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Feux de route

À peine maîtrisés les incendies de forêt qui ont mis à nu toute l’incurie dont les autorités peuvent être capables, c’est la rue qu’enflamme désormais une colère populaire longtemps contenue.


Comme il est fréquent pour les plus furieux des brasiers, il aura suffi pour cela d’une étincelle ; c’est le ministre des Télécoms, un homme décidément peu au fait de l’art de la communication, qui la provoquait jeudi soir en décrétant une taxe sur les appels via internet, avant de se rétracter précipitamment au vu de l’ampleur des dégâts.


Ce n’est certes pas la première fois que des Libanais investissent la voie publique pour protester contre la carence des services publics et les déplorables conditions de vie qui en résultent. Quelque chose d’énorme a pourtant changé hier, tant en termes de qualité que d’intensité. Inouïe est d’abord la rapidité avec laquelle la contestation s’est étendue, telle une traînée de poudre, aux quatre coins du pays : phénomène de simple mimétisme, de solidarité spontanée qui ne devait rien à une quelconque planification partisane et qui en dit long sur l’ampleur du ras-le-bol populaire. Renversante est ensuite la communauté de cause vite apparue entre les manifestants, et qui transcendait toutes les vieilles barrières sociales, partisanes, idéologiques et sectaires. Ce rapprochement interlibanais qu’aucune initiative politique n’aurait pu réaliser, ce sont en effet la faim, la précarité du gagne-pain et la frustration qui l’ont fait, (ré)unissant en quelque sorte dans un même combat des populations relevant des deux rassemblements rivaux du 8 et du 14 Mars.


Last but not least, d’une virulence absolument sans précédent ont été les appels à une prise en charge par l’armée des affaires du pays, de même que les accusations de corruption lancées contre le personnel dirigeant et qui n’ont pas épargné les plus hauts personnages de la République. Nombreux ont été les souhaits d’une solution à la MBS, où l’on verrait les corrompus forcés de rendre gorge. Proférées à visage découvert, sans crainte ni retenue, recueillies à longueur de journée par les caméras de télévision, toutes ces imprécations font apparaître comme peccadilles les posts irrévérencieux des internautes contre lesquels s’est acharnée, ces derniers temps, la police cybernétique…


Par son importance même, la contestation n’est évidemment guère à l’abri des risques. Apparemment écarté est cette fois celui d’essoufflement, qui a eu raison de plus d’une rébellion de la société civile. Il faudra toutefois en conjurer deux autres : celui d’un noyautage par les casseurs qui viendrait affecter gravement le caractère pacifique des manifestations ; et celui de tentatives de récupération politique, aux effets non moins pervers.


Or en toute équité, les autorités ne sont pas mieux loties. Protestant – avec un bel aplomb – de sa compréhension pour les manifestants, le chef du courant aouniste Gebran Bassil prenait de vitesse hier le chef du gouvernement pour se dégager de toute responsabilité dans le retard apporté à l’adoption de réformes ; aussi, proposait-il un marathon gouvernemental du week-end pour liquider le travail. C’est pratiquement le même délai en forme d’ultimatum que s’octroyait peu après Saad Hariri, menaçant de dévoiler toutes les manœuvres d’obstruction qui paralysent l’exécutif.


Soixante-douze heures pour trouver la recette magique et puis servir tout chaud, c’est à plein rendement que sont appelés à tourner les fourneaux de la République.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

À peine maîtrisés les incendies de forêt qui ont mis à nu toute l’incurie dont les autorités peuvent être capables, c’est la rue qu’enflamme désormais une colère populaire longtemps contenue. Comme il est fréquent pour les plus furieux des brasiers, il aura suffi pour cela d’une étincelle ; c’est le ministre des Télécoms, un homme décidément peu au fait de l’art de la...