Ceux qui parient encore sur une fatigue des manifestants au centre-ville de Beyrouth risquent de déchanter. Rassemblés entre les places des Martyrs et Riyad el-Solh pour la sixième journée consécutive en vue de réclamer la chute du gouvernement, des dizaines de milliers de personnes continuaient hier à scander les slogans désormais familiers : « Révolution », « Le peuple veut la chute du régime » ou encore « Tous sans exception ». Partout, des tentes sont dressées par divers groupes de la société civile. Sur une grande plateforme centrale, un homme harangue les foules et donne des indications sur les différents groupes en activité sur la place. Bref, le mouvement s’organise, on peut même dire qu’il s’installe.
À la place des Martyrs, les marches de la mosquée al-Amine, tout comme l’esplanade de la statue des Martyrs et les allées centrales, sont noires de monde. À chaque coin sa musique à tue-tête et ses slogans criés à pleins poumons. Après six jours de mobilisation, les visages restent ouverts, souriants, respirant une véritable joie. Dans cette atmosphère festive, un étrange cortège fait irruption : des jeunes tenant de grands portraits d’un « martyr », Hussein Attar. Son frère Mohammad, qui peine à suivre ses camarades, a juste le temps de lancer que Hussein « a été tué par balle à la route de l’aéroport, alors qu’il faisait campagne pour la révolution ». « Les tueurs ont été identifiés et nous en avons notifié les forces de l’ordre », ajoute-t-il simplement. Sur toutes les tribunes des deux places, un vibrant hommage est rendu au jeune homme disparu. « Au martyr Attar, nous promettons que la révolution restera vivante ! » scandent les manifestants.
Comme aux jours précédents, les slogans, souvent sommairement écrits sur des bouts de carton, regorgent de créativité. « Les femmes bien élevées marquent rarement l’histoire », lit-on sur une pancarte brandie par une jeune femme. « Je veux dire par là aux femmes qu’elles doivent s’imposer », lance-t-elle.
Une autre jeune femme porte le message suivant : « @SaadHariri, si vous êtes retenu en otage, clignez des yeux trois fois ». « Ce n’est pas moi qui l’ai écrit, ne citez pas mon nom ! » dit-elle en riant. Cette jeune femme de 28 ans raconte cependant que l’une de ses revendications est la pension de retraite… pour ses parents. « Je suis la seule à avoir une source de revenus à la maison, dit-elle. Je suis obligée de pratiquer un métier que je n’aime pas pour avoir des ressources suffisantes. »
(Lire aussi : L’aveu, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Oublier les insultes…
Beaucoup comme elle sont obnubilés par leurs problèmes personnels, comme Bilal, 20 ans, qui est « au chômage parce qu’on est dans un pays de pistons ». Mais beaucoup d’autres réfléchissent déjà à ce que peut être l’issue de ce mouvement de contestation populaire inédit. Trois jeunes femmes d’une trentaine d’années ne se joignent pas aux manifestations par peur du chômage, elles ont un travail florissant. « J’étais pourtant sur le point d’émigrer tellement la situation du pays me dégoûtait, affirme l’une d’entre elles. Ce qui se passe depuis six jours me redonne de l’espoir. » Un espoir qui reste fragile tant que les revendications ne se sont pas concrétisées. « À mon avis, il ne suffit pas que le gouvernement démissionne, renchérit son amie. Le centre des pouvoirs est le Parlement. Le seul salut passe par des élections anticipées. »
Près d’une tente où des membres de la société civile lancent la création d’un comité de coordination populaire, un jeune étudiant de l’AUB, Karim, 23 ans, avoue être quelque peu sceptique sur une démission immédiate du gouvernement. « À mon avis, un tel mouvement a besoin d’un leadership fort, souligne-t-il. Et c’est ce leader qui doit imposer ses conditions aux gouvernants, qui qu’ils soient. » La réussite de ce mouvement lui tient à cœur. Malgré son jeune âge, il a beaucoup voyagé et « pense que le Liban est le plus beau pays du monde ».
Les célébrités n’hésitent pas à s’afficher non plus au centre-ville. Fadi el-Khatib, l’un des basketteurs les plus populaires du Liban, est présent à la manifestation. « Il est normal que je soutienne les revendications du peuple, affirme-t-il. D’ailleurs, le sport n’a pas été épargné, et il est devenu ultrapolitisé. »
Au centre-ville se retrouvent aussi les familles, même en soirée. Rania, enseignante et mère de famille, vient tous les jours, accompagnée de ses enfants. « Je suis heureuse de voir mes élèves manifester », dit-elle. En observant les enfants courir librement, un drapeau à la main, on les voit mal revenir à la routine de l’école… « Ce n’est pas ce qui me tracasse le plus, il faudra d’abord leur faire oublier les insultes aux politiciens qu’ils entendent ici ! » affirme-t-elle, non sans humour.
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commentaires (2)
BIEN INSTALLES ILS NE DECOLERENT PAS ! KELON YE3NE KELLON !
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 26, le 23 octobre 2019