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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Chirac et le monde arabe : plus qu’une histoire d’amitiés

L’ancien président français a redonné à la politique française une orientation favorable aux pays arabes.


Jacques Chirac, alors Premier ministre, le 27 mars 1976, lors d’une réunion à Nice. Georges Bendrihem/AFP

Des accolades, des sourires, des coups de gueule et un grand non qui restera gravé dans l’histoire : Jacques Chirac a marqué le monde arabe comme aucun autre dirigeant occidental depuis des décennies. Qui d’autre en effet, à part le général de Gaulle, peut se targuer d’avoir une rue en son nom, en l’occurrence à Ramallah, dans cette région du monde ? L’ancien président français, décédé hier, y a vécu les moments les plus forts de sa vie politique sur la scène internationale. Dans la mémoire collective, on en retiendra surtout deux.

Le premier a lieu le 22 octobre 1996, dans les rues de Jérusalem. La visite du président français, qui est perçu par les autorités israéliennes comme plus favorable à la cause arabe que son prédécesseur François Mitterrand, intervient un an après l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin. Elle se déroule dans un climat électrique. Les Israéliens bousculent les journalistes et empêchent surtout les commerçants arabes de nouer un contact avec le président français dans la Vieille Ville. C’en est trop pour Jacques Chirac qui, averti d’un nouvel incident, se laisse aller à un coup de sang mémorable contre les forces de l’ordre israéliennes. « Qu’est-ce qu’il y a encore, je commence à en avoir assez ! » commence-t-il à maugréer en français. « What do you want ?... Me to go back to my plane and go back to France ? Is that what you want ? » crie-t-il ensuite à la face d’un policier israélien complètement médusé. La séquence va faire le tour du monde et construire la légende de Jacques Chirac dans le monde arabe. Dès le lendemain, il est accueilli en triomphe à Ramallah et dans les territoires occupés. Ces quelques secondes de culot et d’impertinence vont accompagner Jacques Chirac dans tous ses déplacements dans cette région pendant plus d’une décennie.


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« J’ai expérimenté au Caire, à Beyrouth, à Damas, mais aussi à Alger, ce qu’était la popularité naturelle de Chirac dans le monde arabe », raconte à L’OLJ Hervé de Charette, ancien ministre français des Affaires étrangères (1995-1997). Nous sommes désormais en 2003. Celui que Yasser Arafat surnomme le « Docteur Chirac » a quelque peu perdu de son audace et de sa superbe. Le monde a changé depuis le 11 septembre 2001. Les États-Unis sont les seuls à donner le la, celui d’une guerre totale contre le « terrorisme », cet ennemi désincarné identifié d’abord en Afghanistan puis en Irak. L’Amérique de George W. Bush veut en finir avec le régime de Saddam Hussein, accusé de posséder des armes de destruction massive, et promet que sa disparition permettra l’émergence d’un nouveau Moyen-Orient. Washington veut construire une large coalition contre l’un de ses plus vieux ennemis. S’ensuivront des mois de tractations diplomatiques où la France va tout faire pour tenter de convaincre les États-Unis de ne pas entrer en guerre contre l’Irak. Le 14 février 2003, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce un discours mémorable au Conseil de sécurité de l’ONU qui, une fois n’est pas coutume dans cet antre dépersonnalisé, reçoit une longue et chaleureuse ovation. Quelques semaines plus tard, le 10 mars 2003, le président français menace d’utiliser son droit de veto en cas de résolution ouvrant la voie à une intervention américaine en Irak. La guerre aura tout de même lieu, Washington décidant de se passer de l’ONU. La France n’aura pas pu empêcher ce drame qui bouleversera profondément et durablement la région. Sa relation avec les États-Unis va également en être affectée. Mais ce moment, particulièrement aux yeux des Arabes, restera comme celui où la France a dit non à l’Oncle Sam, la première puissance mondiale, au nom de la défense de ses principes, de ses convictions et de la stabilité d’une région chère à son président. « Chirac a eu le courage de ne pas hurler avec les loups. Et l’histoire lui a donné raison », commente pour L’OLJ Maurice Vaïsse, historien français des relations internationales, auteur d’un ouvrage sur la politique étrangère de Jacques Chirac.


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Les larmes de Chirac
On ne peut pas résumer à ces seuls deux événements les trois décennies d’amitiés sincères entre le phénix de la droite française et le monde arabe. D’autant que des moments, certes moins intenses, il y en aura eu d’autres : la visite en 1974, organisée par le Premier ministre Jacques Chirac, de celui qui était alors le numéro deux du régime irakien, Saddam Hussein, au centre nucléaire français de Cadarache ; le discours du président français en 1996 au Caire où il explique que la politique arabe de la France « doit revêtir » une dimension essentielle ; les larmes de l’homme qui survivra à presque tous les « vieux lions » du monde arabe devant la dépouille mortelle de Yasser Arafat en 2004.

Le chef de l’OLP n’a pas toujours eu les faveurs du leader de la droite. Mais les deux hommes, deux  « animaux politiques » qui partagent le génie de la conquête et des relations humaines, ont appris à s’apprivoiser, avant de nouer une sincère relation d’amitié. Des amis dans le monde arabe, Jacques Chirac n’en a clairement pas manqué : Saddam Hussein, Moubarak, Hassan II, Bouteflika, Abdallah II de Jordanie ou le roi Fahd d’Arabie peuvent tous se targuer d’avoir eu une relation de proximité avec le président français. Sans parler bien évidemment de son ami le plus proche, non seulement dans le monde arabe mais sur la scène internationale, Rafic Hariri. « Il avait une très bonne compréhension du monde sunnite, qui lui était plus familier », raconte à L’OLJ François Nicoullaud, ancien ambassadeur français en Iran.


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La dimension personnelle est une composante essentielle de la politique chiraquienne dans le monde arabe. « C’est un homme qui fonctionnait beaucoup aux rapports humains », note Maurice Vaïsse. « Rien ne le passionnait plus que d’aller au-devant des autres dirigeants du monde, de parler avec eux, de séduire, de créer des liens d’amitié », témoigne Hervé de Charette. « Il avait sans doute le meilleur réseau mondial d’amitiés parmi les dirigeants du monde », ajoute l’ancien ministre.

L’amitié ne fait toutefois pas tout. S’il commence à nouer des liens profonds avec le monde arabe dès les années 1970, puis plus tard en tant que maire de Paris, Jacques Chirac arrive à la présidence française en 1995 avec une certitude bien ancrée : celle que les destins des deux rives de la Méditerranée sont liés et qu’il faut à tout prix miser sur le dialogue pour favoriser la paix et la stabilité dans le monde arabe. « Ce qui m’avait frappé, c’est de voir à quel point il était malheureux des désordres du Moyen-Orient, sincèrement malheureux, sincèrement préoccupé. Il questionnait les gens, essayait en permanence de trouver des solutions », dit François Nicoullaud. « Il avait à l’égard du monde arabe un attrait, une sensibilité, une compréhension naturelle des situations historiques », confirme Hervé de Charette.


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Tradition gaullienne
En rupture, plus dans la forme que sur le fond, avec François Mitterrand– dont le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas avait affirmé que la France n’avait « pas de politique arabe » –, Jacques Chirac va renouer avec la tradition gaullienne dont l’orientation est favorable aux pays arabes. « Dès son arrivée à l’Élysée, il s’engage personnellement en faveur de la reconstruction d’une vraie politique arabe de la France », confie Hervé de Charette. À ceux qui l’accusent d’avoir un tropisme trop marqué en faveur du monde arabe, il répond dans une interview au journal Haaretz en 2005 : « Il n’y a pas une politique pro-arabe, ce qui a l’air de dire qu’elle serait anti-Israël. Il y a toujours eu une politique à la fois d’amitié avec Israël et d’amitié avec les pays arabes. L’une n’est pas exclusive de l’autre. » L’idée est somme toute assez simple sur le papier : la France doit avoir sa propre voix, doit être capable de parler à tout le monde et doit pouvoir se poser en médiatrice. Elle le fera dans le conflit israélo-palestinien, mais aussi dans les relations houleuses entre le Liban et la Syrie, ou encore entre les pays sunnites et l’Iran. « Dès 2003, il s’est vraiment investi pour trouver une solution négociée sur le nucléaire iranien. Il est, en quelque sorte, le père de l’accord nucléaire », note François Nicoullaud.

Cette vision chiraquienne des relations internationales, qui s’inscrit dans le prolongement de celle du général de Gaulle mais fait du respect des normes internationales une dimension essentielle de la politique française – alors que le général appelait l’ONU « ce machin »–, inspire clairement l’action de l’actuel président français Emmanuel Macron. Il y a comme une nostalgie du chiraquisme en relations internationales à la fois dans le monde arabe et à l’Élysée. Cette politique, qui a fait le prestige de la France, a toutefois ses zones d’ombre et ses limites, qui paraissent encore plus visibles aujourd’hui.

La difficulté de la France, d’abord, en tant que « grande moyenne » puissance, à peser dans les crises majeures sur la scène internationale. La France a souvent raison sur le fond, mais n’a pas toujours les moyens d’orienter les grandes décisions politiques en sa faveur. Sa vision du monde ensuite, parfois prise en otage entre sa volonté de faire de la realpolitik et son discours mettant en avant la défense des droits de l’homme. Quelque part, c’est aussi cela Jacques Chirac : le monde arabe de papa, celui où on fermait les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme, où les sociétés civiles comptaient moins que les enjeux géopolitiques et où les amitiés personnelles avec les dictateurs étaient monnaie courante. Ce monde n’est pas mort, loin de là, mais il a été quelque peu tourné en ridicule par les printemps arabes…


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Des accolades, des sourires, des coups de gueule et un grand non qui restera gravé dans l’histoire : Jacques Chirac a marqué le monde arabe comme aucun autre dirigeant occidental depuis des décennies. Qui d’autre en effet, à part le général de Gaulle, peut se targuer d’avoir une rue en son nom, en l’occurrence à Ramallah, dans cette région du monde ? L’ancien président...

commentaires (3)

La France a dit NON en 2003 a la guerre en Irak car le groupe TOTAL francais faisait des milliards de benefice illicites dans le cadre du programme petrole contre nourriture sur le dos des pauvres irakiens mourrant de faim ,faits de corruption ayant fait l objet d une condamnation par le TC de Paris en 2013. L interet de la France etait de perenniser le statut quo en Irak dans l interet des negoces de TOTAL,une intervention us devant changer la donne.

HABIBI FRANCAIS

09 h 08, le 27 septembre 2019

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Commentaires (3)

  • La France a dit NON en 2003 a la guerre en Irak car le groupe TOTAL francais faisait des milliards de benefice illicites dans le cadre du programme petrole contre nourriture sur le dos des pauvres irakiens mourrant de faim ,faits de corruption ayant fait l objet d une condamnation par le TC de Paris en 2013. L interet de la France etait de perenniser le statut quo en Irak dans l interet des negoces de TOTAL,une intervention us devant changer la donne.

    HABIBI FRANCAIS

    09 h 08, le 27 septembre 2019

  • Roland Dumas fut conseiller, ministre des affaires étrangères et président du conseil constitutionnel ; jamais 1° ministre

    CHARLES OBEGI

    02 h 25, le 27 septembre 2019

    • Bonjour, Merci pour votre commentaire, l'erreur a bien été corrigée. Bien cordialement

      L'Orient-Le Jour

      09 h 58, le 27 septembre 2019

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