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Moyen Orient et Monde - Entretien express

Les menaces US pourraient être contre-productives

Pinar Tank, chercheuse à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO) et spécialiste de la Turquie, analyse les répercussions de l’offensive turque sur les relations avec les États-Unis.


Le président américain, Donald Trump, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, lors de l’ouverture du sommet de l’OTAN, le 11 juillet 2018 à Bruxelles. Geoffroy Van der Hasselt/AFP

Le Congrès américain va faire « payer très cher » à la Turquie son offensive, baptisée « Source de paix », dans le Nord-Est syrien pour déloger les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), ont prévenu hier des sénateurs républicains comme démocrates, affirmant être en train de « finaliser » un texte pour imposer des sanctions. Plus virulent encore, l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, qui soutient d’ordinaire Donald Trump mais l’accuse d’avoir « honteusement abandonné » les Kurdes, a promis des « sanctions infernales », « de grande ampleur, draconiennes et dévastatrices », contre l’économie et l’armée turques. Il a aussi annoncé qu’il demanderait la suspension de la Turquie de l’OTAN.

Interrogée par L’Orient-Le Jour, Pinar Tank, chercheuse à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO) et spécialiste de la Turquie, décrypte les répercussions de l’opération sur les relations entre Washington et Ankara.


Pourquoi Donald Trump a-t-il donné un feu vert implicite à son homologue turc pour agir dans le Nord-Est syrien ?

Les relations entre Ankara et Washington sont tendues depuis leur désaccord au sujet de l’achat de missiles S-400 russes par la Turquie et son exclusion du programme de développement de l’avion de combat américain F-35. Donald Trump avait imputé l’achat des S-400 par la Turquie au refus de (l’ancien président américain) Barack Obama de vendre des missiles Patriot. La décision de Trump de laisser la Turquie entrer dans le Nord-Est syrien, en retirant les troupes américaines de cette zone, aurait pu être un effort fourni personnellement par le président américain pour réparer sa relation avec son homologue turc. La Turquie milite pour sa part depuis plus d’un an pour l’établissement d’une « zone de sécurité » ou d’un « couloir de la paix », à la fois pour affaiblir la présence kurde dans le nord-est de la Syrie et pour trouver une solution au problème de réfugiés. La politique du Parti de la justice et du développement (le parti du président Erdogan) sur la Syrie, et en particulier l’accueil de 3,6 millions de réfugiés, est profondément impopulaire en Turquie. Erdogan a besoin de résoudre cette crise pour reconquérir ses électeurs d’ici à l’élection de 2023. En ce sens, la décision de Trump aurait été très populaire auprès d’Erdogan.


Comment l’opération turque en Syrie pourrait-elle affecter les relations entre Ankara et Washington ?

Le contrecoup de la décision, qui a suscité de nombreuses critiques dans l’ensemble des cercles politiques, a amené Trump à adopter une position défensive. Après son feu vert implicite, il a lancé de lourdes menaces à Ankara, l’avertissant qu’il détruirait l’économie turque si Ankara entreprenait des actions « hors limites ». Le type d’actions que cela implique n’est pas clair car Erdogan a maintes fois répété que son objectif est d’entrer dans le Nord-Est pour créer une zone de sécurité en délogeant les Forces démocratiques syriennes menées par les Kurdes. Cette apparente incompréhension entre les deux dirigeants et les nombreuses critiques des législateurs, des milieux politiques et de l’armée américaine, qui considèrent les actions de Trump comme une trahison d’un allié, risquent d’aggraver un peu plus les relations entre Ankara et Washington dans les prochaines semaines.


(Lire aussi : À la frontière syro-turque, « c’est la panique générale »)



Compte tenu des déclarations contradictoires issues de l’administration américaine, dans quelle mesure la Turquie prend-elle les avertissements américains au sérieux ?

Initialement, il avait été rapporté que la Turquie ne prendrait aucune mesure avant une réunion entre Trump et Erdogan en novembre, suggérant qu’il y avait peut-être de la place pour des négociations afin d’empêcher la chute libre à laquelle nous assistons maintenant. Cependant, Erdogan a décidé d’agir rapidement pour tirer avantage du feu vert de Trump, craignant peut-être une répétition du scénario de décembre 2018 lors du retrait du feu vert américain (pour intervenir à l’est de l’Euphrate). Du point de vue militaire, il est aussi plus difficile de mener une opération terrestre sur ce terrain en hiver.

En ce qui concerne les avertissements, il convient de mentionner que la Turquie a une forte culture nationaliste, aussi bien au sein de la droite conservatrice que dans les milieux laïcs. Le gouvernement actuel a une base nationaliste forte et un partenaire issu de la droite, le Parti d’action nationaliste (MHP). Les menaces américaines pourraient être contre-productives et engendrer une mobilisation des soutiens à Erdogan ou en faveur d’une intervention militaire. Bien que la menace des sanctions économiques soit très réelle, le gouvernement actuel pourrait s’en servir, jouer la carte d’un sentiment anti-occidental et plaider en faveur d’une politique étrangère plus autonome.


Quel élément pourrait être un point de rupture de l’alliance stratégique entre les deux pays ?

Cela repose sur un grand nombre de variables incertaines et de scénarios hypothétiques. Et, bien entendu, les acteurs de l’OTAN essaieront d’intervenir en tant que médiateurs pour réparer une relation qui, dégradée, affaiblit l’Alliance atlantique. Il y a deux variables-clés incertaines : deux dirigeants populistes qui défient toute analyse rationnelle, qui n’écoutent pas leurs conseillers politiques et qui déclenchent des séries d’événements répondant à leur propre logique. Cependant, une chose reste importante dans le contexte turc : la perception positive de l’OTAN par l’opinion publique et le souhait de rester au sein de l’Alliance. Selon un sondage, 60 % de la population turque soutient l’appartenance turque à l’OTAN, soit autant que ceux qui considèrent les États-Unis comme la principale menace pour la Turquie. L’OTAN continue d’ancrer la politique de sécurité de la Turquie et fournit un parapluie de sécurité que les Turcs souhaiteraient maintenir. Cependant, du point de vue américain, il y a beaucoup de colère dirigée contre la Turquie pour le moment.


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commentaires (5)

La Turquie est habituée aux genocides

Eleni Caridopoulou

22 h 35, le 10 octobre 2019

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Commentaires (5)

  • La Turquie est habituée aux genocides

    Eleni Caridopoulou

    22 h 35, le 10 octobre 2019

  • LE SILENCE ET LE FEU VERT AU GENOCIDAIRE DES KURDES ERDO SONT CONTRE PRODUCTIFS. CE TYPE VA ALLUMER UNE GUERRE REGIONALE... A MOINS QUE L,AMERIQUE C,EST CA QU,ELLE VEUILLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 26, le 10 octobre 2019

  • La dernière excuse du clown c'est de dire que les kurdes n'ont pas aidé les alliés en 1945 contre les nazis allemands. Par contre les turcs les ont aidé..lollll.. Vous comprenez comment stupidité et mauvaise foi peuvent faire bon ménage. Lol .

    FRIK-A-FRAK

    08 h 38, le 10 octobre 2019

  • Un sentiment de déjà vu, April Glaspie qui donne le feu vert à Saddam Hussein pour envahir l’Irak, Trump qui offre un sauf conduit implicite à Erdogan pour en finir avec les Kurdes. Glaspie a été Renversée par un voiture, Trump sera t’il écrasé par un train? Georges Tyan

    Lecteurs OLJ 3 / BLF

    07 h 31, le 10 octobre 2019

  • En fait le clown ( et toute la classe politique us, de qui on se fout ? ) autorise er-dog-ane à mordre dans le cake, mais pas trop. Allegria ma non tropo.. lol...

    FRIK-A-FRAK

    07 h 27, le 10 octobre 2019

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