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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Les trois grands enjeux de la course à l’Est syrien

Les contours de l’accord entre Moscou et Ankara ne sont pas encore clairs.

Les forces du régime entraient hier dans la ville de Aïn Issa dans la province de Raqqa. AFP Photo/HO/SANA

La course à la conquête de l’Est a repris en Syrie. L’annonce du retrait américain, l’offensive turque débutée le 9 octobre dernier contre les Kurdes du PYD (Parti de l’union démocratique – branche syrienne du PKK) et l’accord conclu dimanche entre le régime et les Kurdes, sous l’égide des Russes, ont rebattu les cartes. Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan sont les nouveaux maîtres du Nord-Est syrien. Mais si les deux hommes semblent s’être entendus pour se partager la région, les contours de cet accord ne sont pas encore clairs. L’Orient-Le Jour décrypte les trois grands enjeux géopolitiques de cette nouvelle réalité.


(Lire aussi : L’État islamique, l’autre vainqueur potentiel de l’opération turque en Syrie)



Une possible confrontation entre Damas et Ankara ?

C’est la principale question que pose cette nouvelle équation. Le régime a annoncé dès dimanche son déploiement dans les villes de Manbij et Kobané, mais aussi plus à l’est, à Hassaké et Qamichli. Les Turcs opèrent pour leur part au milieu de ces deux zones, entre Tal Abyad et Ras el-Aïn, une zone majoritairement arabe. Si une répartition des territoires semblent être à l’œuvre, sous l’égide des Russes – parrains du régime et partenaire d’Ankara en Syrie – les frontières ne sont peut-être pas complètement définies, ce qui expliquerait la course à la prise de Manbij que les deux armées se sont livrée hier.

Les forces du régime sont entrées dans la ville hier soir, alors que l’armée turque et les supplétifs syriens qui l’accompagnent ont avancé vers la ville tout au long de la journée.

Le président turc avait plus tôt dans la journée affirmé que l’armée turque allait prendre cette ville stratégique, carrefour vers l’Est syrien. Le régime et les rebelles syriens, mais aussi les Turcs et les Kurdes se retrouvent donc à quelques kilomètres l’un de l’autre.

Recep Tayyip Erdogan a minimisé hier le risque d’un affrontement turco-syrien, soulignant que son homologue russe Vladimir Poutine avait opté pour une « approche positive ». Le porte-parole du Kremlin Dmitryi Peskov a pour sa part déclaré que les contacts étaient permanents entre Moscou et Ankara. Autrement dit : tout va être mis en œuvre pour assurer la déconfliction. « Les Turcs et les Syriens éviteront de s’affronter directement mais plutôt par proxy interposés. Tout cela sera réglé in fine par des arrangements sous l’égide des Russes », note Joseph Bahout, chercheur au Carnegie et spécialiste du Moyen-Orient. « Le régime, en tant que tel, n’a pas le luxe de prendre ce type de décision stratégique. Ce sont les Russes qui dictent le scénario », confirme Nawar Oliver, chercheur et analyste au centre Omran, un groupe de réflexion basé à Istanbul.

Les Turcs peuvent se satisfaire d’une situation où le régime, et surtout les Russes, joueraient les rôles de paravent par rapport aux Kurdes. « Erdogan voulait aller plus loin que les 30 ou 25 kilomètres qui étaient prévus au départ mais je doute que ça puisse être fait dans la mesure où la Russie va probablement mettre des limites », décrypte Joseph Bahout.

« Il pourrait y avoir une version remaniée de l’accord d’Adana (signé en 1998 entre Ankara et Damas et qui laisse aux Turcs un droit de regard en Syrie concernant le combat contre le PKK) », souligne Nawar Oliver.


(Lire aussi : Les Kurdes pleurent la fin du Rojava)



Est-ce la fin du Rojava ?

Après avoir conclu un accord avec le régime, qui s’est toujours montré intransigeant sur la question de leur autonomie, les Kurdes vont probablement devoir oublier leur rêve de Rojava, territoire de facto autonome dans le Nord syrien. Les Kurdes ont affirmé hier que l’accord avec Damas renvoie les discussions politiques à plus tard. Des informations circulaient toutefois sur les contours de cet accord, qui prévoirait la dissolution des Forces démocratiques syriennes (une coalition noyauté par le PYD) contre la participation active des Kurdes, avec un degré d’autonomie, au pouvoir en Syrie. « On parle d’une fusion des unités des SDF dans la 5e division syrienne, d’une décentralisation poussée qui serait inscrite dans des documents préconstitutionnels, d’arrangements sur le partage des ressources pétrolières et des revenus », confirme Joseph Bahout. Les Kurdes, longtemps opprimés par le régime Assad, n’ont toutefois aucune garantie que le régime, dont le clan monopolise le pouvoir, va accéder à ses demandes. « Les Kurdes ont des options limités. Ils sont dans une très mauvaise situation maintenant », explique Nawar Oliver.

Les Kurdes antirégime, ou ceux qui ont collaboré de près avec les Occidentaux pourraient également être mis en danger par le retour du régime. « Les personnalités les plus teintées, les plus compromises, devront quitter la région. Mais les personnes ayant travaillé avec les Américains pourraient être intégrées si elles prêtent allégeance au régime », dit Joseph Bahout.


(Lire aussi : À Qamichli, les chrétiens divisés, sauf face aux Turcs)



Les Américains ont-ils complètement abandonné la partie ?

Un responsable américain a indiqué hier à l’AFP que les quelque 1 000 soldats américains, qui étaient déployés dans le nord de la Syrie pour aider les forces kurdes dans leur combat contre le groupe État islamique (EI) ont reçu l’ordre de quitter le pays. Le retrait concerne « tous » les militaires déployés en Syrie, « sauf ceux se trouvant à al-Tanaf », une base contrôlée par quelque 150 soldats américains dans le sud de la Syrie. Les Américains ont, semble-t-il, déjà quitté leurs positions à Raqqa et à Deir ez-Zor. Les forces du régime se sont déployées hier aux abords des villes de Tabqa et de Aïn Issa. Dans la soirée, l’armée syrienne aurait patrouillé à Raqqa, l’ancienne capitale autoproclamée de l’EI, que les Kurdes avaient mis des mois à conquérir avec le soutien de la coalition internationale. « Le régime va très probablement reprendre Raqqa », souligne Joseph Bahout.

Du côté américain, le retrait a tout d’une débandade. Outre la question des jihadistes de l’EI (voir par ailleurs article « L’autre vainqueur potentiel de l’opération turque en Syrie »), les Occidentaux perdent, du fait de leur retrait, l’un de leurs principaux moyens de pression contre le régime. Il laisse le terrain aux Russes mais aussi aux Iraniens, dont l’administration Trump promet pourtant de diminuer l’influence dans la région, qui peuvent ainsi sécuriser leur corridor chiite qui relie Téhéran à la Méditerranée via l’Irak et la Syrie. Dans quelles conditions les Américains vont-ils rester à al-Tanaf ? Auront-ils les moyens de continuer de jouer un rôle dans cette région ? « La base d’al-Tanaf devait dissuader l’Iran et l’empêcher d’établir un pont terrestre avec le Liban. Si les forces américaines quittent le pays, alors cette mission est terminée », résume Steven A. Cook, expert auprès du think tank américain Council on Foreign Relations.


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commentaires (5)

Ottomans depuis plus d'un siècle ,l’offensive turque débutée le 9 octobre dernier en Syrie semble une nostalgie pour ce peuple qui veut gouverner le Moyen Orient de nouveau .

Antoine Sabbagha

13 h 46, le 15 octobre 2019

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Commentaires (5)

  • Ottomans depuis plus d'un siècle ,l’offensive turque débutée le 9 octobre dernier en Syrie semble une nostalgie pour ce peuple qui veut gouverner le Moyen Orient de nouveau .

    Antoine Sabbagha

    13 h 46, le 15 octobre 2019

  • Juste à l'instant je lisais une dépêche qui montrait photo/VIDEO à l'appui le croisement des troupes du héros Bashar qui VONT vers le front turc avec celui des amerloques du clown qui achèvent leur débandade en allant du côté opposé. Pas un signe entre eux , ignorance totale des vainqueurs et des vaincus . Une symbolique qui résume en fait la fin d'une invasion étrangère et la prise en main des forces du pays , de la région et du sous continent , avec l'appui des forces alliés, invitées par le RÉGIME LÉGAL ORIGINEL DE SYRIE. LA VÉRITÉ EST RÉTABLIE, COMME L'A ANNONCÉ POUTINE LE GÉNIE, LA SYRIE DE BASHAR MAÎTRE DES LIEUX EST SEUL HABILITÉ À RECEVOIR OU À REJETER SES INVITÉS, AU POINT OÙ IL DÉCLARAIT QUE LE JOUR OÙ LE GOUVERNEMENT SYRIEN DU HEROS VENAIT A DEMANDER AUX RUSSES DE PARTIR , ILS LE FERONT . Je suis abasourdi d'entendre que les occidentaux seraient seuls à faire ou défaire des pays qu'ils ont détruit, par e que ces mêmes occidentaux , par l'odeur allèché viendront supplier les vainqueurs de leurs donner quelques petits contrats . Le monde a évolué, le centre du monde s'est déplacé vers l'Asie.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 50, le 15 octobre 2019

  • Ni la Russie,ni l iran ,ni la Turquie n ont les moyens financiers de reconstruire la Syrie ....gagner la guerre ,c est une chose ..gagner la paix une autre....

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 22, le 15 octobre 2019

  • L,INVASION DE ER-DOG-ANE L,OTTOMAN EN SYRIE A BOULEVERSE TOUTES LES DONNES EXCEPTE UNE ET C,EST L,UNION DE TOUS LES PAYS DU MONDE CONTRE LA TURQUIE EXCEPTE LE MINI SULTA QATARITE QUI AURA SA PART AUSSI DES DEBOIRES TURCS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 24, le 15 octobre 2019

  • Et voilà que , grâce à l’armée turque ,le gouvernement syrien récupère petit à petit ses territoires ! On peut sûrement y discerner , dans l'ombre, la main de Poutine : Ne pas oublier que Poutine a sauvé Erdogan d’un coup d’état et lui est redevable ! Dans ce cas , oser trahir Poutine relèverait non seulement de l'ingratitude, mais peut-être aussi du suicide ! C’est que Poutine est sûr de lui.même . Et la seule bonne manière de "miser" sur lui , c’est en construisant avec lui (je ne parle pas d’opportunisme spéculateur). Quand l’Europe et les européens l’auront compris, ça ira mieux pour tous de ce côté-ci du monde.

    Chucri Abboud

    09 h 25, le 15 octobre 2019

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