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Liban - Lutte contre la corruption

Accès à l’information : Y a-t-il une volonté officielle d’appliquer la loi ?

Ce texte n’a nul besoin de décrets d’application pour entrer en vigueur : sa quasi-non-application est un indicateur de mentalités qui tardent à évoluer, conclut une conférence de la Lebanese Transparency Association.

De gauche à droite sur la tribune, l’ancien député Ghassan Moukheiber, le député Georges Okais, la juge Mireille Abboud, représentant le ministère de la Justice, et le modérateur Julien Courson. Photo LTA

Près de trois ans après l’adoption de la loi sur le droit de l’accès à l’information, une conférence en présence d’un nombre de responsables et d’experts s’est tenue hier pour débattre des « perspectives et défis de son application »… preuve qu’elle est encore bien peu appliquée.

La conférence, visant à décrypter ce qui entrave encore la mise en application effective de ce texte si fondamental pour la lutte contre la corruption, était organisée par la « Lebanese Transparency Association » (LTA), en coopération avec le ministère du Développement administratif (Omsar, qui travaille activement à cela), et le bureau national de l’Unesco.

Le débat a porté sur plusieurs initiatives parallèles visant à renforcer l’application de cette loi, notamment un plan d’action en dix points (dans le cadre d’Omsar), une proposition de loi pour l’amendement de cette loi (dans l’objectif d’apporter des clarifications qui en faciliteront la mise en place) et un projet de décret d’application, encore bloqué à la présidence du Conseil des ministres.


(Lire aussi : Accès à l’information : la plupart des administrations publiques ont échoué au test)



Le décret d’application ? Un prétexte

« Il faut commencer par préciser que la loi n’a pas besoin de décrets pour entrer en application, sauf en cas de besoin de clarifications, dans des cas très limités, affirme à L’Orient-Le Jour Mosbah Majzoub, membre du conseil d’administration de la LTA. Cette loi est déjà entrée en vigueur, et la question des décrets est utilisée comme prétexte pour ne pas l’appliquer pour des raisons diverses. Il existe effectivement un projet de décret exécutif présenté par le ministère de la Justice, mais il sert seulement à apporter des clarifications et n’est pas indispensable à l’exécution de la loi. »

« En tant qu’ONG, nous avons les mêmes problèmes que tous les autres. Nous obtenons difficilement les informations que nous réclamons, assure M. Majzoub. Les mentalités restent inchangées au sein de l’administration publique, où l’on préfère ne pas partager les données. Ces mentalités doivent évoluer, on ne peut plus considérer que les informations sont destinées à rester à l’intérieur des institutions. Dans le domaine de l’accès à l’information, on en est toujours aux balbutiements. Le citoyen est soit ignorant de ses droits, soit incapable de les faire respecter. Il faut continuer à le sensibiliser ».

En réponse à une question, il souligne à regret que « la loi contraint les institutions à révéler les informations demandées, sans qu’il n’y ait pour autant de pénalisation en cas de non-conformité à cette obligation ».


(Pour mémoire : Des ONG dénoncent la marche arrière du gouvernement sur la loi d’accès à l’information)



Même les questions des députés sont ignorées

Au cours de la conférence, à laquelle assistait la ministre d’État pour le Développement administratif, May Chidiac, c’est finalement le député Georges Okais (FL) qui a souligné le manque de volonté officielle d’appliquer ce décret. Le parlementaire a fait état des difficultés que lui-même rencontre pour obtenir l’application de ce texte. Un texte fondamental non seulement pour la lutte contre la corruption, mais aussi pour la protection des droits de l’homme et pour le développement équilibré des régions.

« Une culture est en train de s’instaurer dans le pays, celle du délit de Constitution, a-t-il martelé. Preuve en est le nombre de lois non appliquées. Et le fait que les questions adressées par les députés ne trouvent que rarement réponse auprès des ministères. »Toutefois, selon le parlementaire, il existe des moyens pour sortir de cette impasse. Il faut maintenir la pression sur les autorités, explique-t-il en substance, et voter une proposition de loi présentée par des députés pour amender la loi sur l’accès à l’information, de manière à y apporter les clarifications nécessaires afin de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui justifient sa non-application.


Schizophrénie administrative

Pour sa part, ce n’est pas un projet d’amendement de la loi, mais un plan d’application en dix points qu’a évoqué l’ancien député Ghassan Moukheiber. Grand connaisseur du dossier, M. Moukheiber estime qu’il n’est nul besoin de nouveaux textes, mais d’un plan qui lance pratiquement sa mise en œuvre. « L’administration officielle libanaise est quasiment en état de schizophrénie », a-t-il souligné.

Et d’expliquer que, à l’instar d’Omsar, certaines administrations sont enthousiastes, alors que d’autres justifient encore sa non-application, sous divers prétextes comme le besoin de décret exécutif ou le retard dans la création du Haut Comité de lutte contre la corruption. Or l’ancien député rappelle que le service de législation et de consultation a déjà confirmé l’applicabilité immédiate du texte de loi. Et pour ce qui est du haut comité, « les tribunaux existants peuvent statuer en de telles affaires en attendant sa création », selon lui. « D’ailleurs, l’objectif premier de cette loi est d’assurer davantage de transparence, pas de trancher des litiges face aux tribunaux », fait-il remarquer.


(Pour mémoire : Chidiac veut faire appliquer la loi sur le droit à l’information)


Campagnes de sensibilisation

La plan d’application de la loi sur l’accès à l’information a été détaillé par Natacha Sarkis, représentant Omsar. Les dix points commencent par la nécessité d’effectuer un recensement des administrations concernées par l’application de la loi, pour se pencher ensuite sur le cadre humain qui doit être formé dans ces institutions (des fonctionnaires chargés de l’information). Des campagnes de sensibilisation à l’intention des fonctionnaires et des citoyens devront ainsi être organisées. À ce propos, des institutions faisant office de « bons élèves » serviront de modèles aux autres. Sur un autre plan, afin de faciliter les formalités aux citoyens, l’informatisation devrait être accélérée, ainsi que la création du Haut Comité de lutte contre la corruption, la mise en place d’un système de surveillance et de réception des plaintes, et un système d’archivage.

La société civile et les médias étaient invités à relater leur expérience. La journaliste Racha Abou Zaki a détaillé l’extrême difficulté d’obtenir des informations de la part des officiels, notamment les chiffres, très souvent non fiables. Pour elle, les autorités privilégient l’opacité pour protéger un système où la reddition des comptes est compromise. Quant à Ayman Dandache, de LTA, il a évoqué un projet de sensibilisation à l’encontre des municipalités, et souligné que l’association dispose d’un centre d’aide aux victimes de la corruption.



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Près de trois ans après l’adoption de la loi sur le droit de l’accès à l’information, une conférence en présence d’un nombre de responsables et d’experts s’est tenue hier pour débattre des « perspectives et défis de son application »… preuve qu’elle est encore bien peu appliquée. La conférence, visant à décrypter ce qui entrave encore la mise en application...

commentaires (2)

DANS CE PAYS LES INTERETS DES GRANDS FONT OU SONT LES LOIS.

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 10, le 01 octobre 2019

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Commentaires (2)

  • DANS CE PAYS LES INTERETS DES GRANDS FONT OU SONT LES LOIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 10, le 01 octobre 2019

  • "Y a-t-il une volonté officielle d’appliquer la loi ? La réponse est claire: "Non!" La lutte contre la corruption n'a jamais été qu'un slogan. Il aurait été étonnant que ceux qui en profitent décident de lutter contre!

    Yves Prevost

    07 h 26, le 01 octobre 2019

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