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Diaspora - Diaspora

Monseigneur Gemayel, premier évêque maronite de France : le Liban au cœur, une mission chevillée au corps

Le 30 août 1981, Nasser Gemayel était ordonné prêtre. Le 30 août 2012, il fut consacré évêque maronite de France. Un mois après, le 30 septembre 2012, il s’installait à Notre-Dame du Liban, à Paris. Premier bilan sept ans plus tard.


L’évêque Gemayel dans son bureau. Photo Anne Ilcinkas

Costume noir et col romain blanc, lunettes de vue sur le nez et croix en pendentif sur le torse. Son arrivée est remarquée. À peine était-il entré dans une des salles d’une mairie parisienne où des Franco-Libanais s’étaient donné rendez-vous pour une exposition qu’une excitation s’était répandue dans l’air encore doux de septembre. C’est l’évêque Gemayel, c’est l’évêque Gemayel, entend-on... Deux heures plus tard, alors que le dîner est bien entamé, voilà l’évêque qui, micro à la main, chante du Feyrouz d’une voix claire devant un public conquis, accompagné par les musiciens sur scène.

« Si je n’avais pas été prêtre, je serais devenu compositeur », lance d’emblée monseigneur Gemayel, deux semaines plus tard, à Meudon, en banlieue parisienne. Sur son bureau de la villa des Cèdres-Beit Maroun, siège de l’éparchie maronite en France, trône un harmonica. Dans un coin, repose un luth, alors qu’en musique de fond, résonne une sonate de piano de Wagner. « Ces temps-ci, je suis attiré par Wagner, car Beethoven et Vivaldi, on finit par les connaître par cœur », explique celui qui dit aussi apprécier Feyrouz, Wadih el-Safi et Oum Koulsoum. Aujourd’hui, il prend plaisir à chanter dans les messes : « J’ai même des fans, dit-il, l’œil pétillant. C’est une manière de semer la joie de vivre au service de l’Église. »

Au Liban, son père chantait déjà dans les églises. Sa mère était très croyante. Son oncle était prêtre. Issu d’un fratrie de sept enfants, le jeune Nasser Gemayel choisit très tôt de prendre l’habit. Il a dix ans et demi quand il entre au petit séminaire, à Ghazir. Le 30 août 1981, à 30 ans, il est ordonné prêtre. C’est aussi un 30 août, mais en 2012 cette fois, que le père Nasser devient monseigneur Gemayel, le premier évêque maronite de France et visiteur apostolique en Europe de l’Ouest. Pour l’occasion, il ajoute Maroun à son prénom.

« À Aïn el-Kharroubé, mon village natal, il n’y a plus ni source ni caroubier. Mais mon village est le seul du Liban a avoir donné quatre évêques », dit-il taquin. « Je ne m’attendais pas du tout à être consacré évêque en France, se rappelle-t-il près de sept ans plus tard. C’est la volonté de Dieu. »

Nasser Gemayel connaît pourtant bien la France. En 1975, juste après le déclenchement de la guerre au Liban, il décide de suivre un camarade venu étudier à l’Université catholique de Lyon, un « camarade aujourd’hui évêque à Damas ». Nasser Gemayel en sort en 1977 avec une maîtrise de philosophie et théologie. Il poursuit alors ses études à Paris où il obtient un doctorat d’État à la Sorbonne en philosophie de l’éducation. Pour financer ses études, il travaille comme aide-cuisinier, veilleur de nuit, à la plonge, dans un camping pour caravanes…


(Pour mémoire : Une chapelle du XIXe siècle à Issy-les-Moulineaux acquise par le diocèse maronite de France)


Ne pas perdre les rites
De retour à Beyrouth en 1983, il officie comme curé de paroisse à Zalka puis à Mar Chaaya à Broummana, et enfin dans l’église Mar Takla à Maska. Parallèlement à ces activités sacerdotales, il enseigne, notamment à l’USEK à Kaslik, et à la faculté de pédagogie à l’Université libanaise à Fanar.

Aujourd’hui, ce Liban qu’il a quitté en 2012 lui manque. « J’y ai passé plus de 60 ans. La chaleur humaine me manque, le contact facile et la foi qui existent là-bas… Et puis ma famille aussi, mes frères et sœurs. Ici, je n’ai personne. Je suis en mission en France. Si les gens n’étaient pas là, je ne serais pas là. On est là pour eux. » Comme devise épiscopale, Maroun Nasser Gemayel a choisi « authenticité et mission » justement. D’après l’évêque, plus de 80 000 maronites vivent en France, dont la moitié en région parisienne. « Ma mission consiste à assurer à nos fidèles le service religieux pour ne pas qu’ils soient coupés de leurs origines. Car si on ne s’occupe pas d’eux, il n’y aura plus de chrétiens orientaux en dehors de l’Orient, s’il en reste encore en Orient, d’ailleurs. » « Nous devenons des Français à part entière, poursuit l’évêque, mais pourquoi devrions-nous perdre nos rites ? Nous sommes ici comme chrétiens d’Orient, comme témoins, porteurs d’un message, comme l’avait annoncé Jean-Paul II. » Pour le religieux, faire venir les fidèles à la messe de rite maronite, surtout s’ils ont une église latine à côté et qu’il pleut, constitue un défi majeur. « Au Liban, c’est très facile, on sonne la cloche et les gens viennent. Ici, quelles cloches pouvons-nous faire sonner ? Pour motiver nos ouailles à venir assister à la messe, il faut aller les chercher, et c’est tout un art. » Alors, inlassablement, Mgr Gemayel s’évertue à fonder des paroisses.

Si les liens des maronites avec la France, « leur tendre mère », selon les mots du prélat, sont séculaires, l’église maronite ne compte que trois paroisses à son arrivée, en 2012 : Notre-Dame du Liban, à Paris, l’ancienne église du Collège Sainte-Geneviève, abandonnée depuis 1905 et inaugurée en 1915, et dont le bail emphytéotique arrive à terme en 2036 ; Notre-Dame du Liban à Marseille, qui existe depuis 1946, et une troisième paroisse à Lyon, initiée en 1975 – à l’époque où Nasser Gemayel, jeune séminariste, étudiait –, et constituée en 1978, lorsqu’un prêtre y a été envoyé.

Mais qu’est-ce qu’un diocèse avec trois paroisses seulement ? Depuis sa nomination, Mgr Gemayel va à la rencontre des maronites de France pour leur consacrer des paroisses et ordonner des prêtres. Suresnes, Alfortville, Angers, Bordeaux, Aix-en-Provence, Lille, Clermont-Ferrand, Strasbourg… Aujourd’hui, il y a plus d’une vingtaine de paroisses et missions en France. Et d’autres en Allemagne, en Suisse, en Suède, à Londres, au Danemark, en Belgique, en Hollande, en Italie… Et le prélat prévoit d’en ouvrir d’autres, à Troyes par exemple. « Je me suis lié d’amitié avec un Libanais de Troyes. Je m’y suis rendu et on a découvert qu’il y avait quelque 200 maronites dans la ville. Je suis en train de discuter avec François Baroin, le maire de Troyes, des modalités pour avoir une église. »


« Nous avons besoin de dons »
En attendant, monseigneur Gemayel est très heureux d’avoir pu acheter à l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) l’église Saint-Sauveur d’Issy-les-Moulineaux grâce au généreux don d’un membre de la communauté, Bernard Azzi. « C’est miraculeux, dit-il, d’avoir cette grande église aux portes de Paris. » Mais le nerf de la guerre reste l’argent. « L’église en France est pauvre. Nous ne recevons aucune aide du Liban. Il y a le denier de l’Église bien sûr, mais cela ne suffit pas, explique l’évêque en lançant un cri d’alarme. Nous avons besoin de dons ou de legs. Nous devons emprunter 100 000 euros pour payer les salaires des prêtres jusqu’à la fin de l’année. »

L’évêque a pensé à une solution pour réunir des fonds, créer une association des amis de l’évêché. « Si 30 000 personnes donnaient 10 euros par mois, ça nous permettrait de continuer nos projets. » Et des projets, il n’en manque pas. Saint-Pé-de-Bigorre notamment. L’éparchie a acheté, en 2017, cette grande abbaye située dans le sud de la France pour 160 000 euros. Le projet ? « En faire un lieu de pèlerinage, de refonte de notre jeunesse en Europe, un petit Liban à côté de Lourdes. » Il faudrait 12 millions d’euros pour restaurer ses 13 000 m2 de bâti. Et puis l’éparchie a également besoin d’argent pour financer l’école qu’elle vient de lancer à Boulogne-Billancourt, à l’ouest de Paris. « Nous sommes en France depuis plus d’un siècle, et personne ne s’est lancé dans cette expérience, regrette le prélat. Nous allons ouvrir une école trilingue arabe, français et anglais, une école numérique et avant-gardiste, capable d’accueillir un millier d’élèves, en partenariat avec le Collège Notre-Dame de Jamhour. Les enfants, c’est l’avenir. » Cette année, les élèves doivent subir des remises à niveau, notamment en arabe et en anglais, les mercredis et samedis. La première rentrée au Collège Mar Maroun en tant que tel est prévue pour 2020. Monseigneur Gemayel a la foi. « Il n’y a que des miracles. C’est prédestiné. » Dans 7 ans, il aura 75 ans, l’âge de la retraite. « Il sera temps pour moi de m’éclipser et rentrer au Liban. Je laisserai la place au nouvel évêque et une éparchie avec des structures bien bâties pour un élan prometteur. »

Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com



Pour mémoire 
Nulle Église n’est une île, surtout celle, maronite, de France


Costume noir et col romain blanc, lunettes de vue sur le nez et croix en pendentif sur le torse. Son arrivée est remarquée. À peine était-il entré dans une des salles d’une mairie parisienne où des Franco-Libanais s’étaient donné rendez-vous pour une exposition qu’une excitation s’était répandue dans l’air encore doux de septembre. C’est l’évêque Gemayel, c’est...