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Le demi-jour des oracles

Face à l’incessante clameur des foules en révolte que peuvent vraiment, même les plus fermement installés sur leur piédestal, les plus confiants dans l’ascendant qu’ils ont sur leurs fidèles ?


Ce n’est qu’au huitième jour des manifestations monstres dont le pays est le théâtre, que le président de la République rompait, jeudi, son assourdissant silence, pour s’adresser enfin au peuple. La petite histoire lui reconnaîtra le mérite de s’être évertué à peaufiner au mieux, jusqu’à la dernière minute, la qualité de son message préenregistré ; en témoignent les fréquents raccords qu’il a fallu opérer à la va-vite au stade du montage. Quant à l’histoire tout court, elle retiendra que, comme avant lui le Premier ministre, le président n’a pu que se plier au rituel du message reçu, je vous ai compris. Comme l’avait fait Saad Hariri, il s’est livré à un plaidoyer pro domo, protestant de sa farouche volonté de réforme, malheureusement contrecarrée par autrui. Mais comment a-t-on pu s’imaginer inspirer confiance, convaincre et apaiser en se prévalant de ce double et lamentable constat d’impuissance ?


L’adresse présidentielle se voulait néanmoins porteuse d’ouvertures. Outre son désir de recevoir des représentants d’une contestation qui, à ce jour, demeure anonyme dans sa formidable ampleur, il a préconisé une réévaluation de la situation dans laquelle se débat l’organe exécutif. À défaut d’une démission du cabinet, pourtant réclamée avec insistance par les manifestants, cette formule a paru un moment impliquer un remaniement de l’équipe Hariri, déjà désertée par les quatre ministres des Forces libanaises ; ce projet aurait buté sur le refus du président et de ses alliés de sacrifier le ministre des AE, qui occupe pourtant la première place au hit-parade de l’exécration contestataire. Quelle portée d’ailleurs aurait pu avoir le lifting projeté, même s’il débarrassait la frimousse gouvernementale de certaines de ses verrues les plus voyantes ? De jeter au rebut les oranges les plus gâtées pouvait-il donc suffire pour éliminer, aux yeux (et au nez !) des foules, les relents de moisi qu’elles dénoncent nuit et jour ?

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À l’oracle 2, maintenant. Il y a des années que les périodiques apparitions télévisées de Hassan Nasrallah marquent le rythme de l’actualité locale et régionale, et qu’elles sont largement suivies par de nombreux Libanais, toutes appartenances confondues. Fait exceptionnel, c’est pour la deuxième fois en moins d’une semaine que le chef du Hezbollah traitait hier de cette question. Avec mille fois plus d’habileté que les officiels, il a salué la sincère quête de justice sociale des manifestants, mais seulement pour se contredire peu après en accusant les chancelleries étrangères d’organiser et de financer ce mouvement. Il a répudié toute revendication de nature politique, cadenassé toute possibilité de renversement des autorités en place ou même d’élections anticipées. Il a manié enfin l’arme du chantage à l’effondrement économique, au vide constitutionnel : chantage même à la guerre civile, chapitre où l’arsenal de la milice lui confère, de fait, un sérieux pouvoir de persuasion…


Reste le plus important, à savoir les non-dits. Plébiscité dans son fief de Dahyé à peine achevée son allocution, Hassan Nasrallah a appelé, mais un peu tard, ses partisans à éviter tout contact avec les manifestants, cibles de maints raids d’intimidation violente. Mais il a pratiquement passé sous silence le séisme qui a secoué le sol sous ses propres pieds, avec cet extraordinaire, cet inattendu, cet insoupçonnable et héroïque élan d’émancipation, sinon de fronde, qui a gagné de notables portions de la population chiite à Saïda, Tyr, Nabatiyé, Baalbeck et ailleurs.


N’était la vigilance des forces de l’ordre, les cogneurs, casseurs et autres tontons macoutes de la milice se seraient déjà empressés d’y pourvoir à coups de gourdin ou de manière plus drastique encore. Demeure le fait indéniable que comme pour bien d’autres paramètres, plus rien désormais ne pourra être comme avant.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Face à l’incessante clameur des foules en révolte que peuvent vraiment, même les plus fermement installés sur leur piédestal, les plus confiants dans l’ascendant qu’ils ont sur leurs fidèles ? Ce n’est qu’au huitième jour des manifestations monstres dont le pays est le théâtre, que le président de la République rompait, jeudi, son assourdissant silence, pour s’adresser...