveaux maîtres de cette région, les États-Unis sont en train de redéployer leurs troupes dans l’Est syrien, ce qui pourrait nuancer le tableau général.

Donald Trump avait annoncé le 6 octobre dernier, après une conversation avec son homologue turc, le retrait de forces américaines présentes dans la zone prévue par l’offensive d’Ankara. Le 13 octobre, le secrétaire américain de la Défense Mark Esper avait rapporté que les troupes américaines allaient se retirer de tout le Nord syrien, et ne resteraient que dans la base d’al-Tanf dans le sud-est du pays. Le contingent américain présent dans l’Est syrien était alors composé d’environ 1 000 hommes. Selon des informations publiées par le New York Times, le redéploiement des troupes, une fois terminé, devrait permettre aux États-Unis de s’appuyer sur une force de 900 hommes sur place. Aux 400 hommes restés dans la base d’al-Tanf, il faudrait ajouter 500 autres hommes chargés officiellement de sécuriser les puits de pétrole dans l’est de la Syrie. Retour à la case départ ? La réalité est en fait plus nuancée. « Tout cela indique qu’il n’y a pas eu de véritable retrait, pour autant cela ne réduit en rien les implications négatives en termes d’instabilité du retrait des Américains dans le nord-est de la Syrie à la frontière turque », explique Will Todman, membre associé au CSIS (Center for Strategic and International Studies). Le retrait des troupes américaines a été considéré comme un abandon des alliés kurdes syriens du PYD (Parti de l’Union démocratique, branche syrienne du PKK). Il a ouvert la voie à une offensive turque entre les villes de Tall Abiad et de Ras el-Aïn, mais également à un retour du régime dans ces régions suite à un accord politique avec les Kurdes. Les Américains sont donc passés en quelques semaines d’une position d’acteur dominant pouvant compter sur des alliés locaux solides dans l’Est syrien à celle d’acteur fragilisé par leurs atermoiements et dont le périmètre d’action a été largement réduit. « Les États-Unis se sont mis en situation de faiblesse. Leur redéploiement ne va pas avoir un effet stratégique, mais va plutôt cristalliser les tensions », confirme Émile Hokayem, chercheur à l’IISS (International Institute for Strategic Studies).


(Lire aussi : Apprendre à vivre sans les Américains)

Puits de pétrole

Pourquoi revenir alors, après avoir perdu une position stratégique ? Pour convaincre le président Donald Trump de rester en Syrie, ses conseillers ont dû utiliser le seul argument susceptible de retenir son attention : la nécessité de sécuriser les puits de pétrole. De quoi donner du grain à moudre aux théories complotistes qui voient derrière le conflit syrien une lutte pour le contrôle des ressources en hydrocarbures.

Les plus grands gisements de pétrole se trouvent dans l’Est syrien, entre la province de Deir ez-Zor et celle de Hassaké. La Syrie produisait jusqu’à 400 000 barils de pétrole par jour avant le conflit qui a débuté en 2011. Elle produit aujourd’hui entre 70 000 et 80 000 barils par jour, selon les estimations de The Syria Report, un site spécialisé dans l’économie syrienne. Si ces ressources sont non négligeables pour le régime syrien dont l’économie est aujourd’hui aux abois, elles ne représentent même pas une goutte d’eau pour les États-Unis qui produisent en 2019 plus de 12 millions de barils par jour. « D’un point de vue économique ça n’a aucune importance pour les États-Unis », note Jean-François Seznec, chercheur résident à l’Atlantico Council expert en sécurité énergétique.

Donald Trump a pourtant affirmé le 27 octobre que les États-Unis pourraient « prendre » une part du pétrole syrien et conclure pour cela un « accord avec une grosse entreprise comme ExxonMobil (…) pour qu’ils aillent là-bas et fassent les choses proprement ». « Ce n’est pas une déclaration en accord avec le département de la Défense parce que cela pose un problème de légalité. Elle ouvre aussi la porte aux accusations d’impérialisme », dit Will Todman. « Les États-Unis ne veulent pas les puits de pétrole pour le pétrole, ce n’est pas une acquisition illégale des ressources, mais c’est de façon très perverse une manière de manipuler la psychologie de Trump pour le forcer à garder des troupes en Syrie. D’une certaine manière c’est terrifiant qu’on en soit arrivé là », décrypte Émile Hokayem.

Le déploiement américain a pour réel objectif d’empêcher ses adversaires d’accéder aux ressources pétrolières, en premier lieu l’État islamique qui avait profité de ces revenus pour asseoir son emprise territoriale durant la période du califat. S’il n’y a pas d’informations précises quant aux zones dans lesquelles vont se déployer les Américains, ils pourraient le faire tout au long de la partie nord de la frontière syro-irakienne s’ils veulent effectivement contrôler tous les puits de pétrole dans cette région. « Quelques centaines resteront dans le Sud, mais la grande majorité sera dans le nord-est de la Syrie », assure Will Todman. Les forces américaines ont d’ailleurs patrouillé hier pour la première fois depuis trois semaines dans le nord-est de la Syrie, dans la province de Hassaké, ce qui laisse supposer qu’elles considèrent cette zone comme faisant partie de leur nouvelle mission.


Axe Damas-Bagdad

La présence américaine devrait compliquer la reconquête par Damas des richesses de l’Est. « Cela risque de créer beaucoup de problèmes pour les Russes et le régime syrien qui comptaient justement reprendre ces régions pour obtenir les puits de pétrole et les revenus qui en découlent », dit Émile Hokayem. « En continuant à garder le contrôle des gisements de pétrole en Syrie, nous allons refuser à Assad et à l’Iran une manne monétaire », a déclaré la semaine dernière le sénateur républicain Lindsay Graham, proche du président américain malgré ses critiques contre sa politique étrangère. Le redéploiement américain pourrait également faire partie d’une stratégie plus large visant à endiguer la présence iranienne dans cette région et à empêcher la consolidation d’un corridor chiite reliant Téhéran à Beyrouth via l’Irak et la Syrie. « C’est l’objectif du maintien des troupes dans le Sud qui bloque l’axe principal Damas-Bagdad », décrypte Will Todman. « Les États-Unis se sont engagés dans une stratégie de pression sur l’Iran, notamment la question du nucléaire et les sanctions, sans avoir de vraie stratégie régionale d’endiguement. Cette présence résiduelle ne va pas vraiment bloquer l’approvisionnement et les lignes logistiques du régime iranien dans le nord du Moyen-Orient », nuance pour sa part Émile Hokayem.

Si le simple fait que les Américains soient présents suffit à changer la donne, leurs adversaires pourraient être tentés de tester leur volonté de rester à long terme dans le pays, compte tenu du souhait affiché du président américain de s’en retirer. « Je pense qu’il y a une stratégie de présence à long terme, mais c’est difficile à prédire dans cette zone puisque tout peut changer rapidement et donc influencer la stratégie », considère Will Todman. « Toutes les parties prenantes au conflit considèrent désormais les États-Unis comme un pays qui veut sortir puisqu’il n’est plus engagé pour des raisons de sécurité nationale. Daech, le régime syrien, les Turcs ou les Russes pourraient agir en conséquence », affirme Émile Hokayem.


Pour mémoire

Les menaces US pourraient être contre-productives

Partir pour mieux revenir ? Alors que le retrait des Américains du nord-est de la Syrie a provoqué un chamboulement géopolitique, faisant de Vladimir Poutine et de Recep Tayyip Erdogan les nouveaux maîtres de cette région, les États-Unis sont en train de redéployer leurs troupes dans l’Est syrien, ce qui pourrait nuancer le tableau général. Donald Trump avait annoncé le 6 octobre...

commentaires (2)

ILS SONT TOUJOURS LA. ILS ONT DES PLANS.

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 17, le 01 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • ILS SONT TOUJOURS LA. ILS ONT DES PLANS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 17, le 01 novembre 2019

  • Toutes ces stratégies perverses américaines ne visent qu'à rassurer Israel , mais elle sont toutes et toujours perdantes . Quels nuls ces stratèges américains !

    Chucri Abboud

    13 h 14, le 01 novembre 2019

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