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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Ce chaos est une opportunité en or pour l’EI »

La crise qui secoue le nord de la Syrie fait craindre une aggravation de la résurgence du groupe État islamique qui, loin d’être défait, pourrait tourner la situation actuelle à son avantage.

Le camp d’al-Hol dirigé par les Kurdes où des familles de combattants étrangers appartenant à l’État islamique sont détenues, dans le nord-est de la Syrie. Delil Souleiman/AFP

La frontière irako-syrienne est invisible dans la nuit sans lune. On la devine à la crainte qu’elle suscite. « Ce n’est plus une frontière, mais une ligne de front », prévient le major Sardar Saleh, un combattant kurde irakien qui est aussi médecin dans un petit dispensaire perdu à l’intersection de la Syrie, de l’Irak et de la Turquie, non loin de la rivière Tigre qui serpente dans la plaine d’herbes sèches. Dans son bureau, Sardar et ses hommes enchaînent les cigarettes, le regard verrouillé sur les chaînes d’information qui diffusent en continu des images de la Syrie voisine. Blessés et réfugiés se succèdent sur le petit écran depuis le début, le 9 octobre, de l’offensive militaire turque contre les forces kurdes syriennes.

Mais ce ne sont pas les Turcs que le major Saleh craint. Le chaos voisin a ressuscité le spectre d’un autre ennemi : le groupe État islamique (EI). Ils sont des milliers de jihadistes à être actuellement détenus dans le Kurdistan syrien, or depuis une semaine, les nouvelles d’évasions se multiplient. Sans compter les nombreuses cellules dormantes dont chaque réveil s’écrit dans le sang. Comme à Qamichli, principale ville du Kurdistan syrien, où l’organisation terroriste a revendiqué un attentat meurtrier à la voiture piégée, le 11 octobre, contre un restaurant populaire.

Plus de 7 000 réfugiés kurdes syriens sont entrés clandestinement au Kurdistan irakien depuis que la Turquie a lancé son opération militaire. Les peshmergas, visiblement fébriles, expriment la crainte d’une infiltration d’éléments de l’EI via les mêmes points de passage, ou plus au sud, dans la région de Rabia. « Nous vérifions chaque nouveau venu méticuleusement pour être certains que ce ne sont pas des jihadistes, », explique le major Saleh, interrompu par un coup de tonnerre. Les éclairs orange se succèdent à une cadence infernale ; les bourrasques de vent murmurent l’arrivée d’une tempête qui ne dit pas encore son nom. « La situation est tellement complexe en ce moment. Il est certain que Daech va en profiter pour revenir. »

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti hier que l’offensive dans le nord de la Syrie reprendrait « avec une plus grande détermination », faute d’un retrait des forces kurdes. Deux jours plus tôt, le Pentagone déclarait que le millier de soldats américains jusque-là en poste en Syrie seraient finalement redéployés dans l’Ouest irakien, contrairement aux dires du président Donald Trump qui promettait un « retour à la maison ». Le but annoncé : poursuivre les opérations anti-EI. « Notre mission a été sapée par l’incursion turque, mais nous continuons notre combat », insiste auprès de L’Orient-Le Jour le colonel Myles B. Caggins III, porte-parole de la coalition. Mais dans un retournement de situation tragi-comique, l’armée irakienne a fait savoir que les troupes américaines qui se retirent de Syrie auraient uniquement le droit de transiter par l’Irak, et non pas d’y rester.

Le gouvernement irakien a également annoncé avoir déployé davantage de troupes à sa frontière avec la Syrie, craignant que des jihadistes puissent s’y faufiler à la faveur du chaos créé par l’invasion turque. « Il y a au Kurdistan syrien 13 000 membres de l’EI emprisonnés, pour la plupart d’éminents dirigeants de différentes nationalités, aguerris et expérimentés au combat, et ils pourraient représenter un grave danger pour l’Irak », déclarait mardi dernier le porte-parole du ministère irakien de la Défense à une chaîne de télévision locale.


(Lire aussi : Erdogan et Poutine s'accordent sur un retrait des forces kurdes du nord-est de la Syrie)

Problème sur le plus long terme

Malgré les craintes sécuritaires, un membre des forces du contre-terrorisme irakien se veut rassurant : « Je n’imagine pas l’EI traverser en grand nombre la Syrie en direction de l’Irak. Pour nous ça ira, nous sommes suffisamment robustes pour nous occuper d’eux. Je suis en revanche préoccupé pour la Syrie elle-même », confie cette source, qui craint que côté syrien les opérations de contre-terrorisme ne soient compromises, bien qu’il ne croie pas l’organisation capable de reprendre le contrôle de territoires comme en 2014. « Ce chaos est une opportunité en or pour l’EI, assure-t-il. Je ne comprends pas pourquoi les Américains ont abandonné les Kurdes maintenant. Les jihadistes sont faibles, c’est donc le moment de les achever, pas de partir. J’espère que le régime syrien et les Russes prendront le relais du combat. »

Pour certains analystes, outre les risques sécuritaires immédiats, le problème se pose surtout sur le plus long terme. L’instabilité ambiante, due au retrait de la coalition menée par les États-Unis, met notamment en péril les opérations humanitaires de stabilisation. Le risque : un retour à zéro. Un pourrissement de la situation – d’autant plus crédible que certaines villes « libérées » par les bombes de la coalition, comme Raqqa, ne sont plus qu’un champ de ruines – qui nous renverrait aux conditions qui ont initialement mené à l’émergence de l’EI. Avec par exemple une marginalisation des sunnites et des griefs économiques. Surtout avec le retour annoncé du régime, dont les pratiques autoritaires ont aussi été un facteur expliquant la montée en puissance du groupe.

De retour à la frontière entre l’Irak et la Syrie, un coup de téléphone sonne l’alarme : de nouveaux réfugiés viennent d’arriver. Uniforme militaire et stéthoscope autour du cou, le major Sardar Saleh et ses hommes se précipitent dans leurs voitures et leurs ambulances. Il y a des infirmiers, au cas où les civils en fuite auraient besoin d’aide médicale. Et il y a des soldats, au cas où les infirmiers auraient aussi besoin d’être secourus. « Les Américains sont peut-être partis, mais l’EI certainement pas », maugrée le combattant kurde avant de disparaître dans la nuit orageuse. Les éclairs se rapprochent de plus en plus. Même le ciel est en guerre.


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commentaires (1)

Ces horribles Daechien ! Ils vont profiter du chaos au Liban pour s'infiltrer et venir se battre chez nous contre le Hezzbollah , et ils seront aidés par les réfugiés syriens que nous n'avons pas pu rapatrier ! C'était cela la stratégie israelo-américaine !

Chucri Abboud

23 h 15, le 23 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • Ces horribles Daechien ! Ils vont profiter du chaos au Liban pour s'infiltrer et venir se battre chez nous contre le Hezzbollah , et ils seront aidés par les réfugiés syriens que nous n'avons pas pu rapatrier ! C'était cela la stratégie israelo-américaine !

    Chucri Abboud

    23 h 15, le 23 octobre 2019

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