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Moyen Orient et Monde - Grand angle

Ces huit hommes d’affaires qui se partagent le gâteau syrien

Enquête sur les nababs montants ou sur le déclin et comment le régime les fait et défait.

Illustration Ivan Debs

28 septembre 2019, Damas. Dans une mise en scène bien orchestrée, une brochette de grands hommes d’affaires se réunit, alors que la nuit tombe, dans une salle de conférences à l’ambiance feutrée de l’hôtel Sheraton. Autour du président de la Banque centrale, Hazem Karfoul, ils jurent, la main sur le cœur et face à la caméra, de soutenir l’économie et surtout la livre syrienne, à son plus bas niveau depuis le début de la guerre. Parmi eux, cinq nouveaux riches inconnus ou presque avant 2011 : Houssam et Baraa Katerji, Wassim Qattan, Mohammad Hamcho et Samer Foz. Cinq nababs qui ont fait fortune grâce à la guerre. Cinq hommes qui forment la nouvelle élite économique du pays. Dans une Syrie en ruine, où six habitants sur dix sont en situation d’« extrême pauvreté » selon la Banque mondiale, une poignée d’hommes ont, sous le fracas des canons et de la mitraille, mis la main sur les secteurs les plus importants de l’économie. « Ils contrôlent tout, c’est une mafia », résument à L’OLJ plusieurs sources syriennes et libanaises. « C’est une nouvelle classe d’hommes d’affaires véreux qui a émergé durant la guerre », confirme un diplomate arabe ayant requis l’anonymat, comme la majorité des personnes interrogées pour cet article.

Ils sont huit, désormais, à se partager le gâteau syrien. Aux cinq noms précités, il faut ajouter Tarif Akhras, Nader Qalei et bien sûr le « roi de la Syrie », Rami Makhlouf, le célèbre cousin de Bachar el-Assad, le seul alaouite parmi cette nouvelle nomenklatura sunnite.

Tous ont un lien direct avec le régime, condition sine qua non pour naviguer dans les eaux troubles du commerce et de l’industrie. « En Syrie, on a l’habitude de dire que ce n’est pas le régime qui dépend de l’économie, mais l’économie qui dépend du régime », explique Ziad*, un opposant politique réfugié en Turquie. « Tout est sous le contrôle de la famille Assad. Les autres sont des paravents », renchérit Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), contacté via WhatsApp. La politique est omniprésente dans la sphère économique mais personne n’en parle. « En Syrie, c’est l’omerta. Je n’ai jamais entendu parler de politique lorsqu’on signait des contrats », raconte Samer*, un businessman libanais, qui, avant la guerre civile, commerçait avec des entreprises appartenant à Rami Makhlouf. « Quand je demandais à des hommes d’affaires syriens quel était leur business plan, ils riaient avant de répondre : “on connaît untel” », confie un ancien diplomate occidental.



(Lire aussi : Le torchon brûlerait-il entre Assad et des hommes d’affaires syriens ?)




Tombés en disgrâce
Quand Bachar el-Assad accède au pouvoir à la mort de son père en 2000, une classe d’hommes d’affaires émerge avec la libéralisation économique du pays. Des « nouveaux riches » qui rivalisent avec la bourgeoise d’affaires de la capitale et d’Alep, le poumon économique du pays. Onze ans plus tard, la guerre va redessiner le paysage. Sur la photo du Sheraton, quatre des cinq personnalités citées n’étaient même pas dans le circuit avant 2011. À la Chambre de commerce d’Alep, seule une petite minorité d’anciens siège encore au conseil.

Des grandes fortunes syriennes ont fui le pays avec leurs capitaux, d’autres ont vu leurs biens saisis par l’État. « Parmi l’ancienne classe d’hommes d’affaires damascènes, pas mal de personnes ont été mises sous sanctions et ont perdu progressivement leur importance comme relais ou intermédiaires au bénéfice du régime. Certains, aussi, ne sont plus en odeur de sainteté à Damas, comme Imad Ghreiwati, qui vit désormais à Dubaï », explique Jihad Yazigi, économiste et rédacteur en chef de The Syria Report. En 2013, l’État saisit les biens de l’éminent homme d’affaires, alors président de la Fédération des Chambres de commerce syriennes, en raison, dit-on, de ses réticences à soutenir la répression brutale des protestataires. Quelques années plus tard, son usine spécialisée dans les câbles est rachetée à vil prix par Samer Foz. Contacté par L’OLJ, Imad Ghreiwati n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Autre exemple parmi les oligarques déchus : le roi du textile, Sabbagh Charabati, l’une des plus grosses fortunes alépines, a financé sous la contrainte, au début de la guerre, les terribles chabbiha, managés par Rami Makhlouf. « En 2016, il refuse de continuer à payer, quitte le pays et ouvre la plus grande usine de textile de toute l’Afrique, en Égypte », poursuit Jihad Yazigi. Depuis, les grandes familles fortunées qui sont restées en Syrie, ou qui vivent dans les pays voisins sans toutefois couper les ponts avec Damas, font profil bas. « Nous n’apprécions pas ces nouveaux venus comme Foz ou les Katerji, mais nous devons vivre avec, afin de préserver nos biens », confie Malek*, un riche alépin. « Ils ont volé notre pays, ôté le pain de la bouche des enfants, c’est une bande d’escrocs disséminés à travers le territoire… ».

Samer Foz, le transporteur de Moz (bananes en arabe), Rami Makhlouf, la pompe à massrouf (dépenses), les frères Katerji, l’un député, l’autre trader… Des activistes prorégime font circuler depuis une semaine une vidéo parodique sur l’air de Bella Ciao, où ils accusent tour à tour les profiteurs de guerre d’avoir « détruit la livre » et « vidé les poches des Syriens ». « Nous te supplions, ô docteur (Bachar) » de tout faire pour « rendre l’argent au peuple », conclut le clip. « Cela rappelle la phrase qu’on entendait en Syrie au début de la révolution : Bachar est bon, ceux qui gravitent autour de lui sont mauvais », rappelle à L’Orient-Le Jour Joseph Daher, opposant syrien, maître enseignant de recherche à l’Université de Lausanne et professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence. Ruiné, l’État cherche à reprendre la main sur le champ économique trop longtemps laissé aux « soins » des businessmen. Ces dernières semaines, des rumeurs ont circulé sur la mise au pas de plusieurs grosses pointures, dont Rami Makhlouf, sur fond de lutte contre la corruption. « Le régime orchestre un montage digne du cinéma pour faire croire qu’il redresse ces gens-là, alors qu’ils sont tous de connivence », fustige l’homme d’affaires alépin. Même s’il se dit, à Damas, que d’importantes sommes auraient été reversées à l’État, il est peu probable que Bachar el-Assad veuille la peau de son principal soutien financier. Le cousin a néanmoins subi des pressions. La gestion de Syriatel, l’une des deux compagnies de téléphonie mobile et véritable pompe à fric, a été transférée à des individus directement sélectionnés par le palais présidentiel et non plus choisis par Rami Makhlouf. « Dans les journaux officiels, c’est la même rengaine. L’État prétend s’attaquer à la corruption en pourchassant les financiers qui ne sont pas assez “nationalistes”, c’est-à-dire ceux qui ne participent pas suffisamment aux efforts de guerre. Mais tous les contrats officiels de Rami Makhlouf, ça c’est de la vraie corruption », explique Joseph Daher.



(Lire aussi : Face à la dégradation de l’économie, Assad tente de reprendre la main)




Le « roi de la Syrie »
Étranglée par les sanctions occidentales, l’économie syrienne se voit dans le même temps pillée par les deux parrains du régime, l’Iran et la Russie, qui ont largement investi dans l’effort de guerre et qui veulent désormais leur part du gâteau. Les deux pays mettent le grappin sur des secteurs économiques vitaux comme le pétrole, le gaz, le phosphate, les aéroports et les ports. « L’actuel bras de fer se joue plutôt entre les Russes et les Iraniens qu’entre Assad et Makhlouf », estime le directeur de l’OSDH. Les caisses de l’État sont vides. Le coût de la reconstruction est estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars. Alors le régime va chercher l’argent dans la poche des Syriens. « Depuis plusieurs mois, les hommes d’affaires syriens me confient que le régime les pressure de façon invraisemblable. Descentes dans les entreprises et vérification des ordinateurs, nouveaux impôts, droits de douane... Ils inventent de nouvelles réglementations, comme autant de moyens détournés pour trouver de l’argent », assure l’ancien diplomate occidental.

Les mamamouchis de la finance ont moins de souci à se faire. Une bonne part de leur fortune fructifie déjà dans des coffres aux Émirats ou à Saint-Kitts.

Mais le symbole ultime de l’appartenance à cette nouvelle noblesse d’État tient dans le fait d’être partenaire dans le dernier grand projet, Marota City. « C’est sans conteste le club des profiteurs de la guerre », résume Jihad Yazigi. En 2012, un décret présidentiel expulse sans sommation les habitants des quartiers pauvres de la banlieue de Damas, pour faire la place à ce projet immobilier et commercial haut de gamme. Les plans de ce petit Dubaï jurent avec les images des villes dévastées. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, Samer Foz, les Katerji, mais aussi Nader Qalei, un ancien employé de Rami Makhlouf, d’investir dans le projet. « C’est à ce moment que nous avons compris qu’ils prenaient le pouvoir », explique Ziad*, un activiste de l’opposition. Juin 2002. Le soleil tape fort sur Alep. Une équipe de tournage s’affaire. Sous le regard ahuri des badauds, une séquence du spot télévisé de Syriatel est sur le point d’être tournée dans le vieux souk de la ville. Assis sur une chaise pliante, Rami Makhlouf suit du regard le ballet incessant des réalisateurs espagnols et libanais, des techniciens, maquilleurs et figurants. Deux ans plus tôt, le cousin germain de Bachar el-Assad avait lancé la première compagnie de téléphonie mobile. Le marché est colossal. « Syriatel est la vache à lait de l’empire commercial Makhlouf. S’il en perdait le contrôle une fois pour toutes, sa position de premier homme d’affaires du pays serait révolue », écrit The Syria Report. « Syriatel et son maître symbolisaient la corruption avec un grand “C”. En 2011, les gens recevaient des textos sur leur portable les sommant de ne pas participer aux manifestations », se rappelle Ziad. Les bureaux de l’entreprise seront incendiés, alors que la rue scande « Makhlouf voleur ». Le 16 juin 2011, il annonce se retirer des affaires pour ne faire que du… caritatif. La manœuvre ne trompe personne. Avec une armée d’avocats à ses côtés, il monte de nombreuses sociétés écrans qu’il confie à des prête-noms. L’association caritative al-Boustan, créée pour venir en aide à la veuve et l’orphelin, servira entre autres à financer les chabbiha. « Makhlouf, c’est la banque des Assad », résume Ziad. Tout est fait avec l’aval des Assad et pour les Assad. Dans les journaux de l’opposition, une caricature montre un Syrien feuilletant les encarts publicitaires d’un bottin téléphonique : Pizza Makhlouf, agence de voyage Makhlouf, taxis Makhlouf, hôtel Makhlouf et ainsi de suite. « Rami Makhlouf avait ses mains partout bien avant 2011, et il était dans chacun des grands contrats qui se signait en Syrie », assure Joseph Daher.

À l’époque des tentatives de réconciliation entre Paris et Damas, en 2008, les entreprises françaises sont discrètement avisées de ne pas s’acoquiner avec ce personnage sulfureux. Mais lors d’un dîner à Damas en présence de Luc Châtel, alors secrétaire d’État à l’Industrie et porte-parole du gouvernement, l’oligarque syrien se fait on ne peut plus clair : aucun accord commercial entre les sociétés françaises et l’État ne se fera sans lui.

Avec une fortune estimée à 5 milliards de dollars, « M. 5% » comme on le surnomme parfois, en référence au montant de sa commission sur chacun des gros contrats signés en Syrie, continue de manœuvrer habilement en dépit des sanctions internationales, tondant un peu plus la laine sur le dos des gens. Un vrai requin dans la peau du gendre idéal. « Rami faisait minable, ce n’était pas du tout quelqu’un d’impressionnant, son père l’était bien davantage. C’était lui la personnalité du clan », confie l’ancien diplomate occidental. Mohammad Makhlouf, le frère d’Anissa, la mère de Bachar, s’était vu confier par Hafez la gestion de la fortune familiale et l’éducation de ses enfants. « Makhlouf est intouchable à cause de ses liens du sang », appuie Malek, l’homme d’affaires alépin.


Le challenger
Si Makhlouf était le « poster boy de la corruption » des années 90/2000, Samer Foz peut aujourd’hui prétendre au titre. Les cheveux grisonnants peignés en arrière, le teint et les yeux clairs, l’allure svelte dans des costumes chers… À 46 ans, cet homme issu de la petite bourgeoisie sunnite de Lattaquié a tout d’un méchant dans un film de James Bond. Au Sheraton, ce samedi soir de septembre, il annonce, grand prince, verser 10 millions de dollars à l’État. Une goutte d’eau en comparaison de la fortune de celui qui a su, ces dernières années, mener sa barque comme personne. « On dit souvent que Samer Foz est un personnage plus important dans la nomenklatura politique que Rami Makhlouf. C’est devenu quelqu’un de très influent, alors que le second se fait moins visible », confie un diplomate arabe.

En juin dernier, le Trésor américain le place sur sa liste noire des sanctions, l’accusant d’avoir « converti les atrocités du conflit syrien en lucratifs profits ». Avant 2011, Samer Foz est à la tête d’une petite entreprise spécialisée dans le béton, héritée de son père. Mais il aspire à un empire. Aujourd’hui, il a la main sur les secteurs de la câblodistribution, de la gestion hôtelière, de la pharmaceutique, du montage et de la distribution de voitures, de l’immobilier, de l’importation et du commerce de céréales et de matériaux de construction. « Samer Foz a joué un rôle d’intermédiaire important, surtout dans l’achat et la vente de blé avec la Russie. L’opposition l’accuse d’être l’homme des Iraniens. Mais, en réalité, il est proche de tous ceux qui peuvent servir ses intérêts », explique Joseph Daher. Nader Qalei est, quant à lui, un revenant. Ancien de Syriatel, ce Damascène s’est fait oublier quelques années au Canada après une brouille avec son puissant patron, avant de revenir dans ses grâces. Il n’est alors pas encore sous sanctions internationales et peut donc servir d’homme de paille, en vue de nouveaux investissements. Mais sa trop grande proximité avec le régime et son cercle va le rattraper. En 2018, la justice canadienne l’accuse d’évasion fiscale mais surtout d’avoir investi en Syrie en 2013, en dépit des sanctions économiques canadiennes contre ce pays. Contactée, l’ambassade canadienne à Beyrouth n’a pas souhaité faire de commentaire sur ce dossier. En 2019, l’Union européenne place Nader Qalei, en même temps que plusieurs de ses compatriotes, dont Samer Foz et les frères Katerji, sous sanctions.

Pas de quoi effrayer Houssam Katerji. « L’homme a grimpé l’échelle sociale à une vitesse folle. Il est est devenu l’un des hommes forts du pays », confie un homme d’affaires libanais. Petits-fils de berger, originaires de Raqqa, les frères Katerji, Houssam et Baraa, petits commerçants installés à Alep, vont devenir des as de la contrebande entre le régime et les zones occupées par l’opposition. « C’est la principale caractéristique de ces nouveaux venus : ils sont des intermédiaires », explique Joseph Daher. Chevelure d’ébène et petite moustache, Houssam Katerji, 37 ans, porte des costumes bariolés mal taillés et semble sortir tout droit d’une mauvaise sitcom turque des années 90. Grâce à son important réseau dans le Nord-Est syrien et son habilité à soudoyer les milices armées, il prend la tête de la plus grande filière de contrebande de pétrole brut, de mazout et d’essence des zones contrôlées par les Forces démocratiques syriennes (FDS, à majorité kurde) vers les zones gérées par les forces du régime. « Katerji a créé une compagnie de sécurité privée pour soi-disant protéger ses cargos. Beaucoup de businessmen font ça, et c’est ce que beaucoup ont fait au Liban après la guerre civile », explique Joseph Daher. Houssam Katerji se remplit les poches en rendant « service » au régime et s’en voit récompensé en obtenant un siège au Parlement lors des élections de 2016. Un an plus tard, Reuters confirme un secret de Polichinelle : le régime syrien a fait des affaires avec le groupe jihadiste État islamique, notamment en achetant du blé des régions sous leur contrôle par l’entremise des Katerji.


Crime crapuleux
Ce que les Assad ne peuvent faire eux-mêmes, ils le font faire par d’autres. Mohammad Hamcho a, lui, été envoyé par Maher el-Assad, le frère du président, pour signer des contrats pétroliers avec l’Irak de Saddam Hussein alors sous sanctions internationales. Comment ce sunnite, fils de petit fonctionnaire, a-t-il pu se rapprocher au plus près des arcanes du pouvoir et ainsi bâtir sa fortune? Cela reste un mystère. Au-delà d’une passion partagée avec Maher el-Assad pour les pur-sang arabes, Hamcho a probablement rencontré et travaillé avec les bonnes personnes au bon moment, jusqu’à gagner la confiance du frère du président. Il deviendra d’ailleurs le beau-frère de Maher. « J’ai croisé Hamcho un jour dans une mosquée de Damas et il m’a été présenté. Il m’a paru assez terne, pas brillant », confie l’ancien diplomate occidental.

Les petits trafics de l’homme d’affaires si bien connecté ne vont pas rester secrets très longtemps, puisqu’un an après Rami Makhlouf, soit en 2009, il est placé sur la liste noire du Trésor américain et, en 2011, sur celle de l’UE. Le groupe Hamcho détient des intérêts dans la fabrication de matériaux métalliques, la distribution de matériel de construction, de machines électriques et chimiques, dans la distribution d’eau, de pétrole et de gaz, de produits pétrochimiques, de projets immobiliers et d’infrastructures. Le businessman accumule les titres, de député et de secrétaire de la Chambre de commerce de Damas, autant que les activités illicites. Dans les usines qu’il possède en Chine, il fond et transforme le métal récupéré dans les décombres des immeubles détruits par les bombardements en Syrie. Les activités de Maher el-Assad, qu’on dit proche des Iraniens, n’ont pas manqué d’attirer d’autres figures opportunistes. Assis derrière son bureau en bois brun laqué, Wassim Qattan pose en polo Ralph Lauren noir pour un magazine syrien, en 2018. À sa gauche, dans un cadre, une photo de Maher en uniforme militaire. Comme d’autres, ce diplômé de la faculté des beaux-arts de l’université de Damas, a subitement développé une appétence particulière pour les affaires. Et réussi à amasser une fortune. Propriétaire d’une boulangerie et d’une galerie de meubles, il crée la surprise en remportant d’importants contrats pour le développement de Qassioun Mall, à Barzé, un quartier de Damas. « Comme c’est un ancien de Syriatel, il est très probable qu’il soit un faux-nez de Rami Makhlouf dans cet investissement dans des centres commerciaux, qui s’apparentent à du blanchiment d’argent », affirme Élias*, un businessman libanais.

Tarif el-Akhras, lui, n’aime pas le bling-bling. « C’est quelqu’un d’extrêmement sympathique et de drôle. Son problème est qu’il est très avare », déplore Élias. Une tare certaine au royaume du bakchich. Mais l’homme n’est pas n’importe qui. « Akhras a un accès direct à Bachar, il ne passe pas par les autres », confirme Jihad Yazigi. L’homme d’affaires de 68 ans est le cousin de Fawaz el-Akhras, père d’Asma el-Assad. Il est le plus grand importateur de matières premières, notamment de sucre et de blé d’Ukraine et de Russie, et il préside la Chambre de commerce de Homs. Lorsque ses usines à Alep ont brûlé en 2012, il n’a pas pu être remboursé par son assureur Lloyd’s de Londres parce qu’il avait été placé sous sanctions internationales quelques mois plus tôt. « Contrairement à d’autres, Akhras ne finance pas directement le régime », estime Élias. Le 27 septembre dernier, le véhicule du fils du Homsiote, Merhef, est retrouvée à Brital, dans la Békaa libanaise, « le paradis des voitures volées », dans des circonstances suspectes. Le quadragénaire, qui vit au Liban depuis trois ans, est porté disparu. Quelques heures plus tard, il réapparaît. Les autorités locales évoquent un enlèvement tout en restant évasives. « Tarif el-Akhras est quelqu’un de tellement puissant et de connecté, qu’il est très possible que le régime soit derrière l’enlèvement de son fils. Quelle milice ou mafia oserait s’attaquer à un homme de cette envergure, surtout au Liban ? » interroge l’homme d’affaires libanais. D’autres estiment qu’il s’agissait d’un enlèvement crapuleux. « Si le régime voulait vraiment l’enlever, pourquoi ne pas l’avoir fait en Syrie », nuance Jihad Yazigi.

Le régime a fait chacun de ses hommes et peut les défaire à tout moment. « De nouveaux noms vont émerger, des anciens chefs de milice qui ont accumulé des fortunes durant la guerre et qui vont de plus en plus investir, de manière formelle, dans l’immobilier, les banques, le tourisme », estime Joseph Daher. Telle est finalement la réalité de la Syrie depuis plusieurs décennies : les élites passent, les Assad restent.

*Les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité



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28 septembre 2019, Damas. Dans une mise en scène bien orchestrée, une brochette de grands hommes d’affaires se réunit, alors que la nuit tombe, dans une salle de conférences à l’ambiance feutrée de l’hôtel Sheraton. Autour du président de la Banque centrale, Hazem Karfoul, ils jurent, la main sur le cœur et face à la caméra, de soutenir l’économie et surtout la livre syrienne,...

commentaires (8)

Gavés de sang humain...

Christine KHALIL

08 h 19, le 06 octobre 2019

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Commentaires (8)

  • Gavés de sang humain...

    Christine KHALIL

    08 h 19, le 06 octobre 2019

  • Si seulement nous pouvions avoir le même éclairage pour le Liban...!

    LeRougeEtLeNoir

    13 h 32, le 05 octobre 2019

  • Merci pour cet éclairage des dessous mafieux d’un régime...

    LeRougeEtLeNoir

    13 h 23, le 05 octobre 2019

  • Trop long lassant,j'ai pas eu la patience de lire tout l'article. Une perte de temps inutile. cordialement

    Le Point du Jour.

    12 h 12, le 05 octobre 2019

  • Donc si je comprend bien...tous les jeunes libanais du hezb sont morts pour enrichir ces 8 individus....j'espere que les familles de ces martyrs ne lisent pas cet article ...c tellement triste

    Houri Ziad

    11 h 41, le 05 octobre 2019

  • Comme toujours des nouveaux riches émergent après toute guerre civile , certains disparaissent et d'autres survivent pour quelques décennies .

    Antoine Sabbagha

    10 h 12, le 05 octobre 2019

  • Tout Ça n'arrivera pas au niveau de la séquestration/torture de l'héritier bensaoud sur ses demi-frères et cousins.

    FRIK-A-FRAK

    00 h 22, le 05 octobre 2019

  • CHEZ NOUS C,EST PAREIL MAIS AVEC UN PEU PLUS DE HUIT MAFIOSOS. NOUS SOMMES PLUS ORGANISES... NOUS AVONS ALI BABA ET SES VOLEURS MEME SI LEURS NOMBRE DIFFERE DE CEUX DE L,ALI BABA HISTORIQUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 17, le 05 octobre 2019

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