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Culture - Théâtre

Noce bancale pour conjugalité branlante

Clôture du Festival du théâtre européen au Liban, au Madina, avec « al-Zifaf » de Bertold Brecht, en langue arabe, dans une traduction, une adaptation et une mise en scène signées Caroline Hatem.

« La Noce chez les petits-bourgeois » revit aujourd’hui dans une version libanaise de la jeune metteuse en scène, Caroline Hatem, et une kyrielle d’acteurs, tous allègres, talentueux et motivés. Photo DR

Sans distanciation (pour user d’un terme brechtien), entrons dans le vif du sujet. La Noce chez les petits bourgeois – une pièce de jeunesse de l’auteur de L’Opéra de quat’ sous donnée pour la première fois en 1926 au Schauspiel de Francfort, mais dont le texte n’est publié qu’en 1961, c’est-à-dire après sa mort en 1956 – revit aujourd’hui dans une version libanaise grâce à une jeune metteuse en scène, Caroline Hatem, et une kyrielle d’acteurs, tous allègres, talentueux et motivés.

En germe de cette œuvre en un seul acte, malgré le premier jet dramaturgique de Bertold Brecht, voici la dénonciation des abus sociaux et la ligne d’un expressionnisme allemand (ici raboté un peu à l’image d’un profil libanais) pour un cri de révolte et les ingrédients d’un théâtre appelé « épique » ou « dialectique ». Juste l’opposé du théâtre classique qui se développe dans une atmosphère d’illusions…

À travers un verbe qui ne craint pas l’acidité et des situations peu conventionnelles qui sont presque un déballage outrageant, sont posés les premiers jalons d’un théâtre révolutionnaire marxiste. Pour venir au secours de cette leçon politique et la technique de la distanciation (eh oui, déjà !) et renflouer les deux, un puissant lyrisme créateur et l’utilisation de la musique. Ah ! les sémillantes notes de Kurt Weill dans les textes d’origine, mais ici la musique porte l’empreinte de Rami al-Jundi et Dya’ Hamza sagement assis dans un coin de la scène avec percussion, accordéon, harmonica. Ils ponctuent les moments forts de tonalités orientalisantes prestement enlevées qui ne manquent guère de piquant et encore moins de charme ou de séduction. En exemple, cette extravagante ouverture de la piste de danse où tout le monde se trémousse et fait une nouba désespérée : on se serait cru dans Underground de Kusturica !

Quand la façade se lézarde

Très brechtien, ce décor adroitement agencé avec une table rustique en bois au couvert soigneusement dressé pour un banquet. Arrivent en cortège les mariés, la famille et les amis. Et le tableau à peine entamé craquelle comme un maquillage qui coule.

Non, tout le monde est loin d’être aimable et gentil malgré son aspect endimanché et asticoté ! La façade se lézarde vite.

Le marié a, de ses mains, confectionné (avarice ou incompétence ?) le mobilier qui va se briser comme un miroir qui vole en éclats. Y compris la table des ripailles qui sera estropiée ! La mariée est enceinte sous ses voiles blanches et cache sa honte ! Les copains, avec ou sans verre d’alcool, ouvrent le feu de leur méchanceté, lâchent leurs secrets mesquins et dévoilent leurs pulsions sexuelles les plus éhontées les uns envers les autres. La noce sombre alors dans le carnage et tourne au cauchemar. Devant les yeux ahuris de tous, un déballage qui a toutes les allures d’un jeu de massacre.

Mais cela n’empêche pas les jeunes époux, une fois les convives partis ou congédiés, malgré invectives et récriminations, de batifoler joyeusement dans un lit qui va se casser tout comme les chaises, le banc, le placard de l’armoire…

Le casting des acteurs est irréprochable, et le jeu des comédiens, où nul n’a la vedette (comme le souhaitait Brecht), est habilement mené. Les spectateurs, sans être complices ou juges, entrent dans cette danse cruelle et en rient de bon cœur. L’objectif brechtien pour ce tableau de conjugalité branlante et de cette noce bancale (image parfaitement universelle) est atteint. Si l’auteur de L’exception et la règle amuse, distrait, moque, il donne aussi à réfléchir, avec un humour décapant et cannibale, car il raconte plus qu’il n’incarne…

Sans nul doute, pour cette pièce relativement courte (une heure), tout à fait dans le style et l’esprit brechtiens, et où la langue arabe est un atout savoureux de plus par ses choix de vocables, d’interjections et de formulations populaires, il s’agit d’un des meilleurs moments de théâtre de ce festival européen voué à l’aire scénique de qualité. Et sans forfanterie ni narcissisme patriotique, par-delà tous les incroyables déboires et handicaps du pays du Cèdre, le théâtre a toujours un air de triomphe (ce soir-là, la salle était comble !), même quand il est en compétition avec les productions étrangères. Grâce aux jeunes, à leur ténacité, à leur courage et à leur talent, le théâtre au Liban, quoi qu’on en dise, est encore bien vivant et porte le flambeau haut.

Fiche artistique

Traduction en arabe, adaptation et mise en scène : Caroline Hatem

Acteurs : Mohammad Akil, Maguy Badaoui, Ehab Chaabane, Mohammad Dayekh, Yara Abou Haïdar, Jessy Khalil, Hassan Naboulsi, Angelina Sarkissian, Joseph Akiki

Musique : Rami al-Jundi et Dya’ Hamza

Scénographie numérique : Firas el-Hallak

Éclairage : Rayan Nihaoui

Costumes : Nour Domloje

Directeur de la photographie : Damoun Ghaoui

Ingénieur du son : Mohammad Farhat

Supervision : Christopher Kondek (Allemagne).

Sans distanciation (pour user d’un terme brechtien), entrons dans le vif du sujet. La Noce chez les petits bourgeois – une pièce de jeunesse de l’auteur de L’Opéra de quat’ sous donnée pour la première fois en 1926 au Schauspiel de Francfort, mais dont le texte n’est publié qu’en 1961, c’est-à-dire après sa mort en 1956 – revit aujourd’hui dans une version libanaise...

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