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Liban

Au cœur de Beyrouth, on réclame aussi les droits des femmes ou la préservation de la vallée de Bisri

Les manifestants ont des revendications sociétales et écologiques à profusion.

Les étudiants de l’Université libanaise réclament la démission du président de l’institution universitaire publique qu’ils accusent de corruption. Photo A.-M.H.

Dégagez ! Démissionnez ! Nous voulons un gouvernement de transition restreint formé de spécialistes indépendants, des élections législatives anticipées et une loi qui restitue les deniers publics volés et sanctionne les hommes politiques coupables de corruption. Le message de la rue libanaise à la classe politique est clair et scandé sans arrêt depuis sept jours déjà. Mais au cœur de Beyrouth, place des Martyrs et place Riad el-Solh, une nuée de revendications sociétales ou écologiques, comme le droit des femmes à transmettre leur nationalité, la dépénalisation de l’homosexualité, la préservation de la vallée de Bisri, et bien d’autres encore viennent s’ajouter à ces attentes.

Place Riad el-Solh, indifférentes à l’effervescence ambiante, des proches de Nadine Jouni affichent la photo de la jeune féministe décédée le 6 octobre dernier dans un drame de la route. Nadine était divorcée et se battait contre le tribunal jaafarite pour obtenir la garde de son fils de 9 ans, Karam. « Nadine militait au sein de l’association Abaad contre le harcèlement sexuel, le mariage des mineures et la violence contre les femmes, rappelle sa tante. Elle était victime de violence conjugale. Mais elle n’a jamais obtenu gain de cause auprès des tribunaux religieux. » Alors en mémoire de sa nièce, elle réclame « la séparation entre la religion et l’État, l’instauration du mariage civil facultatif qui protège les femmes et les enfants et, enfin, la révision du droit de garde ». « Non seulement Nadine était privée de son fils, mais elle était victime des tribunaux religieux qui tirent profit du drame des femmes divorcées », dénonce-t-elle, espérant, maigre consolation, que « le petit Karam voit l’image de sa mère à travers les médias ». « Nous voulons faire parvenir la voix de toutes les Nadine », assène la femme, qui sera rejointe par le père et la sœur de la disparue. « Nos revendications sont aussi, bien sûr, celles de toute la rue, à commencer par la chute du gouvernement. »


(Lire aussi : Une nouvelle réalité, l'impression de Fifi ABOU DIB)


L’Université libanaise

Ils se mêlent à la foule, chantent, dansent, se déplacent d’une place à l’autre, hurlant à s’époumoner les slogans de la rue. Mais leur point de rencontre est la place Riad el-Solh, où ils se relaient depuis 7 jours et improvisent des tribunes pour crier leur colère. Les étudiants de l’Université libanaise, Younès, Lina, Zaynab, Ali, Jawad et tant d’autres dénoncent « la corruption et le clientélisme qui minent la seule institution universitaire publique du pays. » Cette corruption est incarnée, disent-ils, par le président de l’UL, Fouad Ayoub « qu’ils accusent » de défendre plus les intérêts du mouvement Amal et de son fondateur, le président du Parlement, Nabih Berry, que ceux des étudiants. « Non seulement les élections estudiantines n’ont plus lieu depuis 11 ans, mais l’équipement et l’entretien du campus de Hadeth, principal campus de l’institution, sont accordés à une entreprise liée à l’épouse du président Berry », dénoncent-ils. « Le remplacement d’un ascenseur a coûté la coquette somme de 120 000 dollars, alors que les étudiants manquent de tout : équipements, laboratoires, cafétéria, grondent-ils. Nous craignons même que notre bâtiment s’effondre, faute d’entretien. » Sans compter que les comités estudiantins « n’ont aucune liberté ». Les partis politiques, « principalement Amal et le Hezbollah dans ce campus de Hadeth, leur lient les mains ». « Nous n’avons pas le droit d’aborder de sujets tabous dans nos Salons culturels, comme la laïcité », racontent-ils, à titre d’exemple, accusant la classe politique de « couler sciemment la seule université publique du pays ». Alors la décision du président de l’institution de rouvrir les portes de l’université, il y a quelques jours, ils l’ont balayée de la main, tout en lui répondant : « Les cours ne reprendront pas. Dégage ! Toi et tous les autres ! »

D’autres causes foisonnent. Adham et Razan estiment que « le climat change, mais pas nos politiciens », que « les introvertis sont également présents, même s’ils n’aiment pas la foule ». Ils évoquent ainsi deux causes ignorées par la classe politique, le changement climatique et la santé mentale.

Les habitants de Zokak el-Blatt annoncent de leur côté des réunions pour s’organiser, et la Tente verte sensibilise les manifestants au recyclage des déchets et au nettoyage de l’espace. La cause homosexuelle est également défendue, mais timidement. Et pour cause, les quelques slogans criés, les jours précédents, ont été étouffés par des manifestants offusqués. Les murs du centre-ville n’en portent pas moins les revendications de la communauté LGBTQI+: « Les droits LGBT », réclame ce graffiti écrit en vert sur la vitrine d’un commerce.

Regroupés au plus près du Grand Sérail, des membres de la campagne Jinsiyati Karamati rappellent leur volonté de ne pas exploiter leur cause au détriment des revendications populaires qu’ils soutiennent ferme. Mais en même temps, ils exigent que soit « immédiatement accordé à la Libanaise ayant épousé un étranger le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants » et que soient respectés « le droit des apatrides et des personnes dont le dossier de nationalité libanaise est sous étude ». « Empêcher la femme de transmettre sa nationalité est l’une des pires formes de discrimination à l’égard des femmes », accuse le responsable de la campagne, Moustapha Shaar, qui dénonce une « législation patriarcale et machiste ».


(Lire aussi : Pour ou contre les manifestations, la position mitigée du Hezbollah, le décryptage de Scarlett HADDAD)


Sauvegarder l’héritage national

Face à la mosquée al-Amine, l’association Nahnoo expose les dessins et slogans de centaines de manifestants. « Nous sommes là pour que les gens expriment leur avis, pour présenter nos propositions de solutions comme la nécessité de créer une instance indépendante pour gérer la phase transitionnelle et à plus long terme d’organiser des élections anticipées et d’annuler le confessionnalisme politique », souligne Élie Saad, coordonnateur de projets urbains. L’association n’en affiche pas moins les causes qu’elle défend, la protection des espaces publics comme le bois de Beyrouth et le littoral, la préservation de l’héritage culturel, archéologique et naturel du pays, et enfin, la transparence des municipalités. « Nous avons réalisé une étude liée aux empiétements sur les biens-fonds publics à Beyrouth (publiée sur le site nahnoo.org) et en préparons une autre pour Tripoli et Khaldé », affirme le militant, qui fait part de la volonté de l’ONG de « réaménager le littoral ».

Ils sont soucieux de sauver la vallée de Bisri et circulent dans la foule sans discontinuer, pour présenter leurs arguments et distribuer leurs affiches. Amani Beaïni, Ranim Azzam et Roland Nassour sont membres du comité de sauvegarde de la vallée. Ils demandent aux autorités de renoncer au projet en cours de construction d’un barrage dans la région. « La vallée est défigurée. Ce barrage présente aussi d’importants risques sismiques et de fuites liées à la nature du terrain », expliquent les militants. « Sans compter que le dossier est entaché de corruption. Que ce barrage va coûter plus de 10 milliards de dollars, qu’il va engloutir quelques 51 sites archéologiques et naturels, parmi lesquels l’église la plus ancienne du Moyen-Orient », s’inquiètent-ils.

Dans la tente qu’ils ont dressée, place des Martyrs, les militaires à la retraite sont en pleins conciliabules. Non seulement soutiennent-ils le soulèvement citoyen, mais ils craignent fort d’avoir été trompés par les autorités quant à leur régime de retraite. « Les hommes politiques avaient l’intention de ponctionner dans nos retraites pour réduire le déficit public, regrette André Abou Maachar, l’un des protestataires. Et si nous étions prêts à faire des sacrifices, nous nous sommes soulevés après avoir compris que la classe politique a décidé d’exempter de taxes tous les autres corps de métier, sauf les militaires. »

Une jeune fille sur chaise roulante n’en finit pas de sillonner le centre-ville, avec sa pancarte : « Je me lèverai de mon fauteuil et vous n’aurez toujours pas démissionné », dit-elle à la classe politique, dans un appel au respect des droits des handicapés et à la démission d’une classe politique sourde aux appels de la population.



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Dégagez ! Démissionnez ! Nous voulons un gouvernement de transition restreint formé de spécialistes indépendants, des élections législatives anticipées et une loi qui restitue les deniers publics volés et sanctionne les hommes politiques coupables de corruption. Le message de la rue libanaise à la classe politique est clair et scandé sans arrêt depuis sept jours déjà. Mais au cœur...

commentaires (3)

TROP DE MANIFESTATIONS TUE LA MANIFESTATION .

FRIK-A-FRAK

12 h 49, le 24 octobre 2019

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Commentaires (3)

  • TROP DE MANIFESTATIONS TUE LA MANIFESTATION .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 49, le 24 octobre 2019

  • Ne pas trop demander ! L'essentiel se dilue ! Ça devient hors sujet ! la défaite la plus cuisante est celle qui survient après avoir sous-estimé la force de l'adversaire

    Chucri Abboud

    09 h 27, le 24 octobre 2019

  • DES RECLAMATIONS POUR APRES LE CHANGEMENT. LE CHANGEMENT PREVAUT SUR TOUTE AUTRE CONSIDERATION.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 33, le 24 octobre 2019

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