La vidéo vaut mille mots. Diffusée lundi par Russia Today, elle montre les patrouilles américaines en train de quitter la ville de Kobané alors que, de l’autre côté de la route, des hommes armés arborant le drapeau syrien se dirigent vers la cité pour la reprendre. Elle capte un moment charnière : la fin de la domination américaine dans le Nord-Est syrien et le retour du régime, grâce à son parrain russe, dans cette région stratégique.
Le même jour, à quelque deux mille kilomètres de là, Vladimir Poutine est reçu en grande pompe en Arabie saoudite, douze ans après avoir effectué sa première visite dans le royaume. Il n’en fallait pas plus pour que de nombreux commentateurs évoquent l’idée d’un nouveau Moyen-Orient, autrement dit un Moyen-Orient postaméricain où l’Ours russe serait en pole position pour enfiler le costume du nouvel hégémon.
La non-réponse américaine après l’attaque imputée à l’Iran des sites d’Aramco en Arabie saoudite le 14 septembre dernier et le retrait US de l’Est syrien au cours de ces dernier jours renforcent l’idée d’un désengagement américain du Moyen-Orient. Barack Obama avait déjà entamé cette orientation stratégique mais avait dû, malgré lui, faire un « détour par le Moyen-Orient » dans sa route vers l’Asie. Donald Trump va plus loin et, surtout, plus vite. « Les Américains n’auraient jamais dû être présents au Moyen-Orient », tweetait-il encore il y a quelques jours. Le président américain est convaincu que son pays n’a pas à jouer le rôle de gendarme régional. Sauf si c’est dans l’intérêt des États-Unis. Sauf donc, dans l’esprit de Donald Trump, s’il est payé pour le faire. Cela explique probablement l’annonce récente d’un déploiement de 3 000 soldats américains en Arabie saoudite. Mais même cette logique a ses limites aux yeux du président : l’épisode d’Aramco a démontré que Washington n’était pas prêt à faire la guerre pour son plus vieil allié dans le monde arabe, même si celui-ci paye la facture.
Le retrait est relatif compte tenu du fait que les États-Unis restent tout de même très présents dans la région. Mais c’est une nouvelle réalité qui semble être une tendance de fond et qui pourrait se poursuivre après Donald Trump. Malgré les grincements de dents du Pentagone et du Foggy Bottom, l’opinion publique américaine est de plus en plus hostile à l’idée que son armée s’engage au Moyen-Orient. Avec sa doctrine de l’America First, Donald Trump n’a rien inventé. Mais il renoue, peut-être provisoirement, avec la tentation de l’isolationnisme qui a longtemps dominé la vision américaine du monde.
Voilà des décennies que les États-Unis peuvent être considérés comme la plus grande puissance dans la région. La seule hyperpuissance même depuis la chute de l’Union soviétique, capable d’imposer son agenda à tous les acteurs, ou presque. L’invasion de l’Irak en 2003 a montré ce que la domination américaine sur la région pouvait faire de pire. Mais le recul de l’administration Obama en 2013 en Syrie a eu également de terribles conséquences. On vit depuis dans une situation où l’hégémonie américaine prend la forme d’une ombre qui plane au-dessus de la région, mais dont la réalité est sujette à question. Les alliés doutent, les adversaires testent, et la nature ayant horreur du vide, les autres puissances régionales se disputent le trône.
Le désengagement américain peut être perçu comme une opportunité pour les acteurs régionaux de régler enfin leurs différends entre eux, sans recourir à cet Oncle Sam omnipotent et, pour certains, menaçant. C’était la volonté de Barack Obama. Le scénario paraît toutefois assez optimiste. C’est la loi du plus fort qui règne actuellement au Moyen-Orient, mais personne n’est suffisamment fort pour la faire respecter. Malgré leurs bonnes relations avec tous les acteurs régionaux, les Russes n’ont ni le hard ni le soft power américain. Ils peuvent occuper une partie de l’espace, mais ne peuvent pas remplacer les États-Unis. Serait-ce d’ailleurs souhaitable d’avoir comme hégémon une puissance autoritaire, moquant les droits de l’homme et ne respectant que la logique du rapport de force ? C’est le scénario le plus réaliste si le retrait américain se poursuit : voir la région devenir un trophée à la fois disputé et partagé par des puissances autoritaires, méprisant les volontés populaires.
qu'est-ce qu'ils savent faire ces Américains ? ils savent ramasser les ordures. Mais ils ont quand meme marcher sur la lune.
15 h 44, le 16 octobre 2019