Le partage du gâteau était dans toutes les têtes depuis l’annonce le 13 octobre d’un accord conclu entre le régime syrien et les Kurdes. Il est désormais acté : Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan sont officiellement, depuis mardi, les nouveaux maîtres du Nord-Est syrien. Le chef du Kremlin a assuré à son homologue turc que les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG, branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK, considéré comme un groupe terroriste par Ankara) allaient se retirer d’une zone de 30 km de profondeur le long de la frontière syro-turque en contrepartie de quoi Ankara s’engageait à stopper son offensive. Les armées des deux pays se sont entendues pour patrouiller ensemble dans cette « zone de sécurité ».
L’entente russo-turque enterre le projet du Rojava, c’est-à-dire l’établissement d’un territoire autonome kurde dans le Nord syrien. Elle permet au régime syrien de Bachar el-Assad d’entériner sa reconquête de l’Est, que les forces américaines sont en train de quitter, sans avoir besoin de mener bataille pour le faire. Elle confirme surtout que le conflit syrien est entré dans une nouvelle phase où le destin de la Syrie se trouve essentiellement entre les mains de trois hommes : Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan et Ali Khamenei, le guide suprême iranien. De leur entente, des contours de leur alliance mais aussi de leurs divergences dépendront la suite des événements.
Si les Iraniens sont restés au second plan depuis le début de l’offensive turque le 9 octobre, ils trouvent doublement leur compte dans l’accord russo-turc : d’une part, parce qu’il permet au régime de reconquérir ce territoire sans avoir à entrer en conflit avec les Kurdes, d’autre part parce qu’il concrétise la fin de la domination américaine dans cette région, et pourrait ouvrir la voie à une plus grande influence de l’Iran du côté syrien de la frontière avec l’Irak.
Russes, Turcs et Iraniens avaient deux objectifs communs depuis le début des opérations. Celui de casser, par la force ou par le chantage, le projet d’autonomie kurde et celui de pousser les Américains à la porte. Si Donald Trump a dit hier que quelques troupes américaines allaient rester pour protéger les puits de pétrole, qui sont dans le viseur du régime, le retrait américain change complètement la donne générale sur le terrain. Il peut être interprété symboliquement comme la prise de pouvoir des puissances régionales, autrement dit la fin de l’hégémonie américaine dans la région.
(Lire aussi : L’offensive turque en Syrie rassemble pro et anti-Erdogan)
Partition russe
Le trio russo-irano-turc peut désormais régler toutes les questions relatives à l’évolution de la situation sur le terrain syrien sans passer par les Américains. Il peut également s’entendre sur une solution politique sans demander l’avis des Occidentaux. A priori, tous les feux sont au vert. Dans le détail, la situation est toutefois plus complexe. Les trois pays ne partent pas sur un pied d’égalité et n’ont pas fondamentalement les mêmes intérêts. Moscou est le maître du jeu, tandis qu’Ankara semble être l’acteur le plus fragile, d’autant plus s’il ne peut plus s’appuyer sur les Occidentaux. La Russie joue pour l’instant sa partition à la perfection : elle a permis au régime de gagner la guerre sans déployer d’énormes moyens et s’est auto-attribuée le rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée, capable de parler à toutes les parties et de trancher toujours dans le sens de ses intérêts. Moscou veut convertir sa victoire militaire en victoire politique, c’est-à-dire assurer la pérennité du régime et lui permettre de revenir dans le giron arabe, puis international. C’est notamment dans cette optique que l’ours russe invite actuellement l’Arabie saoudite à revenir dans le jeu syrien, afin d’y représenter les intérêts des Arabes qui pourraient être tentés de contrebalancer l’influence iranienne dans le pays. L’Iran, justement, veut absolument préserver son influence en Syrie, menacée par les frappes israéliennes et dans une moindre mesure par la pression américaine, pour plusieurs raisons, parmi lesquelles : garantir son accès à la Méditerranée, renforcer l’axe chiite Téhéran-Beyrouth et être en capacité d’ouvrir un second front contre Israël. La présence massive des Iraniens et de leurs alliés dans le pays pourrait toutefois faire peser une menace sur le régime à long terme et compliquer les projets de Vladimir Poutine de le voir se stabiliser. La Turquie, enfin, qui se veut le parrain de l’opposition pourrait rapidement être isolée par ses deux partenaires, qui ont intérêt à terme à la voir quitter le sol syrien. Ils ont besoin des Turcs pour contrôler les rebelles et les pousser à accepter des négociations de paix avec le régime, mais à condition de se retrouver face à une Turquie faible qui ne serait pas en mesure d’en demander trop. Le temps ne joue pas en faveur des Turcs : le conflit syrien ressemble à une épine dans le pied du président Erdogan dont il n’arrive pas à se débarrasser et qui ne cesse, au contraire, de s’enfoncer.
Les trois acteurs pourraient trouver rapidement une solution concernant la province d’Idleb où les Turcs sont présents et que les Russes et le régime grignotent petit à petit. La présence de Bachar el-Assad mardi dans cette province semble indiquer une prochaine grande offensive des troupes loyalistes. Peuvent-ils toutefois surmonter les autres obstacles les plus importants ? Comment comptent-ils régler leurs divergences d’agenda maintenant que leur principal objectif commun, le retrait américain, a été atteint ? Peuvent-ils imposer leur paix forcée à une population pour qui le retour en arrière ne semble pas être une option ? Et, surtout, comment comptent-ils répondre à la principale menace qui pèse aujourd’hui sur le régime syrien, la crise économique, alors qu’aucun d’eux ne peut se permettre de financer la reconstruction? Seuls maîtres à bord, les nouveaux rois de la Syrie ne sont pas pour autant au bout de leur peine.
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commentaires (2)
lE GRAND CHEF-D'ORCHETRE LE PLUS MERVEILLEUX DU MONDE : VLADIMIR POUTINE MAÎTRE ABSOLU DU JEU ! ESPÉRONS QU'IL AURA SON MOT À DIRE CHEZ NOUS AU LIBAN POUR APAISER CES FEUX INCOHÉRENTS QUI SURGISSENT DE TOUTES PARTS . POUR LA RECONSTRUCTION DE LA SYRIE : CHINOIS , RUSSES ET AUTRES ONT DÉJÀ COMMENCÉ À INVESTIR ...PAS BESOIN DES OCCIDENTAUX
Chucri Abboud
11 h 47, le 24 octobre 2019