Rechercher
Rechercher

Économie - Contestation

Pour le secteur privé, le gouvernement doit d’abord réduire les dépenses publiques

Presque tous les représentants du secteur privé interrogés soutiennent explicitement cette vague de protestation ; certains appellent même à la démission du gouvernement.

Un manifestant masqué dans une rue de Beyrouth, hier. Photo AFP

Alors que les Libanais poursuivaient hier leur mobilisation à travers tout le pays pour protester contre le pouvoir, quelques heures après les plus importantes manifestations depuis des années dans le pays provoquées par l’annonce de nouvelles taxes dans un contexte de crise économique persistante, quelques représentants du secteur privé ont accepté de livrer à chaud, pour « L’Orient-Le Jour », leur lecture des événements.

Un appel à la démission de l’exécutif

Presque tous soutiennent explicitement cette vague de protestation et certains appellent même à la démission du gouvernement Hariri. C’est le cas du président du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais (RDCL), Fouad Rahmé, qui appelle le gouvernement à prendre des mesures immédiates ou démissionner, faute d’avoir réussi à mettre en place les réformes nécessaires tant attendues. « Les gens sont dans la rue parce qu’ils ont faim. Et ils ont raison de le faire. Un gouvernement de gestion des affaires courantes dans ce contexte est une très mauvaise chose, mais on ne peut pas garder une telle équipe. Ils savent très bien quelles sont les réformes à mener, mais ne font rien. Qu’est-ce qu’on attend ? » s’insurge-t-il.

Même son de cloche du côté d’un éminent banquier ayant requis l’anonymat. « Je pense sincèrement que l’exécutif doit démissionner. Mais s’il doit rester en place, la seule chose qu’il puisse faire est de contraindre tous les acteurs politiques à se mettre au travail sans attendre afin de fournir ce choc positif dont le pays a tant besoin pour rassurer les investisseurs », estime-t-il. Le président de l’Association des agriculteurs Antoine Hoyek va, lui, plus loin et réclame la formation d’un gouvernement de technocrates. « Nous n’avons plus confiance en eux. Nous demandons la mise en place d’un gouvernement de transition, composé de technocrates, qui s’emploiera à poser les bases d’une société plus juste avant d’organiser des élections législatives anticipées pour renouveler toute la classe politique », lance-t-il.

Le président de l’Association des industriels du Liban, Fady Gemayel, estime, pour sa part, que les manifestations « témoignent d’un malaise profond qui va au-delà de la grogne vis-à-vis de la classe politique ». « Nous faisons face à une accentuation des problèmes socioéconomiques, avec un fort taux de chômage et un essoufflement de la croissance économique », indique-t-il.

Le discours du Premier ministre, Saad Hariri, qui a accordé trois jours à ses partenaires au gouvernement pour soutenir les réformes avant de décider d’une éventuelle démission, n’aura pas suffi à rassurer les représentants du secteur privé. « Je crains que ce délai de trois jours ne serve à rien, sinon à prolonger un peu plus les incertitudes concernant la stabilité financière du pays et les pistes encore envisageables pour redresser son économie le plus rapidement et efficacement possible. Les chantiers ont été identifiés depuis des lustres, à savoir diminuer le nombre de fonctionnaires, réformer le secteur de l’électricité, lutter contre la corruption… Or, ces objectifs, que le gouvernement et les précédents n’ont pas réussi à lancer jusqu’à présent, ne vont pas subitement devenir plus faciles à mettre en œuvre en trois jours », affirme le banquier précité. Un sentiment partagé par Antoine Hoyek : « Cela fait trente ans que les politiciens se succèdent et que rien ne change parce qu’ils ne sont pas capables ou ne veulent juste pas travailler. Ce n’est pas en trois jours qu’un problème aussi profond se règle. »



(Lire aussi : Le Liban entre réformes improbables et révolution impossible)


Mise en garde contre la hausse des taxes

Pour l’ensemble de ces représentants du secteur privé, la priorité est à la réduction des dépenses publiques et surtout pas à la hausse des taxes. « Il faut que ce sursis (de trois jours) serve à solutionner le vrai problème, à savoir le niveau des dépenses publiques, beaucoup trop élevé pour le pays et qui asphyxie l’économie libanaise. Il faut ensuite permettre au pays de renouer avec la croissance tout en épargnant le secteur privé de toute nouvelle charge fiscale, contrairement à ce qui se passe depuis 2017 », insiste le président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), Nicolas Chammas, mais qui s’exprime ici surtout en sa qualité de secrétaire général des organismes économiques. Fady Gemayel estime aussi que le gouvernement doit adopter « un budget d’austérité ayant pour objectif de réduire les dépenses publiques en supprimant les dépenses extravagantes tout en incluant des mesures de relance de l’économie. Voter de nouvelles taxes ne fera qu’asphyxier davantage les citoyens et l’économie. »


Restaurer la confiance

Pour Nicolas Chammas, « la pression fiscale est devenue insupportable et nous avons quasiment, sans le dire, changé de système économique, passant d’un système libéral à une sorte de dirigisme économique. Le secteur privé n’a que trop contribué à sauver les meubles ces dernières années pour qu’on lui laisse enfin un peu d’air ». Fouad Rahmé insiste aussi sur le rôle-clé que devra jouer le secteur privé afin de trouver une issue à cette crise. Hormis le lancement d’une restructuration administrative, il faut également faire appel au secteur privé et lancer la privatisation de certains secteurs car l’État fournit de très mauvais services à des prix exorbitants. « Le plan de réforme de l’électricité doit également être lancé », insiste M. Rahmé.

Fady Gemayel plaide aussi pour une lutte efficace contre la corruption et la mise en place d’une véritable politique de relance économique en vue de restaurer la confiance. « C’est une crise de confiance à laquelle il faut pallier en adoptant un système de tolérance zéro face à la corruption », martèle-t-il. Il recommande alors de revenir aux recommandations du rapport McKinsey, commandé en 2018 par le gouvernement libanais et qui préconisait le renforcement des secteurs productifs du pays. « C’est en dopant la croissance qu’on pourra créer de nouvelles opportunités d’emploi. Et en restaurant la confiance, nous pourrons faire baisser substantiellement les taux d’intérêt et donc le coût de la dette. Ces économies serviront à financer les besoins de l’État qui n’aura pas besoin d’instaurer de nouvelles taxes. Cela résoudra aussi les problèmes de liquidité auxquels nous faisons face récemment », affirme Fady Gemayel. L’industriel pointe également du doigt le retard dans la mise en œuvre des réformes convenues lors de la conférence de soutien économique au Liban (CEDRE), tenue en avril 2018 à Paris. « Nous avons alerté, à plusieurs reprises, les principaux dirigeants sur la gravité de la situation. Les responsables nous répondaient que la CEDRE allait résoudre tous ces problèmes. Mais il y a eu un retard dans la mise en œuvre des réformes prévues dans ce cadre, et les agences de notation ont dégradé la note du Liban », regrette-t-il. Lors de la CEDRE, Beyrouth s’était engagé à amorcer un assainissement de ses finances publiques, à réformer certains secteurs-clés comme celui de l’électricité et à engager une lutte contre la corruption ; tandis que la communauté internationale avait promis de mobiliser plus de 11 milliards de dollars pour le financement de projets d’infrastructures.

Les événements dans le pays ont, en tout cas, impacté les prix des eurobonds (titre de dette en devises émis par le Liban) arrivant à échéance en 2025 qui étaient en baisse de 1,9 cent hier à la mi-journée, selon les informations de Tradeweb Data relayées par le Daily Star. « Une baisse logique mais qui demeure moins significative que le recul enregistré depuis la CEDRE », constate le banquier précité.


Lire aussi

Feux de route, l'édito de Issa GORAIEB

Qu'ils partent, d’accord... Mais après ?, l'analyse d’Élie Fayad

Le mauvais pari du gouvernement, le billet de Kenza Ouazzani

Power to the People, le billet de Médéa Azouri


Alors que les Libanais poursuivaient hier leur mobilisation à travers tout le pays pour protester contre le pouvoir, quelques heures après les plus importantes manifestations depuis des années dans le pays provoquées par l’annonce de nouvelles taxes dans un contexte de crise économique persistante, quelques représentants du secteur privé ont accepté de livrer à chaud, pour...

commentaires (1)

surement que les "entrepreneurs" de travaux publiques, , les importateurs de petrole et qqs autres seraient les 1ers a pousser le peuple a la révolte ......car les 1ers a souffrir de la situation presente , les POVRES !!!

Gaby SIOUFI

16 h 29, le 19 octobre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • surement que les "entrepreneurs" de travaux publiques, , les importateurs de petrole et qqs autres seraient les 1ers a pousser le peuple a la révolte ......car les 1ers a souffrir de la situation presente , les POVRES !!!

    Gaby SIOUFI

    16 h 29, le 19 octobre 2019

Retour en haut