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Lifestyle - Liban pop

La révolution en chantant

Entre grands classiques et nouveaux tubes, les Libanais ont choisi une playlist des plus révolutionnaires pour accompagner leur mouvement de contestation. Une dizaine de titres répétés en boucle depuis le 17 octobre sur toutes les places publiques.

Des manifestants dansant la dabké à Zouk Mosbeh sur des airs patriotiques. Photo AFP/Joseph Eid

À chaque révolution, dit-on, son hymne ou sa chanson. La révolte populaire qui secoue le pays depuis quatorze jours ne saurait échapper à la règle, le Liban étant un pays pour lequel beaucoup de chansons patriotiques ont été écrites et composées. Il était dès lors naturel que le mouvement de contestation ne se contente pas d’un seul hymne, mais opte pour toute une playlist. Et l’appel au changement de devenir aussi une résistance culturelle qui passe par la musique. Voici un tour d’horizon de quelques chansons incontournables qui continuent d’animer la révolution 2019 et ses foules.


Le retour de Julia
D’aucuns auraient pensé que la chanteuse Julia serait la grande absente des places populaires, son époux (l’ancien) ministre de la Défense, Élias Bou Saab, étant l’une des figures marquantes de cette classe dirigeante contre laquelle se soulèvent les manifestants en scandant : Kellon Yaane Kellon (Tous sans exception) ! Pourtant, le large répertoire patriotique de cette artiste, qui s’inscrit habituellement dans le cadre de la résistance contre Israël, voire du nationalisme syrien, a réussi à s’imposer dans cette révolte, donnant enfin à ses tubes un sens plus large. Ainsi, Ana Betnaffas Horriyé (Je respire la liberté) est devenu l’hymne de tous nos soulèvements locaux, suivi de près par Nehna el-Sawra wel-Ghadab (Nous sommes la révolution et la colère). Écrits par le génial Nabil Abou Abdo et composés par le frère de la chanteuse, Ziad Boutros, ces deux titres ne sont pas près de mourir, leurs messages étant toujours très actuels. Un autre titre composé par ce tandem, il y a plus de 35 ans, Ghabet Shams el-Hak (Le soleil [symbolisant en arabe la lumière] de la justice s’est couché), n’a pas, non plus, été oublié. Alors qu’elle n’avait que 17 ans, encore une parfaite jeune inconnue, Julia avait présenté cette chanson pour dénoncer l’occupation du Liban-Sud, avec un cri qu’il serait difficile d’oublier : Ya Habibi Ya Jnoub (Liban-Sud, mon bien-aimé). Il y a plus d’une semaine, ce sont les manifestants de la place el-Nour, à Tripoli. qui ont entonné ce chant, une main tendue depuis la capitale sunnite du Liban-Nord aux chiites du Sud.




Autre titre phare de la révolution, un chant patriotique plus récent, celui du jeune Joseph Attieh, Lebnan Rah Yerjaa (Le Liban reviendra). Sorti il y a dix ans, ce tube chargé d’espoir affirme que le la justice va prévaloir et que les Libanais resteront attachés à leur terre, « même s’il ne leur restait que cinq maisons ». À Jal el-Dib également, le duo Najwa Karam et Melhem Barakat, disparu en 2016, connaît une seconde vie alors qu’il n’avait pas vraiment eu d’impact à sa sortie. Intitulé We Byebaa el-Watan (Et la patrie restera), il rappelle que « ceux qui sont partis pour la cause ne sont pas partis en vain, et que la foi reste l’arme du Liban ». Quant à Lebnani (Libanais), la chanson de Assi el-Hellani, elle a accompagné les Libanais dans bien d’événements depuis 2008. Le plus récent tube du chanteur libanais Ouwetna Bwehdetna (Notre force dans notre union) figure également parmi les titres qui accompagnent cette révolution, et pour cause...


Des slogans de fortune… et des jurons !

Loin des chants traditionnels, la révolte populaire du 17 octobre a laissé éclater le ressentiment profond et la colère de nombreux Libanais contre des figures de ce régime, jugées des plus provocatrices. Ainsi, le Liban n’oubliera pas de sitôt le slogan Nabih Berry est un voleur, chanté avec joie sur toutes les télévisions, depuis Nabatiyé et jusqu’à Tripoli. Quant au chef de la diplomatie Gebran Bassil, il est la cible de ce qui est devenu l’hymne symbolique de cette révolution, Hela Hela Ho, une insulte visant sa mère, inspiré de Ya Mustapha de Bob Azzam.

Et si le malheur des uns fait le bonheur des autres, l’ancien crooner Fadel Chaker connaît de beaux jours. Sa chanson Faker Lamma Tkolli (Tu te souviens quand tu me disais), parue en 2009, a été ressortie des archives et détournée par les manifestants. Si la chanson parle d’une rupture amoureuse où l’artiste affirme à sa bien-aimée qu’il ne lui accorde plus aucune importance et qu’elle peut s’en aller, les jeunes s’amusent chaque soir à la chanter en la ponctuant d’un doigt d’honneur entre deux vers.

Également de la partie, le tube Bella Ciao, chant des résistants italiens, est communément entonné par les manifestants, ainsi que le dernier titre du chanteur marocain Saad el-Mejarred, Ensay (Oublie-moi). Le Yalla Bye du refrain est naturellement devenu un appel au départ d’une classe dirigeante jugée corrompue jusqu’à la moelle. La vidéo de la foule chantant ce tube à Tripoli a été largement partagée sur les réseaux sociaux.




Enfin, le titre Min Ayna Laka Haza (D’où tu détiens tout cela, en allusion à la corruption), de Mohammad Iskandar, sorti il y a quelques mois, semble être tombé à pic. Dans cette chanson, Iskandar interroge un responsable sur l’origine de ses millions, lui demandant quel opprimé il a dépouillé.




Des absents et une comptine pour enfants

Grande absente de cette révolution, la musique des Rahbani retentit peu ou pas sur les places publiques. Cette école a pourtant offert des tubes immortels à la chanson libanaise patriotique qu’il serait sans doute bon de retrouver : Lamaaet Abwak el-Thawra (Les cors de la révolution ont retenti), Lazem Ghayer el-Nizam (Je dois changer le régime), Ya Ahl el-Ard (Ô fils de la terre), Tloona Aala el-Daw (Nous sommes sortis de la pénombre) et l’incontournable Bhebak Ya Lebnan (Je t’aime ô Liban). Même si l’hymne de Hiba Tawaji, Bghanilak Ya Watani (Je chante pour toi mon pays), a été partagé en force pour illustrer le drame des incendies qui ont ravagé le Liban peu avant le déclenchement de la révolte. Dans cette chanson, Tawaji déplore que les responsables aient transformé le pays en une poubelle géante en affirmant que « cent ans de pluie n’effaceront pas vos méfaits… »

Dans ce paysage patriotique à souhait, une scène, que nous ne sommes pas près d’oublier, a fait le tour du monde. Celle de cette voiture prise dans une route bloquée par des manifestants à Beyrouth, et du bébé apeuré à l’avant du véhicule. Pour le calmer, les protestataires se sont unis pour chanter en chœur Baby Shark, la comptine pour enfants la plus vue sur YouTube. Depuis, cette chanson a rejoint, de manière quelque peu insolite, la playlist des manifestants et retentit encore dans les rues. Elle rappelle que les enfants du Liban sont également au cœur de cette révolution, que leur avenir est en jeu, et que la révolution se mène aussi en chantant.


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