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La révolution en marche - Tribune d’artistes

Etel, Zad, Khaled, Randa et Zeid, hérauts de l’espoir...

Artistes visuels, intellectuels, peintres, musiciens et comédiens... Ils ont rêvé, espéré, attendu cette salutaire et unificatrice révolte, ce réveil d’un peuple victime depuis trop longtemps des innombrables abus de ses dirigeants. Descendus dans la rue avec les manifestants ou accompagnant le mouvement depuis l’étranger où ils résident, ils ne pouvaient que vibrer pour ce vent de changement qui souffle au-dessus des places publiques du pays du Cèdre. S’ils ont souvent exprimé dans leurs œuvres ce désir d’un Liban renaissant de ses cendres (et de ses pourritures), cinq artistes mettent en mots, cette fois, leurs espoirs de voir cette saine rébellion porter ses fruits. Et se concrétiser enfin leur rêve patriote et citoyen. Voici leurs témoignages.

Zad Moultaka. Michel Sayegh/Photo d’archives

Etel Adnan : « Allons-y, reprenons tout en main »

« On a repensé à la guerre civile, qu’on croyait avoir mise de côté. On a eu le bonheur de voir un peuple uni dans des revendications justifiées. Au huitième jour de la manifestation, le général Roukoz a demandé la démission du gouvernement. Pour éviter un coup d’État militaire, nous souhaitons la création d’un gouvernement de salut public. Il devient urgent que nous ayons de nouveaux responsables. Ils devront élaborer de nouvelles réformes qui touchent à tous les problèmes : l’eau, l’électricité, les poubelles. Un programme détaillé. On aurait souhaité que l’ex-ministre du Travail lance l’idée du plein emploi. Chômage zéro. Mettre les Libanais au travail. Grâce à CEDRE, les moyens financiers sont là. Reprendre les villes en main : à Tripoli, par exemple, restaurer les monuments mamelouks, nettoyer la ville, achever le projet Niemeyer... Nous avons de très bons architectes qui transformeraient nos villes et les rendraient aussi belles que celles de Toscane ! Il nous faudrait instaurer des centrales solaires, de désalinisation, de traitement des déchets... Faire du Liban un vaste chantier ! Sur le plan politique, on souhaiterait que cessent les discours haineux, même s’il est évident que le Hezbollah gagnerait à s’occuper des jeunes de son parti et cesse ses discours belliqueux qui ne font que mobiliser ses ennemis. Un dialogue permanent devrait s’ouvrir entre lui et le nouveau gouvernement ou comité de salut public du Liban. Le gouvernement (sortant) a perdu toute légitimité, vu l’ampleur du désaveu qu’il est en train de subir. Les gens sont à bout de nerfs. Ils ne peuvent rentrer chez eux sans avoir rien obtenu. Il nous faut tout reprendre en main, tout refaire. Vu la maturité de nos citoyens et leurs capacités, tout est possible. Allons-y ! »

*Poète, essayiste et peintre.


(Lire aussi : Nadine Labaki : Les jeunes de la révolution rivalisent d’intelligence et de maturité)



L’appel de Zad Moultaka aux « voix manquantes »

Quelque chose a été insufflé en nous aujourd’hui, d’un ordre nouveau. Quelle qu’en soit l’issue, les consciences se sont ouvertes à jamais. Quand une chose est comprise, elle s’ancre dans le corps et s’agrippe à l’esprit et cette chose comprise dans nos rues ces derniers jours est d’une profondeur terrible car révélée par la misère et le désespoir de tout un peuple et de toute une génération, jeune et sans lendemain. Mais « le beau n’est rien d’autre que le commencement du terrible », nous dit Rilke. Et si nous inversions cette intuition lumineuse ? « Le terrible n’est que le commencement du beau... »

Un cri a retenti enfin ! Ce cri si attendu, cri de souffrance nécessaire, rituel de passage au monde que nous avons jadis expérimenté par le biais de nos mères.

Mais certaines voix manquent. Les nôtres : artistes, créateurs, penseurs, poètes, écrivains. Au Liban et en dehors du Liban, tous ceux dont la voix est entendue d’une manière ou d’une autre. Nous nous sommes construits avec la matière de cette terre même et de son histoire, quel que soit notre rapport à elle, de refus, d’amour, de haine... Où sont nos voix ? Le Liban en a besoin aujourd’hui, surtout de celles qui ont une aura particulière et puissante, donc massivement entendue. C’est un devoir vis-à-vis du monde, car notre pays n’en est qu’un échantillon. Amin Maalouf, vous l’aviez vous-même écrit : « Il ne s’agit plus seulement du Liban. La terre entière est une mosaïque de communautés. »

Les voix se multiplient et résonnent partout sur cet édifice au bord de l’écroulement, rassemblons les nôtres qui sont aujourd’hui plus que jamais nécessaires.

*Compositeur et plasticien.

Randa Asmar : « C’est maintenant ou jamais ! »

« La définition de la tragédie dans le dictionnaire : “Œuvre dramatique représentant des personnages illustres aux prises avec des conflits intérieurs et un destin exceptionnel et malheureux.”

Les personnages illustres de mon pays adorent les tragédies. Ils accaparent les rôles principaux. De faux héros qui ne meurent jamais et qui donnent la mort à tout espoir.

Un destin exceptionnel, je l’ai compris tôt, le 13 avril 1975.

Le malheur, je l’ai toujours refusé, bien qu’il ne me lâche pas jusqu’à ce jour. Je me demande souvent, et surtout aujourd’hui, comment je suis encore en vie dans ce pays mortel.

Le metteur en scène Nabil el-Azan me disait souvent pendant les répétitions de théâtre : “Tu es une vraie tragédienne.” C’est aujourd’hui que je comprends que je portais inconsciemment sur scène la tragédie que mon peuple vit au quotidien depuis mon plus jeune âge, en 1975.

Le 13 octobre 1990, le peuple et l’armée furent abandonnés dans la rue face à l’invasion syrienne.

Des crimes à tue-tête, des assassinats, des jeunes qui prennent la fuite pour envahir le monde entier et retrouver leur fierté et leur dignité.

Des familles déchirées, des vieux délaissés, des intellectuels qui s’enracinent pour crier leur amour du pays.

Le 17 octobre 2019, le peuple – tous âges, classes sociales et confessions confondus – est uni dans la rue, main dans la main, face aux faux héros, envers et contre toutes les tragédies possibles et imaginables.

Le destin exceptionnel nous sourira un jour. Le malheur s’ennuiera de nous un jour. À nous l’espoir et le droit de vivre. C’est maintenant ou jamais ! »

*Comédienne, professeure d’université et directrice du Beirut Spring Festival.


(Lire aussi : Lucien Bourjeily : Si le peuple cesse d’avoir peur, ils cesseront, eux, d’exister) 


Khaled Mouzanar : « Le Liban inspiré saura tout balayer »

« Il y a vingt ans de cela, j’accrochai sur le mur de mon studio cette phrase d’André Gide : “Je ne crois pas au pouvoir de la multitude, le monde sera sauvé par quelques-uns.”

Je tenais cette phrase pour prophétique et fondatrice de toute action collective : rien ne peut aboutir que par la force d’une poignée d’hommes. Les mouvements des foules ne servent à rien, pire, ils sont néfastes.

Il y a quinze jours, j’ai compris que j’avais tort. Ce qu’ont accompli des milliers de femmes et d’hommes dans les rues et les places du Liban en est la preuve éclatante.

J’ai découvert la puissance de la chose anonyme. Le soldat inconnu a plus de force que mille généraux. L’impalpable est invincible, les idées et les rêves sont les amis des vents, comme la liberté glisse des poignes des tyrans.

C’est cela que nous avons accompli cette semaine. Nous avions perdu la souveraineté de la terre concrète, mais aujourd’hui nous avons reconquis la souveraineté du symbole, du drapeau, de l’hymne et de l’esprit. Le reste viendra.

Et plus important encore, nous avons évincé la peur, non seulement celle réelle des armes, de la corruption complice et de la faillite financière, mais aussi cette peur plus grande, celle de l’inconnu et du chaos. Une force puisée du fond de l’histoire pétrie de sang et d’injustice, nous venant des ancêtres morts pour notre liberté, et surtout la légitimité instinctive du bien, du bon, du beau et du juste nous ont donné le courage et l’entêtement de la confrontation pacifique.

Il y a dans le réveil d’un peuple quelque chose d’artistique : pour faire bouger autant de monde, sans un mot d’ordre, sans un plan, sans une idéologie, sans une décision, il faut quelque chose de plus grand, et cette chose, c’est l’inspiration. Nous étions inspirés face à cette horde politico-milicienne mafieuse et obscurantiste.

Mais l’inspiration est à saisir au bond, parce qu’elle n’est pas inépuisable et parce qu’elle a la rareté des poètes. L’inspiration a la force d’un noyau d’atome qu’on scinde, elle est dévastatrice quand elle veut.

Le Liban inspiré saura tout balayer et repartir de zéro.

Un déluge prophétique qui emportera tout sur son passage, et contre la furie des vents flottera une arche de Noé née dans les tentes de la place des Martyrs où s’enlacent bien au chaud les graines d’ADN du Liban de demain. »

*Compositeur et producteur de musique de film.

Zeid Hamdan : « Voilà pourquoi je manifeste »

« Je manifeste parce que je souhaite un gouvernement laïc, non corrompu et transparent. Parce que je souhaite une loi électorale juste et simple que tout le monde puisse comprendre clairement. Parce que j’espère – moi que la guerre civile a rendu profondément athée – pouvoir voter pour des politiciens qui brillent par leur programme sans avoir à me soucier de leur religion. Je m’exprime aujourd’hui plus qu’hier parce que je ne me doutais pas qu’une grande partie de la population partageait le même rêve. Mes concitoyens m’ont donné le courage et l’envie de faire face aux menaces et aux violences. Je dois aussi mon engagement aux autres Libanais qui se sentent menacés par mes aspirations. J’espère les inspirer par ma tolérance et ma non-violence ; leur montrer que je souhaite qu’ils existent librement. Et même contribuer à leur émancipation. Mais s’ils restent handicapés par leur haine aveugle, alors notre révolution aura échoué. Mon rêve, c’est un pays pour mes enfants aux frontières ouvertes où nous puissions exprimer nos convictions sans peur, sans limites. Je souhaite enfin que toutes les richesses qui ont été volées au pays soient récupérées et repartagées sur l’ensemble du territoire national, afin qu’on puisse assainir les montagnes, les rivières, les côtes et les cœurs... »

*Producteur de groupes de musique hip-hop et pop electro arabe.



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commentaires (1)

Et moi de loin, je rêve, artiste perdue, sur cette terre aux temps passés mais à ce qui peut m'arriver... me faire enterrer dans ma terre natale apaisée et heureuse, les hirondelles sifflant dans le ciel et la douceur perdue que l'on cherche. Confiance en l'avenir aux jeunes gens et à tous leurs enfants!

MIRAPRA

21 h 34, le 01 novembre 2019

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Commentaires (1)

  • Et moi de loin, je rêve, artiste perdue, sur cette terre aux temps passés mais à ce qui peut m'arriver... me faire enterrer dans ma terre natale apaisée et heureuse, les hirondelles sifflant dans le ciel et la douceur perdue que l'on cherche. Confiance en l'avenir aux jeunes gens et à tous leurs enfants!

    MIRAPRA

    21 h 34, le 01 novembre 2019

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