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Lifestyle - Photo-roman

« C’est moi qui ai financé la révolution ! »

Photo Beirut’s Bright Side

Depuis les soupentes d’une ville souterraine qu’on fantasme un peu plus à chacune de ses apparitions télévisées, depuis les limbes de sa bulle fantôme, soustraite à toute coordonnée spatio-temporelle, seul et esseulé face à une caméra, fondu dans un bleu presque médical comme tout ciel impossible, sayyed Hassan Nasrallah a donné un deuxième discours vendredi après-midi. Hassan Nasrallah a parlé. Mais bien plus que nous sermonner avec son index levé dont le moindre battement suffit d’ordinaire à remuer le pays dans son intégralité, je l’ai vu surtout nous chercher. Je n’ai pas l’intention de m’adonner à quelque analyse politique, cela n’a jamais été le but de cette rubrique et de toute façon j’avoue que je n’y comprends rien, mais puisque le secrétaire général du Hezbollah semble à tout prix vouloir savoir qui nous somme(s), je n’ai pu m’empêcher de lui répondre. Lui raconter, dans les lignes qui suivent, l’histoire de ceux qui portent, à la force de leurs corps et leurs cordes vocales, cette révolution.

Se débarrasser de nos menottes

C’est cette foultitude de faciès anonymes, toutes générations, appartenances religieuses et sociales confondues, qui se sont empressés de réagir à ce discours à travers une vidéo sur réseaux sociaux où ils affirmaient : « C’est moi qui ai financé la révolution! » Ce sont ces deux millions de personnes qui, d’un même geste et sans se concerter, se sont débarrassés de leurs lourdes menottes, ont jeté voiles et croix confessionnaux, pour affluer vers le centre-ville de Beyrouth qui est en train de devenir parmi les plus belles, émouvantes et signifiantes places du monde. Ces millions d’expatriés, graines du Liban semées un peu partout sur cette terre, qui se débrouillent voilà treize jours pour jongler entre leurs quotidiens et leur besoin viscéral de nous porter avec leurs yeux, même de loin. Qui passent leurs jours et leurs nuits, rognés sur leurs écrans, à l’affût d’une nouvelle, d’une émotion, d’une image qui leur auraient échappées. C’est toi, Nayla, qui pas plus loin qu’hier m’envoyait ce message qui m’a fait chialer : « Je ne peux plus rester loin, j’ai besoin d’être là, avec vous. J’ai besoin de votre chaleur, j’arrive demain. » Ce sont ces corps serrés les uns contre les autres, qui veillent à l’ombre de Riad el-Solh, au pied de la statue des martyrs comme on garde la forteresse de nos derniers espoirs. Qui comptent les jours mais seulement pour dire « Demain on recommence », pourtant sans la moindre idée de ce que le lendemain leur réserve, mais parce que désormais, c’est certain, plus rien ne les fera reculer. Ceux qui mettent de l’amour et de l’humour, tellement d’humour, au cœur de ces places tout d’un coup chargées d’une force de vie comme on n’en avait jamais vu, qui ont redonné tous son sens au terme centre-ville, Balad, et les cerveaux qui, en retrait, se regroupent dans les cafés et lieux abandonnés autour pour commencer à réfléchir à l’après. Ceux qui, d’un coup de hanche, en quelques notes fredonnées, renversont la donne. C’est cet Œuf qui renaît au son des boombox, à la faveur de cours et de conférences, cet Œuf dont on n’apercevait jadis que la coquille fêlée, lors d’un passage furtif sur le ring. Et puis le ring, ses barrages vivants et pacifistes, ses tagueurs qui réécrivent en grosses lettres notre histoire sur les murs et, avant tout, ces femmes. Peur de rien, elles avaient, d’une même voix, d’un même corps, d’une fleur à la main, désarmé la police venue démanteler le blocage. C’est toi, Nadine Labaki, qui s’est positionnée parmi elles, en ligne de front, toi qui avais tiré une sonnette d’alarme avec ton si poignant et prémonitoire Capharnaüm duquel nous tous, l’État en premier, avions pourtant préféré détourner le regard. Ce sont les photographes qui, espérons-le, feront rentrer toutes ces images dans les livres d’histoire à venir.


Surtout eux

Ce sont ces mains qui quotidiennement font à manger à tout ce beau monde, et les autres, gantées, armées de sacs en plastique et de balais, qui, au matin, se donnent sans concession et apprêtent la place pour un jour nouveau. C’est cette femme de l’âge de ma mère qui, me tendant un jus de fruits, m’a dit, en réponse aux accusations d’ingérence étrangère : « Bonjour, je viens de la part de “l’Ambassade Spinney’s”. » Ce sont les larmes de ma mère, de toutes les mères, qui ont grandi, se sont mariées, ont langé et nourri dans les abris, mais qui, aujourd’hui encore une fois, sont prêtes à recommencer pour nous, pour leurs enfants. Ce sont ceux qui, certes, s’éreintent à fermer les routes partout dans le pays, avec les moyens du bord, quitte à se mettre en danger, mais uniquement parce qu’ils ont compris que seul un retour en arrière sera sans issu. Et puis, les financeurs et leaders de cette révolution sont surtout ceux qui, ayant tout perdu, n’ont plus peur de rien. C’est cette jeune femme de Nabatiyé, découverte chez Marcel Ghanem, jeudi dernier, qui a eu la rage et le courage de s’affranchir de ses appartenances politiques. Elle qui avait refusé l’humiliation des Israéliens au Sud, et qui maintenant, avec toute la lucidité qui est la sienne, s’inscrit en faux contre celle que nous inflige l’État depuis 30 ans. C’est ce père de famille, sans boulot, sans la moindre sécurité, qui doit supplier à la porte des hôpitaux pour qu’on accepte son fils malade, et qui continue toutefois à crier, à pleurer « Liban libre, on veut un Liban libre » face à un pays qui lui aura tout pris, en premier sa dignité. Ce sont ces personnes âgées que nos institutions ont déjà jeté dans les cimetières, ce bataillon de bacheliers qui refuseront désormais qu’on les expulse à l’étranger, ces milliers de paumes, ces cœurs siamois, qui se sont enlacés hier, du Sud au Nord, en se jurant en silence : « À présent, ensemble, rien ne pourra nous résister. » C’est eux, c’est nous, c’est moi les financeurs de cette révolution.


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