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Liban - Commentaire

Chirac, ce « Libanais »...

Jacques Chirac et Rafic Hariri, à l’Élysée, le 14 juin 2003. Photo AFP/Archives

Qui se souvient du 25 janvier 2007 ? Ce jour-là au Liban, le camp de la contre-révolution du Cèdre, mené par le Hezbollah et récemment rejoint par un transfuge de l’autre bord, le Courant patriotique libre, tente son premier coup de force contre le gouvernement Fouad Siniora. La politique d’indépendance de ce dernier vis-à-vis de Damas et ses efforts pour obtenir de l’ONU la création d’un tribunal international afin de juger les assassins de Rafic Hariri en sont les principales cibles. Au même moment, à Paris, Jacques Chirac, encore président pour quelques mois, fait défiler devant lui ministres et représentants des puissances riches, n’hésitant pas à tancer sévèrement ceux qui, parmi eux, à l’instar du Koweïtien, du Japonais ou du Néerlandais, se montrent chiches dans leurs promesses d’aide financière en faveur du Liban.

Le délégué koweïtien vient de terminer son discours par le traditionnel « Que la paix de Dieu soit avec vous », sans annoncer d’engagement financier précis. Jacques Chirac lui dit alors : « C’est vrai, il faut que la paix de Dieu soit avec nous, mais je n’ai pas bien compris à combien s’élève le montant »…

Connue sous le nom de Paris III, cette conférence fut l’un des derniers actes d’un grand homme d’État au bénéfice d’un petit pays – une « poussière d’empire », persifleront des détracteurs – dont il porta des années durant la cause à bout de bras. Ce parrainage prendra une telle ampleur qu’à la fin, d’aucuns en arrivèrent à stigmatiser chez lui une « obsession » libanaise, seule susceptible, avec quelques rares autres thèmes, de le sortir de ses somnolences de plus en plus fréquentes lors des ultimes rencontres internationales.

Chirac parti, la politique française à l’égard du Liban – et de tout ce qui l’entoure – s’engagera, en effet, dans un rapide processus de « rééquilibrage ». Des années plus tard – et plus de 300 000 morts en Syrie –, il ne restera pourtant plus grand-chose de la nouvelle doctrine. Et le pays du Cèdre n’y aura gagné que des broutilles, comme l’établissement de relations diplomatiques avec le régime de Damas sous le parrainage de Nicolas Sarkozy.


(Lire aussi : Chirac, un des "plus grands hommes" de la France, selon Saad Hariri)



Histoire d’une amitié

Au Liban, les coups de force se multiplient, quand ce ne sont pas les blocages et les impasses. Littéralement assailli, le fragile édifice dont la construction est entamée le 14 mars 2005 finira par prendre l’eau. Pour l’homme d’État dont on pleure aujourd’hui la disparition, ce sera une double mort, tant sa contribution à cet édifice libanais fut décisive, peut-être la plus décisive de toutes.

Beaucoup n’en retiendront, il est vrai, que le récit d’une amitié entre deux hommes, Jacques Chirac et Rafic Hariri, qu’ils pimenteront d’accusations – non étayées bien sûr – à propos de transactions financières destinées à appuyer les campagnes électorales du premier. Mais qui donc a besoin de preuves ? L’idée même que le président d’une nation comme la France puisse être lié d’amitié à un milliardaire arabe ne suffit-elle pas, déjà, à déclencher la machine à suspicion ? Sans doute, d’autant qu’en face, les opposants, les parties lésées ne se comptent pas et qu’ils feront tout pour que les soupçons se propagent.

Nul ne peut ignorer l’impact qu’eurent les rapports personnels dans les prises de décision de Jacques Chirac au sujet du Liban et de la Syrie tout au long de ses douze années de présidence (1995-2007). N’en retenir qu’une chronique d’argent et de pouvoir entre puissants de ce monde, c’est vouloir jeter le discrédit sur la portée réelle de son action et, bien entendu, sur ses fruits.

Qu’ils se fondent sur un simple courant qui passe ou bien sur de gros intérêts personnels communs, jamais des liens amicaux entre dirigeants ne pourront façonner des relations stratégiques entre États. Tout au plus serviront-ils à huiler la machine.

Pour Jacques Chirac, et ce sera progressivement le cas pour les États-Unis après le séisme du 11 septembre 2001, Rafic Hariri incarnait, plus que tout autre leader du monde musulman, un sunnisme modéré, libéral, ouvert et dynamique, capable à la fois de faire face à l’OPA iranienne sur le monde arabe et de lutter efficacement contre le jihadisme sunnite. Et avant cela, dans les années quatre-vingt-dix, il représentait déjà une jeune génération de leaders en mesure, pour la première fois, de conduire le monde arabe vers une paix globale au Proche-Orient.

C’est dans cette perspective, et bien entendu dans celle de préparer l’émancipation progressive du Liban, que Chirac aide Hariri dès 1995 à mettre en œuvre sa politique consistant à sortir « amicalement » le régime syrien de son carcan militaro-idéologique, pour l’amener à s’ouvrir sur le monde, se déradicaliser et, à terme, relâcher la pression sur le pays du Cèdre.



(Lire aussi : Jacques Chirac, l'homme du "Non" à la guerre en Irak, est mort)



Un régime irréformable ?
Cette politique donne des fruits dans un premiers temps, comme par exemple l’entrée de la Syrie dans le processus de Barcelone (feu l’Euromed) à l’automne de 1995, aux côtés du Liban, des États de l’Union européenne, d’Israël et de nombreux autres pays arabes, à l’exception de l’Algérie, déchirée par la guerre civile, et de la Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi.

Le message de Chirac à Hafez puis à Bachar el-Assad sera constamment le suivant : faites votre ouverture et nous vous aiderons. Hélas, la nature du régime syrien, qui se révèle incapable de se réformer en profondeur, prendra le dessus. En 2002-2003, à l’heure où le ressentiment antisyrien commence à prendre forme à Washington, la mise en échec par Damas et ses alliés au Liban de la conférence de Paris II et les humiliations que les dirigeants syriens infligent au Premier ministre libanais à cette occasion seront la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Jacques Chirac avait mis tout son poids dans la balance pour obtenir l’aval de donateurs réticents, en échange d’une promesse de réformes structurelles au Liban. Mais à l’époque, ces réformes, incluant des privatisations, heurtaient de front les intérêts des Syriens et de certains de leurs protégés.

Le divorce est consommé. Dès lors, ce sera l’épreuve de force, et le président français s’y investira à fond. En juin 2004, aux célébrations du 60e anniversaire du débarquement en Normandie, le Liban est l’un des principaux thèmes qui réconcilient Paris et Washington, après l’épisode orageux de la guerre américaine contre l’Irak de Saddam Hussein. Jacques Chirac et George W. Bush y arrêtent leur plan de contre-attaque face aux velléités de Damas d’imposer une prorogation du mandat du président Émile Lahoud. Ce sera, trois mois plus tard, la résolution 1559 du Conseil de sécurité, véritable « bébé » de Chirac. Pour la tutelle syrienne, c’est le début de la fin.

On connaît la suite : l’attentat contre Marwan Hamadé, la sortie de Hariri, le gouvernement Karamé, le 14 février 2005, le 14 mars, puis le 26 avril, jour du retrait des troupes syriennes. Et le reste…

Que des années plus tard, les Libanais aient fini par perdre la boussole et manquer l’occasion qui s’était présentée à eux ne change rien à l’affaire : point n’est besoin de lire l’histoire entre les lignes pour savoir ce que le Liban doit à Jacques Chirac.


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Chirac et le Liban en quelques dates

Qui se souvient du 25 janvier 2007 ? Ce jour-là au Liban, le camp de la contre-révolution du Cèdre, mené par le Hezbollah et récemment rejoint par un transfuge de l’autre bord, le Courant patriotique libre, tente son premier coup de force contre le gouvernement Fouad Siniora. La politique d’indépendance de ce dernier vis-à-vis de Damas et ses efforts pour obtenir de l’ONU la...

commentaires (9)

Bonjour ! Toutes mes excuses à Ms. Emilie Sueur pour avoir ajouté " Le " à son nom et l'avoir citée comme collaboratrice et non rédactrice de l'OLJ ! ( Dans un tranfert-mail de l'un de ses très bons textes . ) J'espère qu'elle pardonnera mon absence de familiarité avec votre équipe rédaction , étant nouvelle abonnée . Avec mes meilleures salutations , Anne Da Costa

Anne Da Costa

11 h 02, le 28 septembre 2019

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Commentaires (9)

  • Bonjour ! Toutes mes excuses à Ms. Emilie Sueur pour avoir ajouté " Le " à son nom et l'avoir citée comme collaboratrice et non rédactrice de l'OLJ ! ( Dans un tranfert-mail de l'un de ses très bons textes . ) J'espère qu'elle pardonnera mon absence de familiarité avec votre équipe rédaction , étant nouvelle abonnée . Avec mes meilleures salutations , Anne Da Costa

    Anne Da Costa

    11 h 02, le 28 septembre 2019

  • Valéry Giscard d'Estaing a dit "au revoir" Jacques a dit "adieu" Des quatre coins du monde fusent mille mercis En espérant fortement que vive l'espoir D'un héritage chiraquien victorieux Et qui ne soit ni obscurci ni rétréci Sincères condoléances à sa famille Respect et admiration pour ce grand homme Et ce président humain et populaire Le

    de Tinguy Corinne

    20 h 54, le 27 septembre 2019

  • C'est marrant, en Afrique certains journaux ont titré Chirac l'africain.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 41, le 27 septembre 2019

  • Chirac ,ce libanais....sans aucun doute,il l etait....pour avoir ete l unique ex president de la republique a etre condamne penalement pour corruption,il ressemblait comme 2 gouttes d eau a la classe politique du pays du cedre.

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 15, le 27 septembre 2019

  • Vous vous souvenez quand il est venu au Liban pour ses condoléances à madame Hariri ?

    Eleni Caridopoulou

    22 h 03, le 26 septembre 2019

  • UN GRAND AMI DU LIBAN S'EN VA UN GRAND HOMME S'EN VA PAIX A SON AME A LA FAMILLE DE CHIRAC , TOUTES LES CONDOLEANCES D'UNE TRES GRANDE PARTIE DES LIBANAIS SINCERES ET AU NOM DU LIBAN TOUT ENTIER ( sauf le parti des assassins de Rafic Harriri )

    LA VERITE

    18 h 37, le 26 septembre 2019

  • Un bon disciple de De Gaulle et un grand ami du Liban libre! Allah Yirhamo!

    Wlek Sanferlou

    18 h 07, le 26 septembre 2019

  • Est il bon de rappeler comment les anglo-saxons l'ont qualifié quand il a refusé de se joindre au complot mené par un président yanky ivrogne à la maison blanche ? The worms . Yes Sir !

    FRIK-A-FRAK

    17 h 47, le 26 septembre 2019

  • Au revoir Mr. Chirac. On était nombreux au Liban et dans le monde francophone à l’aimer ou tout du moins à avoir de la sympathie pour lui.

    Chady

    17 h 22, le 26 septembre 2019

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